Peut-être que le foetus recroquevillé dans ce placard aurait dû y rester à palpiter dans le noir pour toujours afin de contourner la mortalité. Et pourtant, il fallait que ce foetus émerge de son berceau-tombeau, sinon il n'aurait jamais appris l'énergie qui vient du désespoir et l'ingénuité qu'engendre la nécessité.
Eh bien moi je leur dirai, vous vous gourez, c'est de la fiction pure que je vous raconte, parce que toute mon enfance, je l'ai complètement oubliée. Elle a été bloquée en moi. Donc tout ce que je vous dis, c'est inventé, c'est de la reconstruction. Et puisque tout ce qui s'écrit est fictif, comme l'a dit Mallarmé, ce que je suis en train d'écrire, c'est de la fiction.
J'aimerais pouvoir en dire plus sur mes soeurs, mais c'est tout ce qui me reste d'elles. Cette photo, et ce jour qui nous a tellement marqués.
Pour aller à Montrouge à pied de la porte d'Orléans, c'était dix minutes de marche à travers la zone. Les gens se mettaient en groupe. Cinq ou six personnes qui marchaient ensemble pour se protéger parce qu'ils avaient la trouille de se faire attaquer par les Sidis.
Et c'est ainsi que, doucement, du bout des doigts, conscient déjà que sa tuberculose allait bientôt le tuer ou qu'une impardonnable énormité l'effacerait de l'Histoire, mon père essayait de me communiquer son ardent désir d'absolu.
Un retour dans le débarras - Raymond Federman .Séquence réalisée en 2002 pour l'émission "Mic Mac" sur Arte, à l'occasion de la nouvelle édition de "La Voix dans le débarras" parue aux Impressions Nouvelles et de la publication de "Chut !" aux éditions Leo Scheer Raymond Federman avait accepté de retourner avec Benoît Peeters à Montrouge, dans la maison de son enfance, où toute sa famille fut arrêtée lors de la Rafle du Vel d'Hiv http://www.lesimpressionsnouvelles.com/catalogue/voix-dans-le-debarras/