– Vous connaissez beaucoup de gros mots ?
– Quelques-uns.
– J’ai pas le droit de dire des gros mots.
– C’est naze.
– C’est quoi, “naze” ?
– Un truc pas bien.
– Vous connaissez “merde” ?
– C’est pas un gros mot, ça ?
– Pas si on dit “mer de Chine”.
– T’as raison.
– Jean Cunégonde ta Racine, t’es qu’une mer de Chine. »
Gerald a secoué la tête et s’est un peu fendu la pêche, mais pas dans le mauvais sens, pas à mes dépens.
Mieux vaut perdre que ne jamais avoir eu.
Je me demandais, pour la première fois de ma vie, si la vie valait tout ce travail que c'est de vivre. Qu'y avait-il exactement qui en valait la peine ? Qu'y-a-t-il de si horrible à être mort pour toujours, et à ne rien sentir, à ne pas même rêver ? Qu'y-a-t-il de si formidable à sentir et à rêver ?
Nous passions nos journées à essayer de nous aider l’un l'autre à nous aider l'un l'autre.
[...] Je veux pas arrêter d'inventer. Si je pouvais savoir comment il est mort, savoir exactement, j'aurais pas besoin d'inventer qu'il est mort dans un ascenseur, coincé entre deux étages, comme c'est arrivé à certains. J'aurais pas besoin de l'imaginer en train d'essayer de descendre en s'accrochant à la façade de la tour, comme j'ai vu une personne le faire, sur une vidéo d'un site polonais, ou essayer de se faire un parachute avec une nappe comme d'autres, qui étaient au Windows on the World, l'ont fait. Il y avait tellement de façons différentes de mourir et j'ai besoin de savoir ce que la sienne a été. Voilà. [...]
[...] J'ai pris la lampe torche dans mon sac à dos pour éclairer le cahier. J'ai vu des cartes et des dessins, des photos découpées dans des magazines et des journaux, ou trouvées sur Internet, d'autres que j'avais prises avec l'appareil de grand-père. Il y avait le monde entier là-dedans. Et puis à la fin, j'ai trouvé les photos du corps qui tombe.
Est-ce que c'était papa ?
Peut-être.
Peut-être pas, en tous cas, c'était quelqu'un [...]
Les fantômes s'en fichent, que tu croies en eux.
J’ai dit :
– J’ai besoin de savoir comment il est mort.
Il a feuilleté le cahier pour revenir en arrière et montrer, « Pourquoi? ».
-Pour pouvoir arrêter d’inventer sa mort. J’arrête pas d’inventer.
Je voulais qu'il ait de bons souvenirs, de sorte qu'il revienne peut-être un jour. Ou au moins que je lui manque.
Je t'aime tant que cela me fait mal.
Là est la tragedie de l'amour, on ne peut rien aimer plus qu'on aime ce qui nous manques.