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Les fissures de l'aube - Témoignages poétiques - Alain Fleitour - Editions L'Harmattan - lu en février 2020 - Lecture papier et audio.

Alain Fleitour m'a fait l'honneur de m'envoyer son livre" Les fissures de l'aube", témoignages de vie sous forme de poèmes, accompagné du livre audio, avec une dédicace qui m'a beaucoup touchée. Un tout grand merci Alain. J'ai été complètement déconnectée du monde pendant l'écoute et la lecture de ce recueil divisé en 12 tranches de vie : Partir - Exister - Les couleurs - Découvrir - La main - Voyages - Silences - Cosmos - Différences - La guerre ou la paix - le blanc et le noir - Combattre.

12 tranches de vie divisées en poèmes, chacune d'elles débute par un haïku illustré par un idéogramme de Wenjue Zhuang, artiste chinoise enseignant la calligraphie.

La superbe couverture, oeuvre de l'auteur il faut le souligner, illustre à merveille le contenu du livre, Elle m'a fait penser à la tempête qui a traversé la Belgique ce week-end, un ciel mêlant la violence des éléments, l'éclaircie et l'accalmie. La vie en quelque sorte.

Comme Alain Fleitour l'écrit dans sa préface," il a voulu devenir le témoin de son temps, de son histoire, témoigner de ses émerveillements, de ses déchirures. Des témoignages de vie, de mort, de l'inéluctable à la renaissance."

C'est beau - C'est simple - C'est sombre et lumineux - C'est gai et triste - C'est le yin et le yang.
C'est un voyage dans ses souvenirs et ses rencontres.

Certains de ces poèmes sont un hommage à ceux et celles qui sont passés dans sa vie et qui resteront à jamais gravés dans son coeur.

Le livre audio est une merveille, la belle voix d'Emmanuel Jolivet et la musique de Bruno Cocset (qui a créé son propre ensemble baroque "Les Basses Réunies"), avec son violoncelle dont l'archet sait si bien vous arracher des larmes, sont un plaisir pour les oreilles.

Vous dire quel poème j'ai plus particulièrement apprécié m'est très difficile, mais je retiens malgré que tous m'ont plu, "Ils sont partis avant nous -
Tu viens - Prendre ta main.

Ils sont tous magnifiques.

J'espère que d'autres lecteurs vous découvriront dans" Les fissures de l'aube".

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J'aime devoir sortir mon dictionnaire (bernaches, pétole, ligule, merisier, sterne, houe, latérite) pour lire une oeuvre (je suis une métèque qui n'a de cesse de s'approprier la langue française) et j'aime surtout beaucoup la poésie. Ici, de la liberté prosodique, même si parfois les sonorités et les sororités lexicales engendrent de belles rimes.

Une couverture très originale qui est également l'oeuvre du poète (élève de Wenjue ZHUANG) d'après ce que j'ai compris : le titre de cette estampe est « La Vague ».

Avec les épigraphes, je fais la découverte, bienheureuse de Alain Borne (dont on trouve sur ce site quelques autres citations).

Il y a ensuite le moment très émouvant de la dédicace « à toutes mes familles » (suivi d'une liste de prénoms) à mettre en parallèle tout d'abord avec le poème « Ils sont partis, avant nous » (p. 16-17). Quel bel éloge aux morts !

Dans une judicieuse préface, le poète nous propose un fond sonore supplémentaire : « […] j'ai songé à faire accompagner ces textes par le violoncelle de Bruno Cocset […] » « À la fulgurance de l'interprétation de la pièce de musique “La Nascita del Violoncello” de Domenico Gabrieli d'une mélodie exceptionnelle se mêle la voix d'Emmanuel Jolivet libérant de mes textes une version épurée et fluide ».

Les différentes parties sont introduites par une belle calligraphie et par une sorte de haïkus (mon préféré c'est le coquelicot à la page 29).

Une poésie qui me semble très sensorielle et aussi très engagée, envers les proches, envers les aveugles (avec « Les fissures de l'aube » p. 79-80), avec la dénonciation des horreurs de la guerre (au Liban, en Syrie), envers la mer, envers la nature bienfaitrice (parfois cruelle : cf. « Ce soir sur BAAM » consacré au tremblement de terre du 26 Déc. 2003). Un lyrisme subtil et sobre. Une très belle découverte.
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Un grand merci à Alain Fleitour pour l'envoi de ce recueil de textes poétiques, à lire et/ou à écouter, selon ses aspirations.

Les fissures de l'aube se révèlent (et se lèvent) avec sensibilité et pudeur au détour de 12 thèmes (Partir, exister, les couleurs, découvrir, la main, voyages, silences, cosmos, différence, la guerre ou la paix, le blanc et le noir, combattre).

« C'est ma vie qui se blesse
Aux couleurs de l'automne. » P31

Elles racontent un voyage intérieur - des témoignages poétiques, comme le souligne la couverture - au coeur de la fragilité et la douceur de la vie ; un voyage qui se nourrit de fêlures, des blessures de l'enfance, de la mémoire des absents, d'évènements marquants, de combats, mais également de l'amour des êtres chers et, tout simplement de la vie !

« de leur voyage au-delà de la mer
Des terres perdues, de la mémoire trompée
Tu viens des herbes sauvages
Saturées de brûlures
Tu viens des ciels trop bleus, trop durs
Dans l'émerveillement des vols d'oiseaux
Tu viens des douleurs de l'aube et du couchant. » P18

Des textes souvent empreints de mélancolie, de silences murmurés, de cris muets, de révoltes, mais également de tendresse et de chaleur, comme un arc en ciel jaillirait d'un ciel tourmenté, l‘envelopperait, l'éclairerait, se diluerait. Il n'est d'ailleurs pas rare que mélancolie et douceur se mêlent dans un même texte…

« Ne me cherche plus
Ce soir tes bras me tiennent éveillé
Tes yeux me noient de ciels
Je suis un soupir dans la gamme des souvenirs
Au matin tu me ravives dans le ruisseau du soleil
Au murmure de ton chant. » P26

Mais c'est aussi un chemin de résilience, une renaissance de chaque instant…

« Il y a tant de choses qui vibrent et qui résonnent
Tant de couleurs et de cris
Tant de ciels changeants et tant de douleurs
Tant de mal de vivre
De combattre
A renaître» P86

Certains textes ont plus résonné en moi que d'autres. Mais à ma grande surprise, j'ai aimé les écouter (à l'exception de quelques-uns que je n'ai pu appréciés pleinement qu'en les lisant). Pourquoi à ma grande surprise ? Parce que ma dernière expérience en audio a mis en évidence que le rythme et la tonalité imposés par le conteur ne me convenaient pas forcément. Mais là, racontés par la voix harmonieuse d'Emmanuel Jolivet, avec en musique de fond le superbe morceau « la nascita del violoncello » interprété par Bruno Cocset, ils prennent une toute autre dimension. Pour certains d'entre eux, tels ces hommages qui égrènent ce recueil par exemple, c'est même particulièrement bien adapté. Ils s'écoutent comme un récit, un morceau d'histoire arraché au temps. Je les ai écoutés le regard vagabondant au loin, au-delà des façades bétonnées que j'avais parfois devant les yeux au moment de mon écoute ;)
Un mariage de la lecture et de l'audio tout à fait réussi et complémentaire en ce qui me concerne, et que j'ai beaucoup apprécié.
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Petite devinette :
Quel point commun y-a-t-il entre Bernard Menez, The Edge (guitariste de U2), Francis Lalanne, Martine Aubry, Dustin Hoffman, Emiliano Zapata, Roger Federer, Alain Fleitour et moi ?
Nous sommes nés le même jour, à quelques années près.
Quel autre point commun y-a-t-il entre Alain Fleitour et moi à part babel ?
Nous nous sommes croisés lors d'une rencontre de babelioteurs de la région de Vannes. Pas eu le temps de faire vraiment connaissance puisque je partais quand il arrivait et que si le groupe semble bien lancé, je n'ai pour ma part pas donné suite.
Quelques mois plus tard, Alain m'a gentiment envoyé son recueil de poésie sachant que ce genre de lecture est probablement celui qui me « nourrit » le plus. Merci à toi.
Pourquoi ces précisions ? Parce que je crois que c'est le billet le plus compliqué que j'ai eu à faire depuis que je m'essaye à l'exercice sur babel. Rester objectif et faire un billet qui ne soit pas complaisant sur le bouquin de quelqu'un avec qui j'ai échangé quelques mots et quelques messages (parce que je ne peux pas mettre que je « connais »).

Les Fissures de l'Aube, quel magnifique titre, évocateur, qui ouvre le champ de tous les possibles.
Et puis cette couverture, superbe, entre ciel et océan, entre nuage et vague, entre brume et écume. Une couverture tout droit sortie du texte Ouessant avec cette ambiance d'Iroise déchaînée. Une Estampe due à Alain aux multiples talents, si j'ai bien compris, qui ne se contente pas d'écrire.
Je me suis engouffré dans cette fissure en me demandant malgré tout ce que j'allais y trouver.
Douze thèmes dans lesquels viennent se mêler de ci de là un t'aime venant adoucir une fêlure, un cri, venant soutenir un espoir, un souvenir.
Douze parties comme douze mois d'une année, comme le temps d'une vie, le temps qu'il aura fallu à celle-ci pour nous façonner à coups de burin ou à coups d'amour.
Douze comme les apôtres, navigant entre l'Ô-dieux et l'Amour, l'ode yeux et l'amor, un regard sur la vie et la mort, entre abandon et trahison.
Douze comme… comme, oui c'est comme ça que j'aime partir dans un recueil, m'approprier les mots, les coller à mon histoire, les tatouer à un ressenti venu de je ne sais où. J'aime quand les mots me donnent cette sensation étrange de déjà vu, de déjà vécu, ailleurs, dans une autre vie diraient certains. J'aime pouvoir interpréter peut être parce que j'ai du mal avec l'autorité, j'ai du mal quand on m'impose.
Dans Les Fissures de l'Aube, les premiers textes m'ont vraiment parlé. Tu viens, Un fol espoir, le « terrible » J'apprenais ses Mains ou encore Aux Couleurs de l'Automne pour ne citer que quelques titres, m'ont donné un vrai plaisir de lecture parce qu'ouverts.
Malheureusement tous les textes ne m'ont pas fait le même effet. Pas qu'ils soient mal écrits ni qu'ils n'aient aucun sens pour moi mais pour les raisons que j'évoquais plus haut quant à mon gout pour la poésie. Dans la majorité des textes qui touchent à l'intime de l'auteur, je me suis senti « prisonnier ». Des faits bruts sans aucune issue de secours. Je me suis éloigné de l'estampe qui couvre si joliment les maux de ce recueil, je me suis senti un peu à l'étroit.
« La main des Roches Sèches » par exemple m'a parlé parce que j'ai vécu ce jour où le TK Bremen est venu s'échouer à quelques centaines de mètres de Gâvres et que j'étais à Etel ce jour là, trempé comme jamais sous l'orage comme il est dit dans le texte. J'aurais aimé deviner (avec bonheur ou pas) de quoi il s'agissait, me raconter mon histoire à partir de celle d'Alain alors que là tout est mâché, tout est écrit, tout est dévoilé. de belle manière certes mais sans surprise.
C'est comme pour certains textes plus militants que j'ai trouvé trop soft. Dans ces cas là j'aime quand ça crache, quand ça éparpille façon puzzle mais tout ça n'est qu'une question de gout, de ressenti et n'a rien à voir avec une notion de qualité qui ne reste dans tous les cas que subjective.

Le recueil existe aussi en version audio, accompagné par le son d'un violoncelle. Je n'ai malheureusement pas réussi à le télécharger (j'ai encore merdé dans je sais pas quoi ^^) donc pas d'avis sur le mariage des deux.

Rares sont les recueils de poésie qui emportent de la première à la dernière page. Les Fissures de l'Aube ressemble finalement à sa couverture. Des hauts et des bas, une vague qui se creuse, un nuage qui perce, des embruns qui vivifient, une bruine qui chagrine. La vie quoi.
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Ces textes m'ont bouleversée.
Je n'imaginais pas que quelques mots choisis pouvaient suffire à dénoncer certaines absurdités humaines.

J'ai été très émue. Avec des mots simples, sincères, Alain Fleitour fait vibrer la VIE, le vide, ou la chaotique marche de monde. 
J'ai aimé cette écriture limpide, humaine, tendre et pudique. Nul besoin de fioritures pour exprimer des émotions.
 
Vous êtes prêts pour un beau voyage ?
Fermez les yeux et laissez votre âme vagabonder au gré des mots qui se posent sur les accords de violoncelle.
Vous frissonnez ? Laissez-vous aller.
C'est la magie de la poésie d'Alain Fleitour qui vous enveloppe.

« Avril, l'ivresse nous embaume,
la nature toute en fleurs
explose ses bourgeons, en éclats de couleurs,
les fruits, les bouquets s'étalent sur les marchés.
C'est la belle saison.
Sur Damas c'est le printemps
à l'ombre des bombardiers.
Dans les villages, c'est la belle saison des giboulées,
de bombes et de fracas.
Le vent porte la clameur des enfants qui se meurent
et les talus de braises des enfants qui se taisent,
les jeux pulvérisés, l'air et les peaux asséchés.
Alors viennent les mères, leurs sanglots étouffés
dans l'horreur du sarin, des bébés sont bercés
Au vent d'avril s'égouttent les pleurs d'enfants fanés,
On n'entend plus la clameur des enfants qui se meurent. »
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Elle vient de déposer ses pattes sur le clavier, elle veut participer ma petite féline, à l'écriture de ce billet… Sa douceur m'accompagne…. dans la lecture des fissures de l'aube.

Alain, merci pour ton écriture, ta sensibilité, que tu as déposées au travers de 37 poèmes qui se décomposent en 12 thèmes.L'auteur nous propose aussi la version audio, la tessiture de la voix est tout à fait adaptée à la lecture de poèmes en musique.

C'est donc avec beaucoup d'émotions que j'écris ces quelques mots. Merci d'avoir eu l'attention de déposer ce cadeau dans ma boite aux lettres. J'avais le coeur en fête….

Ton recueil est un petit bijou : le titre, sa première de couverture, la préface, les estampes, la quatrième de couverture.

Je ne te connais pas beaucoup, et encore moins ton parcours professionnel, mais lorsque je t'ai lu, je t'ai reconnu.

Cette cohérence entre les mots vécus et choisis résonnent tout au long de ce recueil. L'émotion vraie est palpable. La nostalgie, la mélancolie t'accompagnent, mais jamais avec outrance, tout est calibré.

J'ai pris le temps pour écrire ces quelques mots, car cela ne se lit pas comme un roman et ne se restitue pas n'importe comment.

Merci pour tous ces jolis mots si bien agencés, pour ce cadeau que tu nous fait.
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Lettre à mes amis, à vous lectrices et lecteurs.

Les textes qui jalonnent ce livre, témoignent, tous racontent un fait, une histoire, mais derrière l'auteur se cache parfois Moi-de-onze-ans, reprenant à mon compte le livre de Frank Venaille, et sa propre voix Moi-de-onze-ans, dont je ferai la chronique bientôt.

J'ai retrouvé la photo de Moi-de-onze-ans, et j'ai cherché à le retrouver et lui céder ma plume, le faire parler sur quelques textes .
Car Moi-de-onze-ans ne parlait plus, il s'était muré dans ses silences, muré dans un mutisme appelé timidité. Mais ce mutisme venait de son incapacité d'exprimer son chagrin, de pleurer. Je vois dans son regard une telle dureté, comme si derrière ses traits d'angelot, une carapace le protégeait, et disait je n'ai besoin de personne, la beauté des arbres, et de la forêt me suffisent.


C'est lui qui témoigne, de son père, de sa mère, de sa sœur, de sa famille, avec les mots à lui. Je voulais le faire renaître, avec ses émotions à lui. le premier texte c'est le sien écrit avec une naïveté d'enfant. Moi-de-onze-ans sait qu'il a basculé du bon côté, du côté de la vie, il l'a écrit sur les arbres dans son jardin de Sceaux, simplement. Pierre de Grauw est là, Claude James est là avec cette pension St Gab, sa soeur aînée est là, son frère aîné a pris sa place ; Moi-de-onze-ans a les yeux qui portent au loin, très loin déjà.


Le chapitre, les Silences a été écrit par Moi-de-onze-ans.


D'autres fracas viendront, d'autres abandons, puis d'autres lueurs, sa découverte de la montagne, l'enthousiasme paternel de Pierre Gillet, ses premiers amis, sa douceur irlandaise, la renaissance de son père mettant un terme à 10 ans de solitude, puis d'autres frères. Mais Moi-de-onze-ans, ne sais rien encore ni des écueils à franchir ni des pétales lancées par douze soleils, aux noms si doux.


Au cœur de mes écrits, il y aura toujours la neige car il neigeait ce 25 février 1955.

Le texte page 25, « Il Neige évoque la douleur des femmes aux ventres tissés de sang », c'est la douleur des femmes qui perdent leur enfant avant la naissance, mais les mots sont impuissants.

C'est mon interrogation sur le rôle de l'écriture poétique qui ouvre la nuit au jour. Une interrogation qui a aussi pour vocation de mettre à jour les failles. Les failles de notre existence et de nos systèmes trop bien huilés.


Qui sont les véritables aveugles? Ceux qui se croient sans failles, ceux qui ne savent plus se laisser émouvoir par la vie au delà de ses manques? Même ce qu'il y a de plus lisse, de plus pure, l'aube se découvre des fissures. La neige se tache de noir, la vie touche la mort, la mémoire se heurte à l'oubli et l'homme est confronté a une forme d‘acceptation, la résilience que le poème organise autour de nos vies.

Avec toute ma profonde gratitude pour votre amitié.
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Comment parler poésie ? Je ne sais pas, je ne sais plus... et sans doute ne serai-je jamais qualifié pour. Une amie, il y a très longtemps, évoquait étrangement l'existence d'une "poésie de la vie"... Concept mystérieux. Un enfant heureux de marcher dans un pré au printemps – "à la découverte du monde". Puis un jour, découvrant la prose poétique, les nuits étoilées de l'artiste Bruno Schulz, la petite "Aline" de C.F. Ramuz... et tant d'autres merveilles. L'infini sans clameurs de la plaine creuse de la Tchoukourova de Yachar Kemal. Quelque chose de sobre, de frais, d'évident, de doucement scintillant qui nous touche. "Als das Kind, Kind war" de Peter Handke, les tonalités suaves et paisibles de la voix de Bruno Ganz (jouant un ange) dans "Les ailes du désir" de Wim Wenders... La conviction que malgré Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Jacques Brel ou les "foules sentimentales" d'Alain Souchon, la poésie se niche bien souvent - et d'abord - là où on ne l'attendait pas... Fatalement bien plus "largement" que dans la sphère bien close (pareille à cette "Ville Close" de Concarneau), trop close, de tout poème. Une lumière, une étoile, un renard (tous St-Exupériens)... Fatalement, la dimension St-Exupérienne des trois passages suivants : "Tu viens des sables / Des vents brûlés par le soleil / Des ciels chauffés à blanc / Des nuits peuplées d'étoiles" [extrait de "Tu viens", p. 18] ou : "Je respire / Des souvenirs de fleurs" [extrait de "Au Couleurs de l'automne", p. 30] ou encore : "Et l'enfant joue / Comme chaque soir vers la nuit tombée." [extrait de "Lune de sang", p. 67]. La poésie naît de rien et ne nous mène à rien. Elle est travail et perfection. "Et la mer se déchire, infiniment brisée". Elle est "Brélienne" ou n'est pas. Infiniment pudique. Pas un mot de trop. Resserrée sur l'essentiel. Intuitive et jamais démonstrative. "L'avenir est au hasard". Les fulgurances. L'inattendu. "Comme tu regardes un puits". Rythme secret. La "Première Neige" du tableau de Caspar David Friedrich. La feuille recroquevillée, roulée sur le front de "La femme à la perle" de Jean-Baptiste Camille Corot. La poésie n'est jamais dans l'explicite, dans l'infiniment déterminé, dans le délayé. Elle est dans le pouvoir d'évocation des mots, dans des jeux de lumières patiemment recomposées. La littérature des Pouvoirs Premiers de Ramuz... Les éblouissements du "vieux" Dhôtel au détour de ses pages. "La Pavane pour une infante défunte" de Maurice Ravel, inlassablement réécoutée... Ce cri d'alarme répété du merle dans "Lancelot du Lac" de Robert Bresson, chaque fois que Guenièvre et son amant se retrouvent au Pavillon de Chasse... Les amours, silencieux et matinaux de Grange et Mona dans la petite maison-des-bois du "Balcon en forêt" de "leur" auteur Julien Gracq... Les murs ocres de la forteresse de Bam du "Désert des Tartares" de Dino Buzzati, retrouvés par Valerio Zurlini, anéantis par un caprice de l'Ebranleur-du-Sol connu depuis Homère... La tristesse dans les yeux de Giovanni Drogo enfin écarté de la bataille. Sa fin. le Passage de la Ligne et la poésie des "mots-matière" de Georges Simenon et le rythme savant des phrases de l'Artisan majeur... Ce passage du Trou-de-Ver de l'"Interstellar" de Christopher Nolan – concept visuel de "boule de cristal" dûe à son auteur astrophysicien Kip Thorne – évoluant sous les dissonances harmoniques de Hans Zimmer... La musique des clairs obscurs (soulignée de piano et autres cordes) de la fameuse séquence d' "Une histoire banale" de Wojciech Jerzy Has, née elle-même des sortilèges de la nouvelle d'Anton Tchekhov et témoignant qu' "Autrefois ses yeux disaient : "Tout ce qui arrive est plein de beauté et de sagesse"... La nostalgie des "Adieux" du même cinéaste. Tout ce clair obscur. Tristesse et beauté. Beauté parce que tristesse. Beauté puisque mystères. Ainsi allons-nous tous, jour après jour – "fascinés par les étoiles, les voiles" – à la rencontre de l'exquise "poésie de la vie"...
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Alain Fleitour, LES FISSURES DE L'AUBE
par Monique Charles-Pichon
26 octobre 2019

« Tu viens ? » Vous écrivez que ce sont là les « mots que j'ai les plus choyés » (page 12) et je me demande si ce ne sont pas les mots qui invitent à écrire, à lire, à être. Ils émeuvent, mettent en mouvement, comme s'ils portaient la trace de tous les autres secourables qui nous ont aidés à exister, nous ont encouragé à avancer à notre manière propre, à inventer et découvrir notre vie. Cette incitation est porteuse d'une énergie contagieuse et, d'une façon ou d'une autre, je dois l'entendre pour écrire ou pour entrer en résonance avec l'écrit d'un autre.

Au ciel sourd de l'aube
Les premières neiges
une neige
d'attentes cruelles au coeur des femmes
Aux ventres doux
tissés de sang

Puis virent des plumes étranges de duvet blanc
au nom d'enfants

Il neige dans ma mémoire, on l'appelait
flocon d'argent.(page 25)

Longtemps après avoir fermé votre livre, j'entendais dans le silence détimbré des temps de neige, résonner le tendre et enfantin « on l'appelait flocon d'argent ».
Je pensais aux mères et à leurs bébés ensemble privés de vie, enlevés à leur mari, à leurs enfants ; aux fissures de l'aube ;
aux vivants anonymes, tourbillonnants, vertigineux ; à ceux qui, disparus, ont pour nous un nom, un nom qu'on voudrait être pour eux une demeure et pour nous passerelle et viatique.

Lire des poèmes, c'est aller de rêves en rêves, habiter un instant un texte qui fait des vagues et fait naître des échos souvent insituables. On a souvent l'impression de caboter d'iles en iles, reliées entres elles par une géographie souterraine, un rhizome vivant. Chaque lecture innove, capte de nouvelles harmoniques.
C'est, dans votre recueil, l‘enfant endeuillé de mère et de soeur qui me fait signe, c'est « le chagrin des origines », (j'emprunte cette expression à Lorette Nobécourt,) qui scande ma lecture et ouvre son sillon.
Je m'arrête de nouveau dans ma lecture, vous trouvant enfant cherchant un toi(t) dans la neige.

La neige de notre enfance toute tachée de noir,
Se cherche un toit,
Une maison peut-être, un appentis
Tachée de suie

Et voilà que me parlent d'autres enfants

Ils ont 5,6, et 8 ans, ils partiront pour quelques mois.
Les chandails tout neufs qu'ils ont sur leurs épaules,
ne les réchauffent pas (page 16)

Voyez-vous, depuis que j'écris et que le poème s'impose à moi, je m'interroge sur l'écriture poétique. Je me demande ce qu'elle est, d'où elle sourd ; ce qu'elle empoigne (qui la saisit aussi !) ; ce qui peut la justifier alors qu'elle reste hermétique et étrangère à trop de lecteurs ; à quelles aunes mesurer sa portée, ses ratées et ses aboutissements ? Je n'ai pas la réponse à ces questions, j'avance en lisant et en écrivant, tachant de clarifier des repères, une poétique interrogative, vouée à l'inquiétude et au provisoire. J'ai abordé votre recueil avec ce fond de questions permanentes. Et voilà qu'un texte semble m'indiquer une direction. Dans le poème auquel je fais allusion, vous évoquez votre long mutisme d'enfant que vous reliez au décès de votre mère (Je crois que vous aviez 6 ans lorsque surviennent, proches l'un de l'autre, des répliques, le décès de votre mère et celui de votre soeur, deuils environnés par une série de disparitions groupées dans les années 51-55). Puis vient ce passage, qui m'arrête longuement.

Peut être que demain les mots
Couleront de ma propre main
Et raconteront cette traversée
Que caressera un jour la robe rouge fané de ma mère.
Un conte, un chemin que je tracerai pour lui parler
comme si elle même me racontait mes premiers pas
rentrer dans son intimité sans la dérouter.(page 62)

Ce texte est-il poème ? Journal ? Notations ? Il est un entre deux, une passerelle, peut-être un fragment de poétique en émergence. Il me touche car je crois qu'une part de l'écriture cherche la trace de ce qui a su nous consoler et nous ravir, et qui nous manque. Qu'on ne sait pas vraiment qui parle dans un poème. Qu'il est comme décentré, parole pour l'autre, pour le faire revenir, venir. Incantation.
Parole pour nous faire advenir. Incarnation.
Trouver comment l'autre (qui nous a consolé et ravi et nous manque), nous raconterait le monde et nos premiers pas dans le monde ;
Trouver l'écriture qui aurait la vertu de faire entendre la parole de l'autre et des commencements ; L'écriture poétique est sans doute sur cette trace là, dans cette quête.


« Un conte, un chemin que je tracerai pour lui parler
comme si elle même me racontait mes premiers pas
rentrer dans son intimité sans la dérouter. »

Ces notations sont des cairns sur le chemin. Et la dernière « rentrer dans son intimité sans la dérouter » va droit au coeur. Elle me parle du tact qu'il faut pour ne pas effaroucher la lumière, les disparus ; pour ne pas faire effacer les traces de leur présence. Elle me parle de grâce et d'empreinte d'oiseaux.
Je retrouve votre délicatesse pour aborder la fragilité des êtres dans l'évocation que vous faite de Jeanne, de sa présence vacillante et de sa disparition.
« Les mots feutrés de ses mains
Ne résonnaient plus » (page 56)

Vous évoquez votre ami résistant jusqu'au bout à la maladie de Charcot, communiquant par le regard et le doigt qui bouge sur l'écran, s'évadant de sa prison corporelle par la mémoire et ses voyages, la mer et les chemins de Compostelle. Je ne veux pas quitter votre ami sans citer le nom de Charlotte Gayot. J'ai sur la table ses deux recueils, le premier, une vie quand s'invite la maladie de Charcot, le second En sables mouvants, les deux ayant pour sous titre, Dérision et poésies. Ecrire a fait partie de sa résistance, mais aussi être présente et concernée par les autres et le cours du monde, jusqu'au bout.

Ils ont été confrontés l'un et l'autre à des limitations difficilement appréhendables, indicibles, mais en même temps, ils ne sont pas solitaires. Ils incarnent, dans des circonstances extrêmes et cruelles qui existent pourtant à foison sous des figures multiples, cet Exister Encore (page 34). Je découvre l'énergie de cet Exister dans bien des pages de votre recueil. Il est appétit généreux pour empoigner le monde, plaisir pris aux risques et à l'exploit sportif. Il est vitalité, goût des mers, des montagnes et des volcans ; recherche de l'indompté, lyrisme de l'incarnation. Mais aussi courage et parti pris que la tendresse colore et oriente.

Les haïkus ouvrant les douze parties de votre recueil condensent cette présence sensorielle et sensible au monde. L'écriture devient calligraphie, capte le mouvement d'une présence, vise un essentiel, le moment d'une rencontre sur fond de silence.
Une branche de prunier
Un bouton éclos
L'oiseau bleu (page 24)

Votre écriture dans ce recueil suit des pistes multiples, va où on lui fait signe et semble une présence chaleureuse et spontanée. D'où sans doute ces notes de lecture en forme de correspondance à un ami.

Publiée avec l'aimable autorisation de Mme par Monique Charles-Pichon
son auteure, et son Blog
http://mespasserelles.fr/spip.php?article28
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L'Amour en jachèreLes fissures de l'aube, Alain Fleitour
Deux fois le même billet pour deux oeuvres qui n'en font qu'une, elle sont inséparables pour moi.

Deux oeuvres d'Alain Fleitour que je ne peux pas séparer, les deux se confondent, s'entrelacent et se tiennent, pour moi elle sont inséparables, en symbiose. Elles se répondent, l'une est l'écho de l'autre. Et pour en parler, encore moins facile, quels mots choisir, comment les mettre en harmonie, pourquoi ne pas rester muette et laisser mon silence tout dire ?

Mémoire aux souvenirs en charpie, « une brume de frissons s'effilocha dans ma mémoire », déchirures, « foulures, d'espaces » et « luxation, des temps désunis », « un bouquet de pétales fanées » d'une enfance au coeur « foulé ».
Alain Fleitour met des mots habillés en poésie sur les plaies d'une enfance où la vie lui a enlevé celle qui lui avait donné vie. L'écorchure est à vif longtemps après, mais la vie bouillonne, rien ne s'efface, tout se redessine, est touché par la grâce, celle du créateur, de celui qui reconstruit qui s'abreuve à ses propres larmes et aspire leur force et leur douceur. Elle n'est plus là elle est toujours là présente dans tous ses sens, elle lui a donné « le temps pour déployer l'aventure » de l'amour, de la tendresse, de la transmission et de tout ce qu'on appelle vivre.
« J'ai envie de dévorer le mot bonheur
Et partager la faim de nos semailles
Pour rassasier l'amour ».

L'Amour en jachère est l'amour semailles, l'amour reçu comme des graines pour la moisson future qui, à chaque saison fait croire à la fuite des années. Et les mots d'Alain Fleitour qu'il adresse à ses bien aimés trouvent écho chez tous ceux qui les lisent, des mots métaphores et symboles, des mots qui se souviennent et gardent la mémoire, qui rendent hommage à ceux qui furent qui ont marché jusqu'au sommet d'Annapurna pour une « affaire de cordée ».
Beau symbole de liens et de transmission, offrande d'amour par des mots de choix.

La vie pulse dans les mots d'Alain Fleitour comme une arrivée attendue à souffle perdu, ou comme un départ qu'on sent définitif, comme « un fol espoir » ou une « errance », surtout comme vivre, exister, aimer et donner naissance à l'oeuvre qui continuera la vie.
D'hier ou d'aujourd'hui, adressés comme reconnaissance à un être aimé ou estimé, les mots vibrent résonnent et touchent tous ceux qui les chantent en silence, à haute voix, dans la solitude dans l'abandon, dans la joie, et Alain Feitour le dit mieux que moi :
« Pour ne pas oublier
Il y a tant de choses qui vibrent et qui résonnent
Tant de couleurs et de cris
Tant de ciels changeants et tant de douleurs
Tant de mal de vivre
De combattre
A renaître

Il n'est pas encore venu le temps
De laisser les armes
Le temps où mes jambes ne me porteront plus
Lassé de vivre
Blessé à mourir.
Mon esprit aura-t-il l'énergie ?
Nous aurions eu des oeuvres lumineuses à construire
Peindre l'absence
Combattre le silence
Vaincre nos propres renoncements
Se battre encore jusqu' la prochaine stupeur
Jusqu'aux prochains tremblements. »
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