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Bon, on va pas se mentir, ce n'est une lecture facile : c'est très référencé, très fouillé, très approfondi et même si le lecteur peut avoir l'impression que l'auteur ne se concentre que sur les femmes et les colonisés, c'est en fait toute l'histoire économique et sociale de l'Europe médiévale et de la Renaissance qui est passée en revue. Et ce n'est pas toujours ce que les profs nous on appris en cours.
Déjà, on y parle des femmes et des colonisés autrement que comme des à-côtés mais comme de vrais variables d'ajustement du capitalisme. C'est parce que ces 2 groupes ont été mis dans les places qu'ils occupent encore souvent aujourd'hui que le capitalisme a pu se développer autant. Les techniques utilisés à ce moment-là sont d'ailleurs toujours d'actualité : expulsion et privatisation des communaux, les adversaires désignés comme sorcières ou terroristes, mis en place d'une forme de servage ; le but est d'augmenter la productivité des terres, d'agrandir les espaces agricoles sans se soucier de ce qui est détruit au passage.
En Europe furent perdues des communautés de femmes (béguinages, groupes de villageoises souvent pauvres vivant ensemble), une sociabilité villageoise (et donc du lien entre tous les membres du village), une médecine traditionnelle (connaissance des plantes mais aussi techniques de soin plus douces, plus proches du malade). Alors certes les rendements ont augmenté (et paradoxalement les famines), les richesses (mais pas le ruissellement), le niveau de vie aussi s'est élevé ; la méfiance envers les femmes et des femmes entre elle aussi, le racisme, ainsi que l'individualisme se sont accentués.
Alors, évidemment, tout 'était pas tout rose avant non plus. Si Fédérici ne le rappelle pas clairement, c'est quand assez clair : les famines et les épidémies étaient ravageuses, les femmes avaient (déjà) moins de droits que les hommes, mais elles avaient une place dans l'espace public et professionnel, la pauvreté était endémique, le pouvoir absolu de la part du clergé et des pouvoir politique (voir les émeutes, les répressions...)
Néanmoins, la mise en place du capitalisme au moment de la Renaissance, avec la destruction physique d'un certain type d'individus qui résistaient à cette mise sous clé des communs a forgé la société d'aujourd'hui. Les sorcières étaient souvent des femmes pauvres, qui pratiquaient une médecine populaire (et souvent la seule médecine accessible aux villageois) ; c'est elles qui avaient le plus à perdre des différentes privatisation et qui y on opposé une grande résistance (les sources historiques attestent souvent de la présence de femmes en tête des émeutes de la faim). Elles ont dû être "apprivoisées", peu importe les techniques utilisées... Idem pour les esclaves et la nature.
Voila (en très résumé) ce qui ne figure que rarement dans nos manuels d'histoire... C'est un essai très érudit, qui rend attentif autant au passé qu'à notre présent.
La prochaine fois qu'on vous parle de sorcières, essayez de savoir s'il n'y a pas une décision de la banque mondiale ou d'une multinationale derrière...
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Silvia Federici revisite la transition entre le féodalisme et le capitalisme, sous l'angle de l'histoire des femmes, du corps et de l'accumulation primitive. Moment de transformation des rapports de travail et des relations de genre, pendant lequel des millions d'esclaves ont alors posé les fondations du capitalisme moderne, tandis que les femmes étaient systématiquement asservies et exterminées par milliers, au nom de la chasse aux sorcières. Elle montre comment « le corps a été pour les femmes dans la société capitaliste ce que l'usine a été pour les travailleurs salariés : le terrain originel de leur exploitation et de leur résistance, lorsque le corps féminin a été exproprié par l'État et les hommes et contraint de fonctionner comme moyen de reproduction et de l'accumulation du travail ».
(...)
Lecture incontournable qui bouleverse les conceptions généralement admises de l'histoire du Moyen Âge, des femmes et du capitalisme.


Compte rendu de lecture complet sur le blog :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Caliban et la sorcière de Silvia Federici est un texte issu d'une recherche menée depuis le milieu des années 70 sur les femmes dans la transition entre féodalisme et capitalisme dans l'histoire.
L'autrice part du principe que les hiérarchies sexuelles sont toujours au service d'un projet de domination et que l'idée post moderne selon laquelle "la culture occidentale" aurait une prédisposition à comprendre le genre par oppositions binaires doit être questionnée. Nos catégories actuelles seraient issues d'une lente construction historique : l'émergence du capitalisme n'a pu se faire que concomitamment à une division sexuée du travail confinant les femmes au travail reproductif (et à la reproduction de la main d'oeuvre notamment). Silvia Federici revendique son texte comme relevant d'une approche marxiste, féministe et foucaldienne de la question des femmes dans ce passage de l'histoire européenne, où elle s'intéresse tout particulièrement à la période, très peu étudiée de la chasse aux sorcières.

En six chapitres d'une incroyable densité (bien trop importante pour une lecture rapide de ce texte), elle revient sur l'époque médiévale et le servage où les différences entre hommes et femmes sont encore peu visibles. A cette époque, la dépendance des femmes aux maris est très limitée par l'appartenance au seigneur local.

L'introduction des premiers salaires au XIIIe siècle, amène avec elle une première phase de prolétarisation des paysans, apparaissent des journaliers, travailleurs sans-terres et commencent les premiers exodes ruraux. Les abus cléricaux et seigneuriaux conduisent aux premiers mouvements hérétiques où les femmes ont une place à part, sans équivalent selon Silvia Federici avec le reste de la période médiévale. Elles développent de grandes habiletés notamment dans le contrôle des naissances. La grande famine suivie de la peste noire du XIIIe et qui auront pour conséquences une grosse chute démographique et une crise du travail, liée à la pénurie de main d'oeuvre, occasionnent alors de nombreuses rebellions paysannes contre le joug féodal.

Une contre-révolution est menée par les autorités politiques qui auront pour objectif principal de canaliser les violences des jeunes travailleurs hommes. Une des mesures de cette contre-révolution consiste à décriminaliser le viol pour "canaliser" les comportements. Pour Silvia Federici, c'est le début de la grande entreprise d'avilissement des femmes. Celle ci s'accompagnera notamment de l'institutionnalisation de la prostitution et des bordels.

La fin du Moyen Age sur une période s'étendant de 1450 à 1650 connaît une nouvelle offensive de la classe dominante européenne basée sur la force et l'enclosure. Un moyen de spolier les terres paysannes, créant ainsi une nouvelle vague de précarisation des individus et le concept du travailleur "libre". Extrêmement paupérisé en réalité. de nouvelles révoltes s'ensuivent qui seront réprimées par la mise en place des "sciences statistiques" cherchant à contrôler mieux ces classes dangereuses. Phénomène qui s'accompagne d'une vague de criminalisation des femmes en vue de leur asservissement à la procréation directement mise au service de l'accumulation capitaliste. Plus d'hommes égale alors, plus de richesses. Des penseurs comme Descartes ou Hobbes concourront d'ailleurs plus ou moins involontairement à ce système généralisé de répression du corps (dédoublé de son âme) qui n'est plus considéré que comme une machine.

L'entreprise de contrôle des naissances et de domestication du corps de la femme, trouvera un point d'orgue, dans le même temps, à travers la chasse aux sorcières que connaît l'Europe aux XVIe et XVIIe siècles. Entreprise violente de répression totale des derniers contrôles des femmes de leurs corps par elles mêmes. Amenant ainsi l'idée triomphante de la féminité soumise et domestique.

Ardu mais éclairant !
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Caliban et la sorcière est un livre extrêmement dense et érudit. La langue utilisée est très accessible mais l'étendue du panel d'exemples et de sujets abordés pour expliquer les prémices du capitalisme peut considérablement déstabiliser le lecteur. Silvia Federici nous propose à la fois un essai d'histoire économique, d'histoire sociale, d'histoire des femmes, d'histoire rurale, d'histoire politique et réussit à mettre tous ces plans en lien avec notre système actuel. C'est prodigieux !

Pour la suivre, il peut être utile d'avoir quelques connaissances de base sur ces différents sujets. Car Silvia Federici ne se contente pas de faire une synthèse sur l'état de la société médiévale et moderne, elle revisite cet état des lieux sous l'angle féministe et marxiste. Si vous avez eu quelques vagues cours d'histoire - un jour peut-être - sur les enclosures sans en avoir saisi toute la portée, en lisant Silvia Federici vous allez comprendre comment les biens communs, les communaux, - en somme des pâturages, des champs et des forêts exploités par toute une communauté de villageois - sont devenus des biens privés, et ont ainsi privé bon nombre d'individus de ressources élémentaires et vitales jusqu'alors accessibles à tous : terres agricoles, bois de chauffage, pâturage pour les animaux, etc. Les premières impactées par cette privatisation des terres ont été les femmes, celles qui jusqu'alors n'avait pas accès à la propriété pour y cultiver leur gagne-pain. Tout le livre de S. Federici consiste à expliciter cette méticuleuse mise en place du système capitaliste puis du travail salarié en Europe et aux Amériques, et de manière collatérale, la manière dont les femmes ont été mises au ban de ce système, notamment par la déconsidération portée au travail féminin. Les soins du foyer et des enfants n'étant pas reconnus selon les lois du capitalisme - puisque non rémunérés - cela n'empêche pas pour autant que ce travail maternel contribue largement à l'effort général puisqu'il en fournit la matière première : à savoir la main d'oeuvre. Ces processus de privatisation des terre, de paupérisation des masses aboutissant à des situations de pillages et de discorde au sein des communautés jusqu'alors unies forment "l'accumulation primitive" selon l'expression de Karl Marx. Silvia Federici s'attache à montrer le rôle prépondérant que joue l'asservissement des femmes dans cette accumulation

Silvia Federici englobe également dans son argumentaire les questions sur les chasses au sorcières, ces femmes savantes, soignantes, veuves, célibataires ou non-mères, puissantes en quelques sorte, car non directement soumises au pouvoir patriarcal et possiblement incriminées du jour au lendemain, torturées et assassinées sur les bûchers. La chasse aux sorcières et ses bûchers par leur caractère despotique et dissuasif se présente comme une solution radicale pour étouffer dans l'oeuf toute velléité rebelle. Silvia Federici montre également qu'en tant que premières impactées par les réformes capitalistes, les femmes étaient également les premières à s'insurger et les premières aussi à subir les répressions.

Selon le même processus d'accumulation primitive, les peuples colonisés ont pu être diabolisés par les colonisateurs, légitimant ainsi leur évangélisation, leur "pacification" et leur esclavagisation. Silvia Federici n'hésite pas à relever la mise en oeuvre de ces processus jusque dans nos sociétés contemporaines, dans certains pays africains notamment où les terres sont en cours de privatisation à l'heure actuelle.

J'espère n'avoir pas trop abimé les idées de Silvia Federici en rédigeant ce court résumé de ce monumental essai, et je ne peux que vous encourager fortement à le lire, le méditer, le laisser décanter, y revenir, le cogiter, le critiquer, etc.
Lien : https://synchroniciteetseren..
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Un essai passionnant et interpellant. L'auteure nous montre la lente évolution de la société européenne vers le capitalisme et l'impact sur les femmes (de la condition sociale au traitement du corps). A côté du volet féministe, l'on rappelle certaines grandes libertés médiévales et le fait que les buchers et les grandes persécutions sont bel et bien des faits "modernes". Sous couvert de l'approche historique, nous voyons aussi l'impact sur notre quotidien et certaines de nos conception.
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La démarche de réflexion de l'autrice est de parler de la chasse aux sorcières par le spectre de l'essor du capitalisme et de ses conséquences sur la propriété, l'accumulation, le rapport au corps et à la reproduction, et enfin la condition des femmes. N'étant pas moi-même très calée en histoire (il semblerait qu'il y ait des inexactitudes, mais n'oublions pas que l'autrice n'est pas historienne de formation), la première partie de son livre m'a beaucoup appris / rappelé les conditions de vie au Moyen-Âge et à la Renaissance, et quels étaient les rapports entre hommes et femmes, employeur•se•s et employé•e•s, souveraineté et peuple, etc. le tour d'horizon dévoilé est très complet, précis et détaillé, et installe des bases assez solides pour comprendre comment se sont développés les rapports d'autorité et d'oppression. C'est donc un ouvrage à la fois social, économique et féministe, qui traite également de ce que la religion dominante a joué comme rôle dans cette évolution.

La deuxième partie du livre s'attarde sur le mouvement de la chasse aux sorcières telle qu'elle s'est déroulée dans différentes parties d'Europe, mais aussi telle qu'elle s'est déroulée lors de la colonisation des Amériques, lors de la traite des esclaves d'Afrique. Silvia Federici offre un parallèle intéressant, sans comparer nécessairement ce qui ne peut l'être, mais en montrant comment ces mouvements se sont inter-influencés et les répercussions que cela a eu par la suite pour les populations et individuEs qui ont subi, plus qu'une oppression généralisée, une véritable hécatombe. Cette partie explique le choix du titre choisi par Silvia Federici, qui fait référence à La Tempête de William Shakespeare.

Je ne vais pas faire un travail d'analyse poussée sur cet ouvrage (d'autres que moi l'ont déjà fait), car je n'ai pas les connaissances nécessaires pour le faire, mais je peux vous donner mon ressenti. Il s'agit pour moi d'un ouvrage plutôt pointu sur la question et qui utilise de nombreuses sources pour étayer les réflexions dont il se fait le porte-parole, et qui nécessite de vraiment prendre le temps d'assimiler et de questionner ce qui est dit. J'apprécie le fait que même s'il est principalement question de la condition européenne, on fasse aussi le tour de ce qui s'est passé ailleurs au même moment afin de mieux poser ce qui s'est déroulé sur une même période et de comprendre ce qui a induit un système d'oppression et de répression absolument cruel pour une population donnée. Il est très intéressant de noter que même si le sujet fait date, il est toujours autant d'actualité d'aujourd'hui, alors que les femmes ne disposent pas toujours de leurs propres corps, de leurs propres possessions, du fruit de leur travail, de leur droit à ne pas avoir envie de faire des enfants, et que la société dominante blanche est toujours aussi raciste, sexiste, classiste, (etc.), ce qui induit que les populations opprimées subissent encore le colonialisme au quotidien.

(voir l'article complet sur le blog)
Lien : https://lecombatoculaire.blo..
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Malgré des inexactitudes historiques, ce livre reste une référence de littérature politique et féministe. Il peut parfois être assez ardu à lire mais reste clair et ouvre des pistes de réflexion très intéressantes.
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Ce texte se penche sur le phénomène des chasses aux sorcières, un sujet qui a été largement ignoré par les historiens, ou relégué dans un coin sombre des "accidents inintéressants" de l'histoire. Federici démontre comment le meutre de centaines de milliers de femmes européennes - mais pas seulement - a été nécessaire à la mise en place d'un système économique capitalistique, dans lequel les femmes furent forcées de se concentrer sur un labeur de reproduction (construire un foyer et le maintenir), effectué gratuitement (contrairement au labeur rémunéré hors de la maison).

Les thèses sont donc complexes, faisant appel à l'histoire d'une époque que nous connaissons souvent mal, ainsi que des théories économiques et sociales que le lecteur non académique n'aura pas (ou plus) l'habitude de manier.

Il n'en rests pas moins que ce livre permet de repenser la division du labeur et le système économique dans lequel nous vivons. Il ouvre aussi un champ d'identification aux femmes, qui comprendront pourquoi certaines contraintes sociétales modernes pèsent comme des traumatismes hérités. À ce sujet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet serait une porte d'entrée plus simple pour ceux et celles qui veulent avoir quelques notions en tête avant de commencer Caliban et la sorcière.

Ps, je précise que je l'ai lu en VO, c'est à dire en anglais.
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Une lecture un peu fastidieuse mais le livre vaut vraiment la peine d'être lu jusqu'au bout.
On trouve ici des éléments historiques complets pour comprendre l'intrication entre la notion de propriété et l'asservissement des femmes.
Prenez votre temps mais vous serez heureux de l'avoir lu!
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Très difficile de faire une critique pour cette ouvrage et peur de trahir ce propos très riche et précis. Une lecture très intéressante, qui met en parallèle et en perspective plusieurs mécaniques d'oppression, toutes ayant pour origine le capitalisme et l'accumulation primitive.
Un livre dense qui mérite beaucoup d'attention mais qui en vaut vraiment le coup.
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