Ah la la ! Il faut que Madame de Lamberterie se calme ! "Une flèche dans le coeur", il faut préciser : une flèche en plastique avec au bout une ventouse en caoutchouc !
Pourquoi cela ? Suis-je donc si méchant ?
L'avant-propos et les remerciements qui clôturent le livre nous convainquent indubitablement de l'implication de
Jim Fergus dans cette biographie et de l'importance du travail de documentation qu'il a fourni pour romancer une histoire dont la nature même est exceptionnelle. Et c'est très bien, cela nous permet de nous fabriquer une image mentale du Paris artistique des années 1925 - 1929 passionnante et que nous croyons volontiers "vraie". Nous entrevoyons avec clarté les vies, les galères, les joies, les excès, les amours de cette communauté de peintres, écrivains, poètes qui ont fait la lumière de ces années. Et la place des femmes dans ce milieu pas toujours généreux.
Alors pourquoi es-tu si grincheux (autrement que par nature, diraient mes enfants) ?
En raison du style de l'auteur, pardi. À l'entame du livre j'ai mis la prose détachée de l'écrit et l'usage dominant du passé simple sur le compte d'une volonté de positionner l'histoire avant de l'enflammer (supposai-je), d'autant que
Chrysis est issue d'un milieu grand bourgeois dominé par un père militaire de haut rang, héros multi décoré de la grande guerre. Puis
Chrysis, cette jeune femme à la volonté farouche d'émancipation et de réalisation personnelle par la peinture, fait sauter les bouchons un à un et s'immerge dans l'univers de la nuit qui favorise tous ses dessins. Après diverses expériences personnelles dont elle tire profit dans sa démarche artistique, elle vit un amour absolu avec Bogey Lambert, un américain rescapé de la guerre de 14-18.
Je fais court sur le résumé de l'histoire, il faut juste savoir qu'elle (est) aurait été très passionnante et de nature à nous bouleverser.
Mais il y a l'écriture de J.
Fergus. Ses descriptions qui affadissent les situations. Et plus que tout ses dialogues... Les échanges verbaux sont ampoulés au possible, leur tonalité transforme cette belle biographie en un plat de belles couleurs sans aucun goût.
Comment croire qu'un paysan du Colorado utilise en permanence un vocabulaire à la bouche pincée ? Comment deux amants brûlés par l'amour, le désir et la passion peuvent-ils exprimer leurs sentiments avec de telles phrases monocordes, dignes de l'émotion d'un japonais timide ? Qui me fera croire qu'un fermier américain ayant combattu une petite année sur le front aurait acquis ce vocabulaire élaboré stérilisé par une façon de parler pleine de retenue, d'insipidité ? Je ne pense pas que la langue française châtiée soit la principale compétence qu'ait voulu inculquer la Légion Étrangère à Bogey pendant sa période sous les drapeaux. Et comme
Chrysis parlait mal l'anglais, on ne peut pas imaginer l'inverse non plus.
Comme tous les dialogues entre tous les personnages sont de la même eau, qu'ils soient artistes, militaires, maîtres ou élèves, connus ou pas, bourgeois ou putes, indien ou cow-boy, français ou étrangers, la déception et l'ennui s'installent chez le lecteur le plus indulgent.
Alors oui, l'histoire de
Chrysis est hors du commun, oui
Jim Fergus a bien fait de l'exhumer par ses recherches qui semblent considérables, oui il avait le droit de la romancer (comment aurait-il pu faire autrement d'ailleurs), mais non il ne devait pas l'édulcorer en 15CH.
Ce que malheureusement il a fait. Quel gâchis.