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EAN : 9782810007066
L'artilleur (25/10/2017)
3.91/5   11 notes
Résumé :
Universitaire espagnol et arabisant mondialement reconnu, Serafín Fanjul a consacré sa vie à l'étude de l'islam comme phénomène religieux, sociologique, économique et politique. Ses travaux majeurs, dont le présent ouvrage est la première traduction en français, ont fait grand bruit en Espagne et l'on peut aisément comprendre pourquoi. Il s'est en effet penché principalement sur Al-Andalus, cette Espagne médiévale dite des trois cultures, où la domination politique ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Une amie m'ayant engage a ecrire sur ce livre, je ne peux qu'obtemperer.
J'avertis: ce sera long parce que je veux donner quelques exemples.

Serafin Fanjul, un des plus grands arabisants espagnols vivants, s'y eleve contre la mythification de l'occupation musulmane de l'Espagne, qu'on presente souvent comme un paradis perdu, paradis de culture, paradis de tolerance, et qu'on se plait a opposer aux societes chretiennes de l'epoque et du lieu, qualifiees de barbares et d'intolerantes.

J'avais deja lu en v.o. “Al-Andalus contra Espana, la forja de un mito". le livre que je recense, publie en France, est plus complet. Il reunit en un seul volume deux livres, “Al-Andalus contre l'Espagne” et “La chimere d'Al-Andalus" et contient en plus, comme introduction, un long et tres acheve article de l'historien et politologue Arnaud Imatz: “La cohabitation pacifique d'Al-Andalus, une mystification historique".

Fanjul nous fait d'abord comprendre que le nom Al-Andalus est celui que donnaient les arabes a tous les territoires de la peninsule iberique qu'ils ont regis, plus ou moins longtemps, le long des siecles. Ce sont des ecrivains romantiques qui l'ont identifie, longtemps apres le depart des musulmans, avec la seule Andalousie. Ce sont ces memes ecrivains qui ont forge le mythe d'un Eden, un jardin d'abondance et de delices, d'un terroir culturel inegale ou tous les composants sociaux, et aussi toutes les religions, vivaient en parfaite symbiose. de ce mythe se sont empares, au XXe siecle, des politiciens pour qui la resurrection d'un Andalus legendaire sert de baguette magique afin de masquer les graves problemes socio-economiques actuels de la region; d'autres qui s'en servent, en ce debut du XXIe, pour precher un demembrement de l'Espagne; des promoteurs touristiques qui n'ont que faire des etudes historiques serieuses; et enfin des intellectuels, de gauche pour la plupart, pour qui toute mise en question du mythe est forcement tachee de racisme.

Or, qu'en est-il? Les conquerants arabes, en 711, sont peu nombreux. Ils laissent les juifs et une minorite de chretiens garder leur religion, en tant que “dhimmis", moyennant impots speciaux et toutes sortes de restrictions degradantes. Pour la grande majorite ce sera, avec le temps, la conversion forcee. Et peut-on parler de convivencia? Il y a eu des epoques de tolerance, mais toujours restreintes dans le temps (jamais plus d'une generation) et toujours restreintes dans l'espace (jamais dans tout Al-Andalus). La plupart du temps c'est l'isolement entre groupes, la discrimination et la haine entre communautes.
Meme entre musulmans, les tenants de la doctrine malikite combattent et haissent les chafites et les zahirites; les arabes meprisent les berberes et les noirs; les luttes pour le pouvoir politique font exploser le califat centraliste des Omeyades en une multitude de petites principautes, les taifas, qui se combattent entre elles et souvent pour cela font appel aux rois chretiens qui ont entame la Reconquista, la reconquete chretienne du territoire; des que les muses semblent se sentir a l'aise et que la poesie et la musique prennent une importance sociale, des hordes de berberes fanatiques font invasion et reinstallent un islam radical, pointilleux et severe (ce seront les Almoravides en 1086 et les Almohades en 1147). Quant aux relations entre les differentes religions, la mefiance, le mepris et la haine sont de regle la plupart du temps. Ibn Hazm, un des inspirateurs de l'amour courtois en Occident, a laisse deux livres antijuifs, deux qui ont survecu a la destruction de nombreuses de ses oeuvres par des fanatiques musulmans (et ce n'est peut-etre pas par hasard que justement ceux-la aient survecu). Dans l'un d'eux, Kitāb al fiṣal fī'l-milal wa'l-ahwā' wa'l-niḥal (= le separateur des religions, des heresies et des sectes) il ecrit que les israelites se sont tournes vers des dieux etrangers apres la mort de Moise, que la Tora a ete corrompue par les juifs le long des siecles, qu'elle n'est donc plus valide et doit etre abrogee. Dans l'autre, Radd ‘alā bn al-Naghrīla al-Yahūdī (= Refutation d'Ibn Naghrila le juif), il s'en prend a celui qui tenait alors le role de grand vizir dans la taifa (la principaute) de Grenade et enjoint les croyants a oeuvrer pour le faire tomber et pour que plus jamais un juif ne puisse acceder a un poste de domination sur des musulmans. Il ne reussit pas a faire limoger Ibn Naghrila, mais apres leur mort de tous deux, son libelle provoque des emeutes contre le fils d'Ibn Naghrila, Joseph, qui est crucifie par la foule, emeutes qui evoluent en tuerie collective: quelques 4000 juifs sont massacres, selon une source tardive, chiffre surement exagere. Mais Ibn Hazm n'est pas seul. Abdallah ben Bologhin de Grenade, qui ecrivit au XIe siecle l'histoire de la dynastie ziride de sa ville, y multiplie les habituels cliches anti-judaiques: avarice, immoralite, mesquinerie, duplicite. Ibn Abdun d'Evora, au XIIe siecle, compare Juifs et chrétiens aux lépreux, aux crapules et, de façon générale, à tous ceux qui mènent une vie peu honorable. Il prescrit leur isolement en raison de leur nature contagieuse.

Les chretiens ne sont donc pas mieux loges que les juifs. Vers 850 s'intensifie une campagne d'islamisation forcee a Cordoue, qui poussera l'eveque Euloge (Saint Euloge) a preferer le martyre, comme 48 de ses ouailles.
Les Almoravides forceront des communautes entieres de chretiens et de juifs a s'exiler vers le Maroc, a Malaga en 1106, a Grenade en 1126. Les Almohades apres eux feront la meme politique de transfer force, qui en fait conduisait une fois en Afrique a l'islamisation forcee, leurs chefs se vantant d'avoir detruit grand nombre d'eglises et de synagogues.

Je passe du mythe de la convivencia a celui du paradis de la culture. Oui, une grande culture s'est developpee en Al-Andalus, dans pratiquement tous les domaines, mais les penseurs et les artistes ont ete desavoues, attaques, poursuivis, pendant de nombreuses periodes, plus longues que celles ou ils ont pu creer en paix. Je cite Fanjul: “Il est aussi surprenant que la riche production litteraire d'al-Andalus ait aussi du souffrir de nombreuses destructions et de nombreux autodafes, et ce a toutes les epoques – songeons a Almanzor au Xe siecle , ou encore a des victimes comme Ibn Hazm au XIe siecle ou Ibn al-Khatib dans la Grenade du XIVe siecle. Tous ces exemples d'intolerance n'ont rien a voir avec les Almoravides ou les Almohades, auxquels on a l'habitude d'attribuer de maniere exclusive l'intransigeance, en vertu de l'excuse bien commode qui consiste a transferer le probleme vers des causes exogenes qui seraient venues troubler le paradis de la concorde”.

Et j'ajoute mon grain de sel: Ibn Rouchd, le grand Averroes, sera aussi exile hors de la peninsule et son oeuvre ne sera en fait connue et citee (jusqu'a nos jours) que par des occidentaux. Parce que toute philosophie qui pouvait questionner la theologie devait etre non seulement bannie mais effacee. de plus, si on doit une partie de la philosophie grecque aux arabes, on ne doit pas oublier que ceux qui ont declenche et developpe une grande entreprise de traductions d'oeuvres philosophiques en latin et romans ce sont justement ceux qu'on qualifie de barbares, les chretiens des royaumes du nord de la peninsule. La premiere initiative vient d'un archeveque de Tolede au XIIe. Siecle, Raymond de Sauvetat, et elle a ete continuee et amplifiee par un roi qu'on designe par “le sage", Alphonse X, qui octroya un statut perenne a l'Ecole de traducteurs de Tolede. L'ecole a ete tres ouverte a la culture arabe, traduisant Avicenne, Averroes, et les juifs Avicebronne et Maimonide. Pas mal pour de soi- disant barbares qu'on se complait a opposer aux lumieres d'Al-Andalus.

Je vais conclure avec une citation de Fanjul: “Les cliches qui visent a idealiser al-Andalus tombent bien vite dans des generalites ou dans la defense de mythes que l'on ne peut plus decemment soutenir aujourd'hui : la « liberte » des femmes andalousiennes ; le traitement affectueux reserve
aux esclaves (même si les achats massifs d'eunuques devraient nous inciter a plus de prudence) ; l'idee fondee sur les premieres conquetes de l'islam selon laquelle « personne n'a jamais ete force à se convertir à l'islam car les musulmans etaient certains qu'ils seraient nombreux a se convertir par pure attraction » ; la certitude ridicule selon laquelle toute la population jouissait d'un degre d'instruction sans pareil ; l'image d'une « cohabitation etroite entre musulmans, juifs et chretiens, entre culture arabe, culture juive et culture occidentale sur le sol iberique » , etc. Cet etalage de bons sentiments repose surtout sur des confusions”.

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Voilà un livre qui démonte le célèbre mythe de la coexistence paisible de des trois religions au sein d'une société raffinée et tolérante, que les conquérants arabes auraient su générer dans les régions de l'Éspagne qu'ils avaient conquises.
L'auteur, arabisant et historien, connaît visiblement son sujet dans le détail historique, sociologique, anthropologique, architectural et autres…
Et le livre apporte des informations particulièrement intéressantes et utiles à qui souhaite aborder le sujet sans préjugé.
Mais que n'a-t-il eu, pour éditer son livre, un éditeur digne de ce nom!
Indépendamment des innombrables fautes d'orthographe, le livre est de lecture très lourde du fait des redondances nombreuses, d'une structure peu claire (peut-être liée au fait qu'il s'agirait, c'est du moins mon hypothèse, à l'origine, d'une reprise d'une collection d'articles sur les divers aspects du sujet?) et qui ne fait pas assez la distinction entre le détail de la présentation des faits, la vision générale que ces faits donnent de la situation, et leur analyse.
Livre indispensable donc, mais d'une lecture qui aurait pu être largement facilitée par un travail d'édition qu'il aurait mérité par son immense intérêt.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Les massacres et sévices perpétrés par les Espagnols durant la colonisation américaine (empalement, éventrement, garrot, travail forcé dans les mines - ce qui revenait à une condamnation à mort à court terme - et une longue liste du même acabit) sont bien connus. Pourtant, écorcher vivants les prisonniers chancas ou yungas par centaines, voire par milliers, et remplir leurs corps de cendres - ainsi que nous le rapportent Pascual de Andagoya ou Cieza de Leon - est-ce légitime quand c'est le pouvoir inca qui en est l'auteur ? La condition d'autochtone autorise-t-elle de telles pratiques ou en permet-elle l'oubli ? Les crimes d'un conquistador extracontinental sont-ils moralement plus répréhensibles que ceux d'un conquistador indigène, alors que les Incas de Cuzco étaient aussi étrangers pour les Canaris ou les Chancas que les Européens ? D'ailleurs, Ibn Battuta recueille des informations identiques concernant des écorchements pratiqués en Inde par les musulmans, alors même qu'écorcher des êtres humains et se servir de leur peau est juridiquement proscrit en Islam, surtout si les victimes sont elles-aussi musulmanes - mais si ce n'est pas le cas, il peut y avoir des variations d'opinions.
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Voilà déjà plus d'un quart de siècle que les zélateurs de la mondialisation et du multiculturalisme annoncent l'émergence prochaine d'un islam européen, réformé, ouvert, modéré, contextualisé, laïcisé, démocratisé, compatible avec les valeurs de la République et de la civilisation occidentale. Gonflés d'orgueil et de mépris, tous ergotent inlassablement, sur "les divergences de spécialistes à propos de l'origine du Coran", feignant d'ignorer que les croyants musulmans et leurs autorités religieuses proclament depuis toujours qu'il s'agit d'un texte incréé ayant Dieu pour seul auteur. / Introduction, Arnaud Imatz
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La société arabe et musulmane en général n'a pas été protégée de telles dérives du comportement humain, dérives qui ne sont pas plus blâmables chez elle que dans d'autres sociétés - mais pas moins non plus. Il est à craindre que la défense à outrance, aveugle et sourde des tiers-mondistes (qui sont parfois sincères, comme Juan Goytisolo) ne soit qu'un moyen d'échapper, au moins sur le plan moral, à notre propre société sans solidarité, aliénée, ennuyeuse, repue de sa vulgarité et de sa routine. on ne peut rien objecter à cette fuite, qui est à la fois un exercice de la liberté et un rejet de coutumes indéfendables à bien des titres. nous nous trouvons assurément face à une réédition au goût du jour de la recherche du Bon Sauvage, sur lequel notre imaginaire projette l'image inversée de nos tares : tout ce qui chez nous, est défaut ou vice devient chez lui une vertu attachante. Mais les tiers-mondistes ne comprennent pas qu'en le transformant en archétype, nous le déshumanisons et nous nous éloignons, toutes voiles dehors, de la terre ferme de la réalité. Nous sommes mus par un espoir presque religieux d'attribuer à d'autres êtres humains le monde idéal que nous n'avons pas su ou ne savons pas créer et habiter.
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Une fois écartée toute prétention de survivance ethnique arabe, sur quoi se fonde le cliché si largement admis ? Tous les indices semblent nous orienter vers deux clefs : la proximité géographique avec le Maroc et le fait historique indiscutable qu'une partie de l'Andalousie a été le dernier territoire musulman de la péninsule ibérique. C'est sur des bases aussi fragiles et critiquables que repose l'arabité de l'Andalousie. Tout le reste (la nourriture, les vêtements, les habitudes du quotidien, l'attitude des hommes dans leur environnement) ont, dans leur ensemble, peu de points commun avec des survivances arabes. Lorsqu'il y a des coïncidences, il faut plutôt chercher les explications du côté des racines méditerranéennes que du côté des influences arabes.
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"De-ci, de-là, toujours les échos mauresques des figuiers de Barbarie." C'est ainsi que parle le poète. Et le gamin rêveur de Jerez de la Frontera, Motril ou Cordoue s'extasie en évoquant de lointains ancêtres qui ont laissé de semblables traces, des traces vivantes - et pas seulement des pierres. puis il consulte n'importe quelle encyclopédie et y lit, incrédule et perplexe, que le figuier de barbarie est originaire du Nouveau Monde (ou du Mexique, pour être encore plus précis). Le cliché de la rhétorique arabophile commence alors à se fissurer. Le figuier d'Inde prolifère bien des deux côtés du détroit de Gibraltar. Mais dans quel sens a-t-il traversé la mer ? Et à quelle date ? Certainement pas avant la reconquête de grenade.
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