AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,3

sur 444 notes
5
16 avis
4
9 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
1 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Dans « Surveillé et punir », Foucault décrit le passage d'une société de punition à une société de surveillance (généalogie de la morale). Foucault montre que, dans notre société disciplinaire, le corps n'est plus une donnée naturelle, qu'il est investi, requis, traversé par des procédures qui le rendent docile, obéissant afin qu'il puisse être utile (les disciplines). Les corps sont dressés ni par une institution, ni par un appareil mais en application de savoirs-pouvoirs diffus, omniprésents, anonymes, étendus, détaillés, pointilleux, d'une machinerie sans titulaire (micro pouvoirs), comportant instruments, techniques, procédés, niveaux d'application, cibles (micro physique). En les dépersonnifiant, les corps sont individualisés, assignés à un espace pour être normés, archivés, et constamment surveillés. C'est la vie elle-même qui devient objet de pouvoir. Foucault dévoile dans « Surveiller et punir » le rapport qui existe entre un ensemble de techniques de pouvoir, qui prend pour cible les corps, les vies, et la généralisation de la prison. Pour Foucault, c'est la société disciplinaire qui produit, de l'extérieur, certes comme résultat le plus radical et le plus abouti, la prison.


Foucault décrit méticuleusement le passage des supplices aux cellules, de la vengeance à la punition, d'une société de terreur, de spectacle où une multitude contemple quelques-uns à une société de surveillance où une multitude est surveillée par un petit nombre. L'idée de vengeance du souverain attaquée dans sa souveraineté a été abandonnée au profit d'une technologie du redressement par la société toute entière lorsqu'elle est atteinte dans ses fondements. Foucault montre comment, sous la double impulsion d'une orthopédie morale et d'une architecture qui en fournit la possibilité, l'ère carcérale a pris naissance. Un dispositif visant à l'amendement des coupables, au châtiment de l'âme est dans nos sociétés modernes mis systématiquement en place. Les prisonniers sont individuellement encellulés et mis sous surveillance constante. le retour sur soi, l'intériorisation de la faute doit permettre de réifier les âmes sans meurtrir les corps ; la méfiance généralisée doit forcer à l'obéissance. La société ne puni pas moins mais différemment nous dit Foucault. Elle punit avec une sévérité atténuée mais avec plus de généralité. Ce que la peine a perdu en densité, elle le gagne généreusement en étendue. La civilisation disciplinaire a produit la prison mais elle n'a pas eu à faire à une fille ingrate. Bonne élève, la prison a carcéralisé en retour la société toute entière étendant ses procédures arbitraires hors d'elle-même. Un pouvoir carcéral s'est autonomisé du contrôle de la justice et de l'opinion, il a cogéré la peine en inventant des procédés inédits et généralisables (la prison s'est révèlée aussi comme un lieu de production d'un savoir : comportementalisme, techniques de classification, de gestions spécifiques du temps et de l'espace ...).


Foucault dans « Surveiller et punir » affirme : la prison n'échoue pas, elle réussit ! Il faut, nous dit-il, pour s'en persuader, sortir de l'explication interne de la gestion des détenus et se préoccuper de ce qui en amont l'alimente : la production des illégalismes. Les illégalismes sont des éléments positifs du fonctionnement social. Tout espace législatif ménage des espaces profitables et protégés où la loi peut être violée, d'autres où elle peut être ignorée, d'autres enfin où les infractions sont sanctionnées. La bourgeoisie parvenue au pouvoir n'a plus supporté les anciens illégalismes populaires. La centralité du matériel et de la propriété privée, la prise en compte du corps force de travail de l'ouvrier (rendement, absentéisme, migration ...) ont impliqué une reconfiguration autre des illégalismes. La prison a été l'instrument de réaménagement du champ de ces nouveaux illégalismes, la courroie de distribution de son économie. La prison a localisé une plèbe déclarée dangereuse, elle l'a marginalisée, coupée de ces racines sociales pour former une certaine forme d'illégalisme professionnel : la délinquance. Dit autrement, la délinquance a été cette découpe intentionnelle historique de certains illégalismes dans l'épaisseur des illégalismes que la prison a eu pour tâche de cerner, d'exalter, de stigmatiser. Analysée à la lumière cette économie des illégalismes, la prison s'est révélée un efficient appareil d'intégration plutôt qu'exclusivement de répression. Il y a eu en effet de multiples intérêts à cette professionnalisation. La délinquance a entretenu un conflit idéologiquement profitable avec le restant de la population, elle a favorisé l'acceptation de la répression et le contrôle policier sur l'ensemble de la société et elle a servi de main-d'oeuvre à la bourgeoisie pour surveiller, infiltrer et manipuler le prolétariat. Elle a pesé sur l'illégalisme populaire et laissé dans l'ombre l'illégalisme des classes au pouvoir.


Foucault met enfin à jour, avec la prison, le personnage qui allait désormais dominer la scène judiciaire : l'individu dangereux. Extrapolé à partir de faits indéniables mais aussi isolés et (ou) résolus qui se transforment en tendances natives, dispositions permanentes, l'individu dangereux est à la fois considéré comme malade et criminel sans être l'un ou l'autre. Il a la double appartenance au champ judiciaire et au champ médical. Un déplacement a été ainsi significativement opéré : ce n'est plus l'acte qui est désormais répréhensible mais son auteur. La psychiatrie dans notre société contemporaine est devenue le vecteur dominant de la scène judiciaire avec la question centrale de la dangerosité et ses deux corrélats : l'accessibilité à la peine et la curabilité des détenus. La notion de risque est aujourd'hui mise en avant et la peine est le moyen non de punir mais de prévenir. Foucault pensait que si la dangerosité traduit souvent un danger imaginaire, une virtualité, les mesures pour la circonscrire en revanche étaient réellement productives d'insécurité, de peurs et d'obsessions sécuritaires.


Michel Foucault déclarait : « Ecrire ne m'intéresse que dans la mesure où cela s'incorpore à la réalité d'un combat, à titre d'instrument, de tactique, d'éclairage ». « Surveiller et punir » est-il l'instrument souhaité par l'auteur ? Est-ce que cette subtile mécanique peut encore rogner quelques barreaux, ouvrir quelques portes, élargir quelques brèches, écarter certains murs ? Elle l'a indiscutablement fait. Une fois lu, faut-il ranger sagement l'ouvrage sur une étagère, faire quelques commentaires élogieux, approximatifs ou savants et retourner à la routine des peccamineux surveillants, des portiques mouchards, des orwelliens ronds-points et des incertaines coursives ? Un spectre de Foucault semble pourtant encore hanter l'espace du carcéral.
Foucault avec « Surveiller et punir » a durablement changé notre regard, il a rendu inévidentes nos évidences les plus quotidiennes. Il a montré selon quelle nécessité la prison est advenue et du même coup comment elle pourrait disparaître. le recours à l'incarcération comme dispositif pénal privilégié n'est en effet pas de toute éternité. Il a montré plus généralement comment du savoir produit du pouvoir disciplinaire dans la société toute entière.
Commenter  J’apprécie          60
Un gros classique des sciences humaines et sociales, et j'ai compris pourquoi. D'où vient l'idée d'enfermer pour redresser ?
Cet ouvrage philosophique et historique fait une généalogie de l'institution carcérale. Il est question de prison, mais aussi d'autres lieux modernes de correction disciplinaire, de contrôle des corps et d'actions thérapeutiques sur les esprits (Foucault parle d' "orthopédie sociale") : l'armée, l'hôpital, l'école... il résonne toujours dans l'actualité sociale. Surveillance, exercices, classement, examens et enregistrements sont finalement décrits dans leur développement historique, pour montrer comment les forces sont canalisées et maîtrisées. Car les hommes et les femmes doivent être utiles. Cet assujettissement est organisé techniquement : Foucault parle de biopouvoir et de technologie politique du corps. Il existe de nombreux procédés disparates, ce n'est pas le fait d'un État en particulier ou d'une institution.
Foucault retrace le passage des tortures et exécutions publiques à un jeu de douleurs plus subtile et discret, avec l'idée d'une peine corrective. Il y a une humanisation visible (respecter l'humanité des personnes), un adoucissement des lois dès le 18è siècle; mais le corps des condamné•es devient un bien social utile, dissuasif pour les autres.
Dès le 19è siècle le spectacle punitif devient progressivement enfouissement bureaucratique, et le châtiment devient une économie des biens suspendus (prison, travail forcé, déportation...)  La discipline devient l'art de répartir les personnes dans l'espace, avec des techniques de contrôle des activités... L'appareil pénal s'est médicalisé, psychologisé et pédagogisé.
Cet ouvrage propose de nombreux concepts et notamment le panoptisme, avec la panoptique comme figure architecturale de la surveillance absolue, institution disciplinaire parfaite...et ce dispositif peut s'intégrer à n'importe quelle fonction (éducation, châtiment, thérapie, observation...)
La prison est en tous cas présentée comme un grand échec de la justice pénale : elle ne diminue pas le taux de criminalité, elle provoque la récidive, peut même créer des réseaux de délinquance...elle fait tomber dans la misère les familles de détenu•es. Mais elle n'est pas remise en cause car elle a des fonctions précises.
Difficile de résumer cet ouvrage passionnant étayé de nombreux exemples et de fines analyses.
Commenter  J’apprécie          42
Le livre sur les mécanismes de la justice pénale qui m'a accompagné tout au long de ma propre expérience de cette soi-disante justice. Après une analyse historique, Michel Foucault pose la question : pourquoi continue-t-on à faire des lieux criminogènes, qui ne fonctionnent pas, et dont on entretient l'opacité et la violence ? Son analyse sociologique offre une démonstration magistrale.
Commenter  J’apprécie          10
Pourquoi avons-nous honte de nos prisons ? Et pourquoi nos prisons sont honteuses. Comment découvrir l'humain que nous sommes par les châtiments que nous acceptions voir infliger.
Commenter  J’apprécie          10
Ouvrage de référence sur la surveillance et le système punitif carcéral, dans leur organisation et leur fonctionnement. Il jette les bases de la compréhension des peines contemporaines, et plus particulièrement de la prison et du panoptique. Livre très recommandable.
Commenter  J’apprécie          00
La bible du criminologue. Juste impressionnant. A l'instar de sartre, les intellectuels français du XX ont l'air d'être critiques et gauchiste. Comme si un intellectuel n'a pas de vie à droite.
Commenter  J’apprécie          00




Lecteurs (2048) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (5 - essais )

Roland Barthes : "Fragments d'un discours **** "

amoureux
positiviste
philosophique

20 questions
854 lecteurs ont répondu
Thèmes : essai , essai de société , essai philosophique , essai documentCréer un quiz sur ce livre

{* *}