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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
La description de l'exécution du régicide Damiens, tirée de la Gazette d'Amsterdam du 1e avril 1757, donne le ton à ce livre, où Foucault entremêle au fil exigeant de sa pensée précise et brillante des images frappantes trouvées ici et là au cours des siècles.
Comme souvent chez Foucault, le titre est trompeur. Alors qu'on pourrait s'imagier que le sujet principal semble être les systèmes de contrôle normatif des populations, il s'agit avant tout d'exposer, en survolant l'évolution des milieux carcéraux, la relation entre le pouvoir et la discipline :
« S'il y a un enjeu politique d'ensemble autour de la prison, ce n'est ... pas de savoir si elle sera correctrice ou pas; si les juges, les psychiatres ou les sociologues y exerceront plus de pouvoir que les administrateurs et les surveillants... le problème actuellement est plutôt dans la grande montée de ces dispositifs de normalisation et toute l'étendue des effets de pouvoir qu'ils portent, à travers la mise en place d'objectivités nouvelles. » (313)
Foucault tente de démontrer que la transition de la société vers la modernité entraîne la formation d'institutions de plus en plus aptes au contrôle disciplinaire des populations. Alors que la punition visait autrefois le physique du coupable, depuis les lumières, la cible a été transférée sur son esprit. Ce n'est plus l'extériorité mais bien l'intériorité qu'il s'agit maintenant de plier au respect des normes établies.
Le tout est écrit avec une froide précision qui convient d'une manière sublime au contenu philosophique et historique du livre.
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Je ne connais rien de l'oeuvre de Michel Foucault. Je ne sais ce qui m'a poussé à choisir ce livre, "Surveiller et punir, naissance de la prison", peut-être, me semble-t-il, le fait que Michel Foucault soit l'un des grands intellectuels français de la seconde moitié du vingtième siècle et qu'il soit une référence pour de nombreux penseurs et philosophes...
Il s'agit donc d'une critique de novice, sans prétention aucune, mais sans doute est-il bon, parfois, d'avoir un regard vierge de toute érudition sur des oeuvres tant vantées et commentées…
J'ai compris, dès les premiers chapitres, pourquoi Michel Foucault avait acquis cette renommée. La clairvoyance de ses analyses et l'originalité de ses observations ne peuvent que laisser pantois. C'est une oeuvre extrêmement documentée, l'auteur ayant effectué un travail de recherche exhaustif pour tenter de comprendre les problèmes actuels (nous sommes alors dans les années 1970) du système pénitentiaire. Ce véritable travail d'historien l'a amené à élargir son champ d'analyse aux pratiques organisationnelles de nos sociétés avec l'apparition, au XVIème siècle, des structures disciplinaires héritières des règles monastiques. Celles-ci expliquent le basculement progressif d'une justice comme expression de l'autorité et de la puissance d'un souverain, à une justice comme emblème d'un contrôle de la normalité.
En effet, la prison n'est, selon Michel Foucault, que l'arbre qui cache la forêt. Si ces principes élémentaires : contrôle panoptique (voir sans être vu) et règles de vie disciplinaires, n'ont jamais été remis en cause malgré les perpétuels échecs du système (les crimes et délits n'ont jamais diminués), c'est que ces principes s'appliquent aussi à l'extérieur pour le contrôle des populations par notre système politique. La récurrence disciplinaire donne raison à Foucault : dans les écoles, dans les casernes, dans les hôpitaux, dans le monde du travail, tout est soumis à la discipline. On compartimente, on sépare, on divise dans le temps et dans l'espace pour normaliser et assujettir afin de mieux contrôler.
Ces réflexions font écho en 2008 avec les questions actuelles de fichage informatique généralisé, du développement de la vidéo-surveillance et de l'abaissement de l'âge de la pénalisation à douze ans ! Cette accentuation dramatique, qui sera forcément sans résultats, sinon celui de mettre dans le circuit de la délinquance encore plus de monde, celui des classes les plus exposées, les classes non protégées, les classes les plus pauvres, cette accentuation aurait, à n'en pas douter, fait réagir Michel Foucault. Comment, il est vrai, ne pas protester quand les politiques stigmatisent les petits délinquants, les responsables, selon eux, de tous les maux de notre quotidien, alors que les rois de la finance vivent loin des caméras, à l'abri de tout soupçon, continuant paisiblement à ne pas respecter les lois pourtant garantes de notre vivre ensemble.
Tiens donc ! il me semble comprendre soudain pourquoi j'ai voulu lire cet indispensable essai…
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Tout d'abord, il est important de préciser qu'il n'y a pas une seule lecture de Surveiller et punir. Tout ouvrage peut être lu et interprété différemment. Surveiller et punir comme les autres et bien plus qu'un certain nombre...
Surveiller et punir est un livre difficile à cataloguer : Est-ce une étude philosophique ou un livre d'histoire ? Est-ce une analyse des 18ème et 19ème siècles ou un diagnostic de la société des années 1970, date de publication de l'ouvrage ? Difficile à dire.il est important de lire Surveiller et punir comme ce qu'il est au premier abord à savoir, une histoire de la naissance de la prison ou encore comme l'histoire d'une mutation, qui s'est produite aux 18ème et 19ème siècle, celle de la punition à la surveillance.

Mais si Surveiller et punir est une histoire parmi d'autres, elle n'est pas vraiment une histoire comme les autres. D'une part, c'est une histoire historiquement datée, publiée en 1975, dans un contexte particulier.
En effet, de nombreuses révoltes ont lieu dans les prisons françaises, durant l'hiver 1971-1972 puis pendant l'été 1974. D'autre part, Surveiller et punir est construit selon une méthodologie bien particulière : par exemple, pour démontrer sa thèse, Foucault n'hésite pas à choisir délibérément ses documents. Enfin, Surveiller et punir n'est pas une simple histoire de la naissance de la prison : au delà, elle est une généalogie du pouvoir disciplinaire.
A ce jour en 2015 , Foucault ne s'était pas vraiment trompé...sur tout ce qu'il allait advenir

Michel FOUCAULT (1926-1984) est diplômé de l’Ecole Normale Supérieure, titulaire d’une licence en philosophie, de psychologie et un diplôme de psycho-pathologie. Ses premiers travaux scientifiques portent sur les maladies mentales. C’est dans ce champ de recherche qu’il publiera en 1961 Folie et Déraison : histoire de la folie à l’âge classique. Michel FOUCAULT est nommé au Collège de France en 1970 et il introduira lors de sa leçon inaugurale le concept qui va guider ses travaux par la suite : le pouvoir.
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Difficile de résumer un livre aussi dense, érudit et complexe du fait des processus qu'il décrit. Michel Foucaut brosse une histoire de la prison qui débute au Moyen Age avec le supplice des corps, « seul bien accessible » au temps de la féodalité, qui incarne plus tard le droit de punir du souverain. La punition doit être publique, marquer les esprits et non seulement les corps.
Progressivement nait l'idée que le châtiment doit avoir une analogie avec le crime commis et que la réparation doit profiter à la société, c'est le début des travaux forcés et du bagne, puis de l'institution carcérale.
L'homme étant très créatif ( !), il va au cours des siècles multiplier les lieux, outils et méthodes qui permettront de contraindre, non plus le corps, mais l'esprit. L'usine, l'école, la prison (et le panoptique de Bentham) – autant d'endroits où s'exercent discipline et dressage sous de multiples formes.
C'est un livre à lire, et à relire car on y découvre toujours de nouvelles champs de réflexion. C'est certes un peu ardu, engagé (la pensée de Foucault est marquée d'un point de vue idéologique) mais quand même incontournable pour comprendre certains débats
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25 juillet 2014 : Je ne vais pas critiquer ce monument inévitable. Juste dire que son contenu m'était déjà trop connu avant sa lecture, donc j'ai peiné (je n'aime pas la répétition).
A lire pour un lecteur, sans doute à neuf, sans a priori, sans jugement, pour le bien juger.

-- 27 janvier 2024. Relecture.
Ce livre aura bientôt 50 ans et il me semble un indispensable encore et toujours. Un indispensable socle à penser. Ce travail fourni, minutieux et sans parti pris (en tout cas sans parti pris évident) est un colosse sur lequel on doit s'appuyer.
Il décrit admirablement le chemin qu'a pris le traitement des torts, des fautes, des délits, des erreurs, des troubles commis par les hommes au fil du temps.
Ciblant des moments-clés, des constructions-clés, tant juridique, que matérielle, puis scientifique.
Aucune stratégie ne semble simple à ses yeux et critiquable dans l'absolu. Tout est source à réfléchir.
Ce qui est évident, c'est que la prison telle qu'elle est encore fonctionne bien mal, et elle a été critiquée depuis sa "naissance". Sans pour autant être abandonnée. Foucault explique bien pourquoi ce quasi statu quo.
Depuis 50 ans ou presque, j'ai l'impression qu'on n'a pas beaucoup évolué.

La société et les moeurs ont pourtant "sacrément" évolué, eux. de l'enfermement volontaire filmé dans le cadre de télé-réalité, l'omniprésence médiatique par les réseaux sociaux, la mise en scène de soi devant le monde entier (en tout cas accès pour le monde entier)... Tout autant de variation d'un panoptisme qui n'en finit pas d'être et de croître.
Le covid aussi, qui a montré la possibilité de discipliner, de cadre, de réguler, d'imposer toute une série de choses, pour l'ordre, pour le bon fonctionnement, voire pour la survie d'une société ou de l'humanité. Comme on a pu dire...
Et des changements de statuts dans ce qu'est une faute, délit etc. du vol, viol, brigandage aux évasions fiscales qui enfoncent certains dans la pauvreté... Et la justice à deux (ou plus) vitesses...

Je pourrais continuer encore longtemps, tant les morceaux et briques posées par Foucault dans son texte amènent à réfléchir et reréfléchir.
Et inutile de réinventer la poudre. Les erreurs graves ont déjà été commises, il convient de ne pas les oublier pour ne pas sans cesse les répéter.
Je dis ça et je pense en même temps : peine perdue. On voit arriver les (mêmes) erreurs-catastrophes à pleine vitesse.
Peine perdue.
En tout cas, des "intellectuels" de cette trempe, on a bien l'impression d'en manquer cruellement, et depuis longtemps. Ou alors, ils sont muselés ? En tout cas pas audibles !
Bref.
Lisons, instruisons-nous pour grandir en se servant de tout le passé comme exemple.
Peine perdue ?
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Nous avons affaire avec "Surveiller et punir" à l'un grand classique de sociologie selon Michel Foucault, qui y décrit l'histoire et la sociologie du système pénal ainsi que l'avènement du système carcéral.

L'auteur dresse ici un brillant exposé dans un style remarquable d'intelligence et de clarté sur la naissance de la prison, sur une société de surveillance à visée rééducative issue de l'intrusion de la psychologie dans la justice, de l'individualisation des peines, de la généralisation de l'incarcération dans un modèle coercitif et secret de surveillance servant de modèle à l'organisation de la société. Il y démontre également l'affirmation du pouvoir du souverain puis de la société à travers les décisions de justice,
et une peinture de la genèse des "appareils" disciplinaires et de contrôle des individus (école, caserne, usine, hôpital...) dont la prison est une composante issue du monarchisme.
Un livre remarquable dont les éléments historiques et politiques développés apportent une culture générale non négligeable à l'instar de la description de l'exécution de Damiens pour régicide.
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Où Foucault développe sa vision d'une mutation vers la société disciplianaire.
Surveiller et punir peut être lu comme un livre d'histoire, l'histoire d'une mutation, du châtiment féodal à une organisation globale de la surveillance autour de la prison. Il peut être lu comme une vision, celle d'une société dont les rouages essentiels sont voués à la discipline : école, caserne, hôpital, prison. Il peut être lu enfin comme une analyse de son temps. le livre paraît au milieu des années 70, au moment où la question de la prison se pose de façon particulièrement aiguë.
Foucault s'attache à montrer comment le passage de la punition à la surveillance entraîne l'ensemble de la société, et que la prison devient un outil déterminant du pouvoir dans cette perspective disciplinaire globale.
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Ce texte reste fondamental pour comprendre notre époque présente, bien qu'il ait été publié dans les années 1970 et que son auteur soit décédé en 1984 – lorsque que l'on parle de surveiller et punir, c'est un comble de mourir cette année-là !
Foucault expose l'évolution de la surveillance et la sanction vers une rationalisation. Il envisage le monde moderne dans la perspective d'une surveillance généralisée. Et malgré les quelque quarante années qui nous séparent de son essai, force est de lui donner raison. L'informatique nous le démontre !
Il explique aussi comment la sanction a glissé de la torture du condamné à l'exécution rapide : on est passé des supplices de Ravaillac ou Damien à la guillotine. Puis, les exécutions publiques ont disparu ; avec elles une excitation au voyeurisme morbide. Au passage, je rappelle aux plus jeunes qu'à l'époque de ce livre la peine de mort est encore en application en France. Elle sera abolie en 1981.
L'espace carcéral aussi s'est rationalisé, comme les espaces hospitalier et de travail, deux lieux où l'on archive et surveille également les individus. S'agissant de l'espace de travail, sa rationalisation atteindra son paroxysme avec la taylorisation, ce découpage des tâches qui transformera l'homme en machine-outil. Pour les prisons, la maltraitance physique du prisonnier s'est muée en privation de liberté.
Autrement dit, l'homme contrôle l'homme, ce qui oblige à repenser la liberté.
Mais la sanction – et c'est maintenant moi qui parle – n'en reste pas moins essentielle pour maintenir un équilibre viable et limiter les instincts individuels. Ne dit-on pas : « Ma liberté s'arrête là où commence celle des autres » ? L'éducation ne saurait suffire : il faut une répression, raisonnée certes, mais une répression tout de même, pour que les règles de vie en commun soient respectées. Car vivre ensemble – mot aujourd'hui galvaudé, voire perverti – est un jeu qui peut s'avérer dangereux si chacun établit ses lois personnelles sans souci de l'autre.
Toutefois, quelles que soient mes divergences d'opinions d'avec Foucault - sans la prétention d'égaler son savoir! -, elles n'empêchent pas certaines convergences intellectuelles. Car, je le rappelle, Surveiller et punir est un essai majeur.
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Voilà quelques temps que je souhaitais faire la découverte de Foucault, l'entame de celle-ci s'est portée vers cet ouvrage, Surveiller et punir, dont je ne regrette pas la lecture.


Il y fait la généalogie du système pénal -français, avec quelques exemples mondiaux, mais l'extrapolation n'est pas compliquée à faire, la nature humaine restant partout fidèle à elle-même- et comment celui-ci influence notre société.

La privation de liberté est maintenant la peine la plus aboutie dans notre pays, la plus aboutie et la plus conséquente à une époque où la liberté justement ne l'a jamais autant été elle aussi -n'en déplaise à ceux qui aiment à hurler à sa destruction, restons lucides-, la coïncidence ne doit pas en être une.
La prison telle que nous la connaissons a environ deux siècles, et aujourd'hui, comment la considérons-nous ? Comme un échec encore et toujours retentissant, les statistiques sont éloquentes, les probabilités d'y passer une partie de sa vie sont presque supérieures après y avoir séjourné quelques temps que si l'on n'y a jamais été, symptôme d'une erreur en perpétuelle recommencement, ou réussite camouflée d'une préparation des individus ?
A la lecture de ce livre, la réponse ne fait plus guère de doute, mais la prison n'est que la quintessence de la façon dont est organisée notre société contemporaine, elle est l'organisme disciplinaire qui nous est le plus éloigné, mais nous connaissons et expérimentons son principe tous les jours. Non, ce n'est pas un délire de paranoïaque en mal de nouvelle théorie du complot à propager, la façon dont Michel Foucault a mené son étude a des bases tellement solides, cite tellement de sources, possède un raisonnement tellement logique et évident sitôt que l'on nous met face aux bons éléments, que l'on ne peut qu'y souscrire.

Le style d'écriture qu'a choisi Foucault pour nous exposer sa thèse, sans être vulgarisé, est vraiment accessible pour peu que l'on s'en donne la peine ; ne vous excusez pas de ne pas accepter d'ouvrir les yeux sur la manière dont s'articule notre système autour de la prison sous prétexte que cet ouvrage doit être incompréhensible, car il n'en est rien, on peut le lire sans même avoir fait la connaissance avec le genre de l'essai pour peu que l'on s'en donne la peine.


Une grande découverte qui, bien que pouvant décontenancer, permet une plus fine analyse de notre société contemporaine et de la façon dont celle-ci est organisée.
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Corrigez-moi si je me trompe mais il est de notre devoir, puisque c'est aussi le droit de tout un chacun, de remanier le discours, de le reprendre à son compte, de prendre note des actes de langage. L'ensemble des rapports rédigés constituent un ensemble de données ; il faut les classer, les hiérarchiser, pour que ces archives construisent peu à peu un savoir sur l'homme permettant d'en faire l'objet d'une étude : nous en venons aux sciences humaines. Connaître l'homme, c'est essentiel pour le comprendre, pour l'assimiler ; l'objectif premier est de le mener vers quelque chose de bien précis, et puisqu'il est dans la nature humaine de vivre en société, je dirais qu'on le conduit vers le vivre-ensemble ; du moins, en théorie.

En pratique, c'est différent parce qu'on ne s'entend pas toujours. On se dispute. On s'entretue même, parfois. On meurt ensemble, aussi. L'état de nature n'est pas loin, d'autant plus quand on vit dans la jungle des villes. On se demande comment se constitue la société, lorsque la violence règne.

Michel Foucault entre direct dans le vif du sujet. Il fait de nous les spectateurs d'une condamnation à mort et on assiste à la représentation théâtralisée de la violence. Il faut bien solliciter la participation du peuple puisqu'il s'agit de faire souffrir le condamné, avec une surenchère de détails , pour mieux l'édifier, et surtout, pour que le pouvoir s'affirme de la manière la plus absolue. Ils ne manquaient pas d'imagination pour torturer les gens à l'époque. On a l'impression d'assister à mille morts sur la même personne. Pourquoi une telle violence ? Parce qu'il s'agit de châtier le pire des crimes : le régicide. C'est un peu comme un parricide, mais c'est encore plus scandaleux parce qu'on s'attaque au pouvoir absolu, au représentant de l'État, qu'on imagine volontiers choisi par Dieu, s'il n'est pas Dieu lui-même. On punit un sacrilège. La violence qui peut paraître gratuite a une fonction sociale, politique, et j'ajouterais même religieuse, puisqu'il s'agit de s'intéresser aux rituels qui régissent la société, à tout ce qui nous réunit, aussi.

La circulation des feuillets où le condamné proclame son crime rend le châtiment légitime. C'est le fait divers de l'époque. Le peuple réclame parfois la punition, notamment contre les tueurs d'enfants, mais il se révolte aussi, à l'inverse, contre le bourreau, contre les représentants du pouvoir. Une autre forme de littérature apparaît alors, écrite par le peuple et pour le peuple, où le criminel proclame son crime non plus pour rendre légitime le châtiment mais pour exprimer sa révolte. On idéalise peu à peu le criminel, pour en faire un symbole, contre le pouvoir absolu. Il a fallu faire autrement, parce qu'on s'éloignait de l'objectif : la main mise sur le peuple. On essaie de limiter les supplices, en créant l'échafaud, par exemple, pour que l'exécution soit rapide, et puis c'est pratique pour séparer le corps de la tête, pour éviter que les idées de rébellion, les idées révolutionnaires, ne s'expriment en actes. La violence entraîne la violence et il ne faut pas s'étonner de voir l'échafaud, l'instrument privilégié de l'État, réutilisé pour attenter au chef du chef de l'État.

Le pouvoir, peu à peu, se fait plus prudent, plus discret, plus subtil. On établit des Codes, on écrit pour que la loi retrouve sa légitimité. La justice se fait plus visible, la procédure, plus lisible. Enfin, en théorie, parce qu'encore de nos jours, il faut connaître les codes pour comprendre leur jargon. La justice s'exécute de manière insidieuse, secrète. C'est un nouvel investissement politique et détaillé du corps. Au lieu de s'attaquer ouvertement aux corps, qu'on souhaite dociles, on forme les idées, par le discours : l'idéologie.

On s'intéresse aux utopies où tout fonctionne comme sur des roulettes parce que tout est savamment orchestré, huilé. On les réalise : on bâtit ces architectures parfaites, qui permettent de coordonner l'ensemble pour une meilleure efficacité, pour un meilleur contrôle, aussi. C'est l'utopie politique, parce que si on pense selon d'autres critères, ces murs qu'on construit attentent à la liberté. L'utopie a ses limites et se transforme très vite en dystopie. On surveille constamment les individus avec le modèle du Panopticon, via la tour de contrôle. La tour elle, demeure impénétrable au regard, ce qui fait qu'on se retrouve confronté au regard inquisiteur de Dieu qui voit tout, à notre conscience, parce qu'on se retrouve seul face à nous-même, parmi la multitude.

On instaure la discipline. Voici une définition trouvée à la va-vite sur wiki : "Une discipline est un petit fouet à base de cuir, de chanvre ou de métal servant à s'infliger sévèrement une punition corporelle, selon un rite religieux. Il s'agit d'une forme de mortification". Ah non pardon, je dois confondre ... La discipline, selon Foucault, c'est l'exercice du corps et de l'esprit, selon une mécanique bien spécifique, selon un emploi du temps donné, sur le modèle des monastères, où le temps est découpé en fonction des temps de recueillement, des rituels.

C'est une nouvelle "anatomie politique", une "mécanique du pouvoir", qu'on applique un peu partout, dans les institutions religieuses, médicales, scolaires, militaires, judiciaires. On nous suit, on crée des dossiers sur nous : dossier scolaire, dossier médical etc. et ce même si on a pas de casier judiciaire. L'administration permet un meilleur contrôle des masses, une meilleure gestion des hommes, une meilleure productivité, une économie optimale. On nous capitalise.

C'est une justice codée, qui se veut égalitaire, mais on a en contrepartie les dispositifs disciplinaires et " les disciplines réelles et corporelles ont constitué le sous-sol des libertés formelles et juridiques" (p.258). Michel Foucault parle d'un "contre-droit", puisqu'il s'agit d'un mécanisme d'objectivation, de normalisation, d'une subordination consentie parce qu'elle est subtile.

Autrement dit, on nous prive de notre liberté d'être nous-même en nous formant selon une norme préétablie. On est déterminé par les lois mais plus encore par les techniques disciplinaires qui assujettissent nos corps et nos esprits, dès l'enfance.

Je finirai cette critique qui est déjà bien trop longue par la partie que j'ai préféré du chapitre "Prison", dans la sous-section " Illégalismes et délinquance". C'est un compte-rendu de la Gazette des tribunaux, datant d'août 1840. Un jeune garçon de treize ans, orphelin, est inculpé de vagabondage et condamné à deux ans de correction. "Il serait à coûp sûr passé sans traces, s'il n'avait opposé au discours de la loi qui le rendait délinquant (au nom des disciplines plus encore qu'aux termes du code) le discours d'un illégalisme qui demeure rétif à ces coercitions". Le journaliste note :
"Le président : On doit dormir chez soi. - Béasse : Est-ce que j'ai un chez soi ? - Vous vivez dans un vagabondage perpétuel. - Je travaille pour gagner ma vie. - Quel est votre état ? - Mon état : d'abord j'en ai trente-six au moins ; ensuite je travaille chez personne. Il y a déjà quelque temps que je suis à mes pièces. J'ai mes états de jour et de nuit. Ainsi par exemple, le jour, je distribue de petits imprimés gratis à tous les passants ; je cours après les diligences qui arrivent pour porter les paquets ; je fais la roue sur l'avenue de Neuilly ; la nuit, j'ai les spectacles ; je vais ouvrir les portières, je vends des contre-marques ; je suis bien occupé. - Il vaudrait mieux pour vous être placé dans une bonne maison et y faire votre apprentissage. - Ah ouiche, une bonne maison, un apprentissage, c'est embêtant. Et puis ensuite, le bourgeois, ça grogne toujours et ensuite, pas de liberté. - Votre père ne vous réclame pas ? - Plus de père. - Et votre mère ? - Pas plus, ni parents, ni amis, libre et indépendant."

Rares sont ceux qui se sentent réellement libres.

Cet enfant m'a rappelé le Mondo de J. M. G. le Clézio, cet enfant vagabond, épris de liberté et qui s'effraie à l'idée qu'un jour, on l'emporte comme les chiens dans le véhicule de la fourrière, pour le conduire ailleurs, pour le faire disparaître.
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