Emil Ferris mettra six ans à réaliser cette oeuvre d'exception ! Après 48 refus (certains doivent s'en mordre les doigts aujourd'hui) et forte de ténacité et de persévérance,
Emil Ferris est propulsée désormais parmi les « monstres » sacrés de la bande dessinée ! Riche de 800 pages, ce roman graphique »
Moi, ce que j'aime, c'est les monstres « est conçu sous la forme d'un journal intime. Publié aux éditions
Monsieur Toussaint Louverture, il est le phénomène de cette année 2018 !
Dans le tumultueux Chicago de la fin des années 1960, Karen Reyes est une fillette de dix ans au physique plutôt ingrat. Mais ce qu'elle aime par-dessus tout, ce sont les monstres ! Alors pour échapper aux railleries de ces camarades de classe, elle laisse libre cours à son imagination, et se transforme ainsi en loup-garou !
» Monstre, ça vient du latin monstrum, et ça veut dire montrer, comme dans démonstration. Mais les G.E.N.S. , eux, disent « nous, on n'a jamais vu de monstres, alors y peut pas y en avoir. «
Karen vit avec sa mère et son frère Deeze. Mal dans sa peau, c'est un jeune homme qui se laisse aller à ses pulsions en tout genre.
» Parfois, comme le dit maman, « Deeze a le diable au corps ». C'est déjà arrivé qu'il perde son calme avec elle et moi. Chez Deeze, c'est une rage aveugle, comme s'il oubliait le mal qu'il peut faire. «
Malgré tout, l'amour indéniable de ce frère très protecteur, lui ouvre les portes de l'art en l'entraînant dans les musées de Chicago et en lui expliquant comment « entrer » dans les tableaux.
Mais un jour, en rentrant de l'école, elle apprend que sa voisine, Madame Anka Silverberg, est morte dans son appartement. Un suicide d'après les premiers éléments de l'enquête.
» 14 février 1968. Aujourd'hui, notre voisine du dessus, Mme Anka Silverberg est morte dans d'étranges circonstances. Elle a reçu une balle en plein coeur alors qu'elle se trouvait dans son salon, mais c'est dans son lit qu'on l'a retrouvée, bien bordée et couchée comme si de rien était. «
Secrètement amoureuse de sa voisine, la fillette ne peut laisser une telle injustice impunie, et décide de mener l'enquête. Affublée d'un imperméable et d'un chapeau, elle fouille le passé d'Anka pour tenter d'élucider ce mystère. Elle va découvrir qu'entre le passé d'Anka dans l'Allemagne nazie, son propre quartier prêt à s'embraser et les secrets tapis dans l'ombre de son quotidien, les monstres, bons ou mauvais, sont des êtres comme les autres, ambigus, torturés et fascinants.
Mais Karen n'est-elle pas là pour nous dire qu'en chacun de nous sommeille un monstre ?
Karen voit sa propre différence comme une monstruosité. Et c'est là tout le talent de l'auteure. En utilisant le concept de la personnification à travers ces graphismes, elle rend l'héroïne attachante. Complexée et torturée, elle est en proie à ses premiers désirs. Si elle les refoule dans un premier temps, elle va petit à petit s'accepter et en ressortir une force et une sensibilité. S'il est donc question de différence, il est tout autant question de résilience.
Notons également les nombreuses références aux monstres dans la littérature, telles que «
Frankestein » de
Mary Shelley.
Emil Ferris assume ses prises de position quant à la place de l'art.
Graphiquement, le lecteur retient cet incroyable travail au stylo-bille qui anime littéralement ses pages, pour imiter un carnet intime d'écolière, avec ses lignes, sa marge et sa spirale au centre. D'abord subjugué par le dessin, il pénètre dans le récit. Chaque détail a son importance, et les pages sont denses ! On prend plaisir à s'attarder sur chaque planche. Cette oeuvre est un véritable OVNI littéraire, qui casse tous les codes narratifs ! Une expérience inédite, que je recommande vivement ! Impatiente de découvrir le prochain tome !
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