Le vent lui écorche la peau, ses doigts sont engourdis. Il devrait aller fermer la caravane de sa voisine. Simplement aller là-bas et pousser doucement la porte pour qu'elle ne gèle pas pendant ses crises de somnambulisme. C'est exactement ce qu'il s'apprête à faire quand elle ressort sur sa terrasse, un chiffon à la main - elle lève un bras pâle vers le ciel et se met à cirer la lune.
Tous ces petits mensonges, dont on ne parle pas, dans les familles ; toutes les choses qui deviennent ensuite impossibles à dire.
Ces morts égoïstes qui se tirent comme ça en nous laissant avec des demi-vérités, des questions, des relations aléatoires, des faillites et des dettes, des cœurs fragiles, des gènes douteux, des habitudes idiotes et des codes ADN prédisposant à certaines maladies, sans jamais mentionner toutes les choses qui vont arriver - à la manière d’une bagarre à un mariage, ça finit toujours par refaire surface.
Trois tracteurs garés derrière les arbres ont des stalactites accrochées à leurs énormes fourches, à leurs pneus rebondis et à leur cabine. Autour d'elles les arbres sont eux aussi ornés de piques de glace. Celles-ci se forment presque à l'instant où Stella les regarde.
L'hiver qui fait ses travaux de décoration. Rendant le monde le plus joli possible. Sur la montagne la plus proche une harde de daims émerge de la forêt et les animaux montent le versant au petit galop, les jeunes mâles derrière.
Plus on reste dans la décharge, plus l'endroit paraît étrange. On dirait que les entrailles du monde entier ont été vomies.
Constance retourne dans l'espace cuisine, pieds nus. Il remarque tout chez elle : la coupe de son jean, la façon dont elle soulève une assiette, la façon qu'elle a de veiller à ne pas le regarder trop longtemps. D'être fragile sur les bords. Ecorchée. Ça lui donne encore plus envie d'elle. Elle baisse le son de la télé mais laisse l'image. Ils mangent rapidement tous les trois, sans beaucoup parler. Constance ajoute du sel sur ses frites, même s'il y en a déjà. Il l'aide à débarrasser la table. Souhaiterait le faire toujours. Mais ne pas le lui dire. Pour ne pas la mettre mal à l'aise.
Elle inspire, sent le soleil sur son visage même s'il n'a jamais fait aussi froid à Clachan Fells. Pendant une infime fraction de seconde le parhélie envoie de la lumière jusqu'au tréfonds d'elle -- où même les choses les plus folles refusent d'aller.
Tout au fond, dans les cellules les plus sombres. De minuscules points de lumière !
Comme des petites lanternes à l'intérieur de ses veines.
Ou des vers luisants recroquevillés pour dormir. Dans la partie d'elle la plus secrète -- un endroit où elle ira siroter du thé un jour -- et pour s'y rendre elle devra traverser les parties les plus sombres d'elle-même -- entre les aortes qui palpitent en charriant leur rivière de sang -- jusqu'à son cœur où se trouve une petite porte minuscule s'ouvrant sur l'éternité. p 146-147
Le soleil descend en spirale à travers la cime des arbres, révélant des sédiments de poussière argentée et ambrée. Un étang gelé. Des boucles de glace forment une fleur de givre sur une branche tombée. Chaque pétale glacé est parfaitement recourbé et transparent. L'hiver les a sculpté pendant la nuit. Les a placé là.
Le désespoir face à l'imminence de la mort pousse à l'évidence les gens à agir avec gentillesse.
— La tempête de neige Cecilia est le phénomène hivernal le plus effroyable enregistré depuis plus de deux cents ans. D’ici peu nous nous attendons à atteindre le minimum de Maunder, ce qui ne s’est pas produit à ce stade depuis trois cent soixante ans.
(p. 197)
L'absence a quelque chose d'impenetrable.