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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
25 juillet 2014 : Je ne vais pas critiquer ce monument inévitable. Juste dire que son contenu m'était déjà trop connu avant sa lecture, donc j'ai peiné (je n'aime pas la répétition).
A lire pour un lecteur, sans doute à neuf, sans a priori, sans jugement, pour le bien juger.

-- 27 janvier 2024. Relecture.
Ce livre aura bientôt 50 ans et il me semble un indispensable encore et toujours. Un indispensable socle à penser. Ce travail fourni, minutieux et sans parti pris (en tout cas sans parti pris évident) est un colosse sur lequel on doit s'appuyer.
Il décrit admirablement le chemin qu'a pris le traitement des torts, des fautes, des délits, des erreurs, des troubles commis par les hommes au fil du temps.
Ciblant des moments-clés, des constructions-clés, tant juridique, que matérielle, puis scientifique.
Aucune stratégie ne semble simple à ses yeux et critiquable dans l'absolu. Tout est source à réfléchir.
Ce qui est évident, c'est que la prison telle qu'elle est encore fonctionne bien mal, et elle a été critiquée depuis sa "naissance". Sans pour autant être abandonnée. Foucault explique bien pourquoi ce quasi statu quo.
Depuis 50 ans ou presque, j'ai l'impression qu'on n'a pas beaucoup évolué.

La société et les moeurs ont pourtant "sacrément" évolué, eux. de l'enfermement volontaire filmé dans le cadre de télé-réalité, l'omniprésence médiatique par les réseaux sociaux, la mise en scène de soi devant le monde entier (en tout cas accès pour le monde entier)... Tout autant de variation d'un panoptisme qui n'en finit pas d'être et de croître.
Le covid aussi, qui a montré la possibilité de discipliner, de cadre, de réguler, d'imposer toute une série de choses, pour l'ordre, pour le bon fonctionnement, voire pour la survie d'une société ou de l'humanité. Comme on a pu dire...
Et des changements de statuts dans ce qu'est une faute, délit etc. du vol, viol, brigandage aux évasions fiscales qui enfoncent certains dans la pauvreté... Et la justice à deux (ou plus) vitesses...

Je pourrais continuer encore longtemps, tant les morceaux et briques posées par Foucault dans son texte amènent à réfléchir et reréfléchir.
Et inutile de réinventer la poudre. Les erreurs graves ont déjà été commises, il convient de ne pas les oublier pour ne pas sans cesse les répéter.
Je dis ça et je pense en même temps : peine perdue. On voit arriver les (mêmes) erreurs-catastrophes à pleine vitesse.
Peine perdue.
En tout cas, des "intellectuels" de cette trempe, on a bien l'impression d'en manquer cruellement, et depuis longtemps. Ou alors, ils sont muselés ? En tout cas pas audibles !
Bref.
Lisons, instruisons-nous pour grandir en se servant de tout le passé comme exemple.
Peine perdue ?
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Ouvrage de référence sur la surveillance et le système punitif carcéral, dans leur organisation et leur fonctionnement. Il jette les bases de la compréhension des peines contemporaines, et plus particulièrement de la prison et du panoptique. Livre très recommandable.
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Un gros classique des sciences humaines et sociales, et j'ai compris pourquoi. D'où vient l'idée d'enfermer pour redresser ?
Cet ouvrage philosophique et historique fait une généalogie de l'institution carcérale. Il est question de prison, mais aussi d'autres lieux modernes de correction disciplinaire, de contrôle des corps et d'actions thérapeutiques sur les esprits (Foucault parle d' "orthopédie sociale") : l'armée, l'hôpital, l'école... il résonne toujours dans l'actualité sociale. Surveillance, exercices, classement, examens et enregistrements sont finalement décrits dans leur développement historique, pour montrer comment les forces sont canalisées et maîtrisées. Car les hommes et les femmes doivent être utiles. Cet assujettissement est organisé techniquement : Foucault parle de biopouvoir et de technologie politique du corps. Il existe de nombreux procédés disparates, ce n'est pas le fait d'un État en particulier ou d'une institution.
Foucault retrace le passage des tortures et exécutions publiques à un jeu de douleurs plus subtile et discret, avec l'idée d'une peine corrective. Il y a une humanisation visible (respecter l'humanité des personnes), un adoucissement des lois dès le 18è siècle; mais le corps des condamné•es devient un bien social utile, dissuasif pour les autres.
Dès le 19è siècle le spectacle punitif devient progressivement enfouissement bureaucratique, et le châtiment devient une économie des biens suspendus (prison, travail forcé, déportation...)  La discipline devient l'art de répartir les personnes dans l'espace, avec des techniques de contrôle des activités... L'appareil pénal s'est médicalisé, psychologisé et pédagogisé.
Cet ouvrage propose de nombreux concepts et notamment le panoptisme, avec la panoptique comme figure architecturale de la surveillance absolue, institution disciplinaire parfaite...et ce dispositif peut s'intégrer à n'importe quelle fonction (éducation, châtiment, thérapie, observation...)
La prison est en tous cas présentée comme un grand échec de la justice pénale : elle ne diminue pas le taux de criminalité, elle provoque la récidive, peut même créer des réseaux de délinquance...elle fait tomber dans la misère les familles de détenu•es. Mais elle n'est pas remise en cause car elle a des fonctions précises.
Difficile de résumer cet ouvrage passionnant étayé de nombreux exemples et de fines analyses.
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Corrigez-moi si je me trompe mais il est de notre devoir, puisque c'est aussi le droit de tout un chacun, de remanier le discours, de le reprendre à son compte, de prendre note des actes de langage. L'ensemble des rapports rédigés constituent un ensemble de données ; il faut les classer, les hiérarchiser, pour que ces archives construisent peu à peu un savoir sur l'homme permettant d'en faire l'objet d'une étude : nous en venons aux sciences humaines. Connaître l'homme, c'est essentiel pour le comprendre, pour l'assimiler ; l'objectif premier est de le mener vers quelque chose de bien précis, et puisqu'il est dans la nature humaine de vivre en société, je dirais qu'on le conduit vers le vivre-ensemble ; du moins, en théorie.

En pratique, c'est différent parce qu'on ne s'entend pas toujours. On se dispute. On s'entretue même, parfois. On meurt ensemble, aussi. L'état de nature n'est pas loin, d'autant plus quand on vit dans la jungle des villes. On se demande comment se constitue la société, lorsque la violence règne.

Michel Foucault entre direct dans le vif du sujet. Il fait de nous les spectateurs d'une condamnation à mort et on assiste à la représentation théâtralisée de la violence. Il faut bien solliciter la participation du peuple puisqu'il s'agit de faire souffrir le condamné, avec une surenchère de détails , pour mieux l'édifier, et surtout, pour que le pouvoir s'affirme de la manière la plus absolue. Ils ne manquaient pas d'imagination pour torturer les gens à l'époque. On a l'impression d'assister à mille morts sur la même personne. Pourquoi une telle violence ? Parce qu'il s'agit de châtier le pire des crimes : le régicide. C'est un peu comme un parricide, mais c'est encore plus scandaleux parce qu'on s'attaque au pouvoir absolu, au représentant de l'État, qu'on imagine volontiers choisi par Dieu, s'il n'est pas Dieu lui-même. On punit un sacrilège. La violence qui peut paraître gratuite a une fonction sociale, politique, et j'ajouterais même religieuse, puisqu'il s'agit de s'intéresser aux rituels qui régissent la société, à tout ce qui nous réunit, aussi.

La circulation des feuillets où le condamné proclame son crime rend le châtiment légitime. C'est le fait divers de l'époque. Le peuple réclame parfois la punition, notamment contre les tueurs d'enfants, mais il se révolte aussi, à l'inverse, contre le bourreau, contre les représentants du pouvoir. Une autre forme de littérature apparaît alors, écrite par le peuple et pour le peuple, où le criminel proclame son crime non plus pour rendre légitime le châtiment mais pour exprimer sa révolte. On idéalise peu à peu le criminel, pour en faire un symbole, contre le pouvoir absolu. Il a fallu faire autrement, parce qu'on s'éloignait de l'objectif : la main mise sur le peuple. On essaie de limiter les supplices, en créant l'échafaud, par exemple, pour que l'exécution soit rapide, et puis c'est pratique pour séparer le corps de la tête, pour éviter que les idées de rébellion, les idées révolutionnaires, ne s'expriment en actes. La violence entraîne la violence et il ne faut pas s'étonner de voir l'échafaud, l'instrument privilégié de l'État, réutilisé pour attenter au chef du chef de l'État.

Le pouvoir, peu à peu, se fait plus prudent, plus discret, plus subtil. On établit des Codes, on écrit pour que la loi retrouve sa légitimité. La justice se fait plus visible, la procédure, plus lisible. Enfin, en théorie, parce qu'encore de nos jours, il faut connaître les codes pour comprendre leur jargon. La justice s'exécute de manière insidieuse, secrète. C'est un nouvel investissement politique et détaillé du corps. Au lieu de s'attaquer ouvertement aux corps, qu'on souhaite dociles, on forme les idées, par le discours : l'idéologie.

On s'intéresse aux utopies où tout fonctionne comme sur des roulettes parce que tout est savamment orchestré, huilé. On les réalise : on bâtit ces architectures parfaites, qui permettent de coordonner l'ensemble pour une meilleure efficacité, pour un meilleur contrôle, aussi. C'est l'utopie politique, parce que si on pense selon d'autres critères, ces murs qu'on construit attentent à la liberté. L'utopie a ses limites et se transforme très vite en dystopie. On surveille constamment les individus avec le modèle du Panopticon, via la tour de contrôle. La tour elle, demeure impénétrable au regard, ce qui fait qu'on se retrouve confronté au regard inquisiteur de Dieu qui voit tout, à notre conscience, parce qu'on se retrouve seul face à nous-même, parmi la multitude.

On instaure la discipline. Voici une définition trouvée à la va-vite sur wiki : "Une discipline est un petit fouet à base de cuir, de chanvre ou de métal servant à s'infliger sévèrement une punition corporelle, selon un rite religieux. Il s'agit d'une forme de mortification". Ah non pardon, je dois confondre ... La discipline, selon Foucault, c'est l'exercice du corps et de l'esprit, selon une mécanique bien spécifique, selon un emploi du temps donné, sur le modèle des monastères, où le temps est découpé en fonction des temps de recueillement, des rituels.

C'est une nouvelle "anatomie politique", une "mécanique du pouvoir", qu'on applique un peu partout, dans les institutions religieuses, médicales, scolaires, militaires, judiciaires. On nous suit, on crée des dossiers sur nous : dossier scolaire, dossier médical etc. et ce même si on a pas de casier judiciaire. L'administration permet un meilleur contrôle des masses, une meilleure gestion des hommes, une meilleure productivité, une économie optimale. On nous capitalise.

C'est une justice codée, qui se veut égalitaire, mais on a en contrepartie les dispositifs disciplinaires et " les disciplines réelles et corporelles ont constitué le sous-sol des libertés formelles et juridiques" (p.258). Michel Foucault parle d'un "contre-droit", puisqu'il s'agit d'un mécanisme d'objectivation, de normalisation, d'une subordination consentie parce qu'elle est subtile.

Autrement dit, on nous prive de notre liberté d'être nous-même en nous formant selon une norme préétablie. On est déterminé par les lois mais plus encore par les techniques disciplinaires qui assujettissent nos corps et nos esprits, dès l'enfance.

Je finirai cette critique qui est déjà bien trop longue par la partie que j'ai préféré du chapitre "Prison", dans la sous-section " Illégalismes et délinquance". C'est un compte-rendu de la Gazette des tribunaux, datant d'août 1840. Un jeune garçon de treize ans, orphelin, est inculpé de vagabondage et condamné à deux ans de correction. "Il serait à coûp sûr passé sans traces, s'il n'avait opposé au discours de la loi qui le rendait délinquant (au nom des disciplines plus encore qu'aux termes du code) le discours d'un illégalisme qui demeure rétif à ces coercitions". Le journaliste note :
"Le président : On doit dormir chez soi. - Béasse : Est-ce que j'ai un chez soi ? - Vous vivez dans un vagabondage perpétuel. - Je travaille pour gagner ma vie. - Quel est votre état ? - Mon état : d'abord j'en ai trente-six au moins ; ensuite je travaille chez personne. Il y a déjà quelque temps que je suis à mes pièces. J'ai mes états de jour et de nuit. Ainsi par exemple, le jour, je distribue de petits imprimés gratis à tous les passants ; je cours après les diligences qui arrivent pour porter les paquets ; je fais la roue sur l'avenue de Neuilly ; la nuit, j'ai les spectacles ; je vais ouvrir les portières, je vends des contre-marques ; je suis bien occupé. - Il vaudrait mieux pour vous être placé dans une bonne maison et y faire votre apprentissage. - Ah ouiche, une bonne maison, un apprentissage, c'est embêtant. Et puis ensuite, le bourgeois, ça grogne toujours et ensuite, pas de liberté. - Votre père ne vous réclame pas ? - Plus de père. - Et votre mère ? - Pas plus, ni parents, ni amis, libre et indépendant."

Rares sont ceux qui se sentent réellement libres.

Cet enfant m'a rappelé le Mondo de J. M. G. le Clézio, cet enfant vagabond, épris de liberté et qui s'effraie à l'idée qu'un jour, on l'emporte comme les chiens dans le véhicule de la fourrière, pour le conduire ailleurs, pour le faire disparaître.
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Nous avons affaire avec "Surveiller et punir" à l'un grand classique de sociologie selon Michel Foucault, qui y décrit l'histoire et la sociologie du système pénal ainsi que l'avènement du système carcéral.

L'auteur dresse ici un brillant exposé dans un style remarquable d'intelligence et de clarté sur la naissance de la prison, sur une société de surveillance à visée rééducative issue de l'intrusion de la psychologie dans la justice, de l'individualisation des peines, de la généralisation de l'incarcération dans un modèle coercitif et secret de surveillance servant de modèle à l'organisation de la société. Il y démontre également l'affirmation du pouvoir du souverain puis de la société à travers les décisions de justice,
et une peinture de la genèse des "appareils" disciplinaires et de contrôle des individus (école, caserne, usine, hôpital...) dont la prison est une composante issue du monarchisme.
Un livre remarquable dont les éléments historiques et politiques développés apportent une culture générale non négligeable à l'instar de la description de l'exécution de Damiens pour régicide.
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Tout d'abord, il est important de préciser qu'il n'y a pas une seule lecture de Surveiller et punir. Tout ouvrage peut être lu et interprété différemment. Surveiller et punir comme les autres et bien plus qu'un certain nombre...
Surveiller et punir est un livre difficile à cataloguer : Est-ce une étude philosophique ou un livre d'histoire ? Est-ce une analyse des 18ème et 19ème siècles ou un diagnostic de la société des années 1970, date de publication de l'ouvrage ? Difficile à dire.il est important de lire Surveiller et punir comme ce qu'il est au premier abord à savoir, une histoire de la naissance de la prison ou encore comme l'histoire d'une mutation, qui s'est produite aux 18ème et 19ème siècle, celle de la punition à la surveillance.

Mais si Surveiller et punir est une histoire parmi d'autres, elle n'est pas vraiment une histoire comme les autres. D'une part, c'est une histoire historiquement datée, publiée en 1975, dans un contexte particulier.
En effet, de nombreuses révoltes ont lieu dans les prisons françaises, durant l'hiver 1971-1972 puis pendant l'été 1974. D'autre part, Surveiller et punir est construit selon une méthodologie bien particulière : par exemple, pour démontrer sa thèse, Foucault n'hésite pas à choisir délibérément ses documents. Enfin, Surveiller et punir n'est pas une simple histoire de la naissance de la prison : au delà, elle est une généalogie du pouvoir disciplinaire.
A ce jour en 2015 , Foucault ne s'était pas vraiment trompé...sur tout ce qu'il allait advenir

Michel FOUCAULT (1926-1984) est diplômé de l’Ecole Normale Supérieure, titulaire d’une licence en philosophie, de psychologie et un diplôme de psycho-pathologie. Ses premiers travaux scientifiques portent sur les maladies mentales. C’est dans ce champ de recherche qu’il publiera en 1961 Folie et Déraison : histoire de la folie à l’âge classique. Michel FOUCAULT est nommé au Collège de France en 1970 et il introduira lors de sa leçon inaugurale le concept qui va guider ses travaux par la suite : le pouvoir.
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Où Foucault développe sa vision d'une mutation vers la société disciplianaire.
Surveiller et punir peut être lu comme un livre d'histoire, l'histoire d'une mutation, du châtiment féodal à une organisation globale de la surveillance autour de la prison. Il peut être lu comme une vision, celle d'une société dont les rouages essentiels sont voués à la discipline : école, caserne, hôpital, prison. Il peut être lu enfin comme une analyse de son temps. le livre paraît au milieu des années 70, au moment où la question de la prison se pose de façon particulièrement aiguë.
Foucault s'attache à montrer comment le passage de la punition à la surveillance entraîne l'ensemble de la société, et que la prison devient un outil déterminant du pouvoir dans cette perspective disciplinaire globale.
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Dans « Surveillé et punir », Foucault décrit le passage d'une société de punition à une société de surveillance (généalogie de la morale). Foucault montre que, dans notre société disciplinaire, le corps n'est plus une donnée naturelle, qu'il est investi, requis, traversé par des procédures qui le rendent docile, obéissant afin qu'il puisse être utile (les disciplines). Les corps sont dressés ni par une institution, ni par un appareil mais en application de savoirs-pouvoirs diffus, omniprésents, anonymes, étendus, détaillés, pointilleux, d'une machinerie sans titulaire (micro pouvoirs), comportant instruments, techniques, procédés, niveaux d'application, cibles (micro physique). En les dépersonnifiant, les corps sont individualisés, assignés à un espace pour être normés, archivés, et constamment surveillés. C'est la vie elle-même qui devient objet de pouvoir. Foucault dévoile dans « Surveiller et punir » le rapport qui existe entre un ensemble de techniques de pouvoir, qui prend pour cible les corps, les vies, et la généralisation de la prison. Pour Foucault, c'est la société disciplinaire qui produit, de l'extérieur, certes comme résultat le plus radical et le plus abouti, la prison.


Foucault décrit méticuleusement le passage des supplices aux cellules, de la vengeance à la punition, d'une société de terreur, de spectacle où une multitude contemple quelques-uns à une société de surveillance où une multitude est surveillée par un petit nombre. L'idée de vengeance du souverain attaquée dans sa souveraineté a été abandonnée au profit d'une technologie du redressement par la société toute entière lorsqu'elle est atteinte dans ses fondements. Foucault montre comment, sous la double impulsion d'une orthopédie morale et d'une architecture qui en fournit la possibilité, l'ère carcérale a pris naissance. Un dispositif visant à l'amendement des coupables, au châtiment de l'âme est dans nos sociétés modernes mis systématiquement en place. Les prisonniers sont individuellement encellulés et mis sous surveillance constante. le retour sur soi, l'intériorisation de la faute doit permettre de réifier les âmes sans meurtrir les corps ; la méfiance généralisée doit forcer à l'obéissance. La société ne puni pas moins mais différemment nous dit Foucault. Elle punit avec une sévérité atténuée mais avec plus de généralité. Ce que la peine a perdu en densité, elle le gagne généreusement en étendue. La civilisation disciplinaire a produit la prison mais elle n'a pas eu à faire à une fille ingrate. Bonne élève, la prison a carcéralisé en retour la société toute entière étendant ses procédures arbitraires hors d'elle-même. Un pouvoir carcéral s'est autonomisé du contrôle de la justice et de l'opinion, il a cogéré la peine en inventant des procédés inédits et généralisables (la prison s'est révèlée aussi comme un lieu de production d'un savoir : comportementalisme, techniques de classification, de gestions spécifiques du temps et de l'espace ...).


Foucault dans « Surveiller et punir » affirme : la prison n'échoue pas, elle réussit ! Il faut, nous dit-il, pour s'en persuader, sortir de l'explication interne de la gestion des détenus et se préoccuper de ce qui en amont l'alimente : la production des illégalismes. Les illégalismes sont des éléments positifs du fonctionnement social. Tout espace législatif ménage des espaces profitables et protégés où la loi peut être violée, d'autres où elle peut être ignorée, d'autres enfin où les infractions sont sanctionnées. La bourgeoisie parvenue au pouvoir n'a plus supporté les anciens illégalismes populaires. La centralité du matériel et de la propriété privée, la prise en compte du corps force de travail de l'ouvrier (rendement, absentéisme, migration ...) ont impliqué une reconfiguration autre des illégalismes. La prison a été l'instrument de réaménagement du champ de ces nouveaux illégalismes, la courroie de distribution de son économie. La prison a localisé une plèbe déclarée dangereuse, elle l'a marginalisée, coupée de ces racines sociales pour former une certaine forme d'illégalisme professionnel : la délinquance. Dit autrement, la délinquance a été cette découpe intentionnelle historique de certains illégalismes dans l'épaisseur des illégalismes que la prison a eu pour tâche de cerner, d'exalter, de stigmatiser. Analysée à la lumière cette économie des illégalismes, la prison s'est révélée un efficient appareil d'intégration plutôt qu'exclusivement de répression. Il y a eu en effet de multiples intérêts à cette professionnalisation. La délinquance a entretenu un conflit idéologiquement profitable avec le restant de la population, elle a favorisé l'acceptation de la répression et le contrôle policier sur l'ensemble de la société et elle a servi de main-d'oeuvre à la bourgeoisie pour surveiller, infiltrer et manipuler le prolétariat. Elle a pesé sur l'illégalisme populaire et laissé dans l'ombre l'illégalisme des classes au pouvoir.


Foucault met enfin à jour, avec la prison, le personnage qui allait désormais dominer la scène judiciaire : l'individu dangereux. Extrapolé à partir de faits indéniables mais aussi isolés et (ou) résolus qui se transforment en tendances natives, dispositions permanentes, l'individu dangereux est à la fois considéré comme malade et criminel sans être l'un ou l'autre. Il a la double appartenance au champ judiciaire et au champ médical. Un déplacement a été ainsi significativement opéré : ce n'est plus l'acte qui est désormais répréhensible mais son auteur. La psychiatrie dans notre société contemporaine est devenue le vecteur dominant de la scène judiciaire avec la question centrale de la dangerosité et ses deux corrélats : l'accessibilité à la peine et la curabilité des détenus. La notion de risque est aujourd'hui mise en avant et la peine est le moyen non de punir mais de prévenir. Foucault pensait que si la dangerosité traduit souvent un danger imaginaire, une virtualité, les mesures pour la circonscrire en revanche étaient réellement productives d'insécurité, de peurs et d'obsessions sécuritaires.


Michel Foucault déclarait : « Ecrire ne m'intéresse que dans la mesure où cela s'incorpore à la réalité d'un combat, à titre d'instrument, de tactique, d'éclairage ». « Surveiller et punir » est-il l'instrument souhaité par l'auteur ? Est-ce que cette subtile mécanique peut encore rogner quelques barreaux, ouvrir quelques portes, élargir quelques brèches, écarter certains murs ? Elle l'a indiscutablement fait. Une fois lu, faut-il ranger sagement l'ouvrage sur une étagère, faire quelques commentaires élogieux, approximatifs ou savants et retourner à la routine des peccamineux surveillants, des portiques mouchards, des orwelliens ronds-points et des incertaines coursives ? Un spectre de Foucault semble pourtant encore hanter l'espace du carcéral.
Foucault avec « Surveiller et punir » a durablement changé notre regard, il a rendu inévidentes nos évidences les plus quotidiennes. Il a montré selon quelle nécessité la prison est advenue et du même coup comment elle pourrait disparaître. le recours à l'incarcération comme dispositif pénal privilégié n'est en effet pas de toute éternité. Il a montré plus généralement comment du savoir produit du pouvoir disciplinaire dans la société toute entière.
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Ce texte reste fondamental pour comprendre notre époque présente, bien qu'il ait été publié dans les années 1970 et que son auteur soit décédé en 1984 – lorsque que l'on parle de surveiller et punir, c'est un comble de mourir cette année-là !
Foucault expose l'évolution de la surveillance et la sanction vers une rationalisation. Il envisage le monde moderne dans la perspective d'une surveillance généralisée. Et malgré les quelque quarante années qui nous séparent de son essai, force est de lui donner raison. L'informatique nous le démontre !
Il explique aussi comment la sanction a glissé de la torture du condamné à l'exécution rapide : on est passé des supplices de Ravaillac ou Damien à la guillotine. Puis, les exécutions publiques ont disparu ; avec elles une excitation au voyeurisme morbide. Au passage, je rappelle aux plus jeunes qu'à l'époque de ce livre la peine de mort est encore en application en France. Elle sera abolie en 1981.
L'espace carcéral aussi s'est rationalisé, comme les espaces hospitalier et de travail, deux lieux où l'on archive et surveille également les individus. S'agissant de l'espace de travail, sa rationalisation atteindra son paroxysme avec la taylorisation, ce découpage des tâches qui transformera l'homme en machine-outil. Pour les prisons, la maltraitance physique du prisonnier s'est muée en privation de liberté.
Autrement dit, l'homme contrôle l'homme, ce qui oblige à repenser la liberté.
Mais la sanction – et c'est maintenant moi qui parle – n'en reste pas moins essentielle pour maintenir un équilibre viable et limiter les instincts individuels. Ne dit-on pas : « Ma liberté s'arrête là où commence celle des autres » ? L'éducation ne saurait suffire : il faut une répression, raisonnée certes, mais une répression tout de même, pour que les règles de vie en commun soient respectées. Car vivre ensemble – mot aujourd'hui galvaudé, voire perverti – est un jeu qui peut s'avérer dangereux si chacun établit ses lois personnelles sans souci de l'autre.
Toutefois, quelles que soient mes divergences d'opinions d'avec Foucault - sans la prétention d'égaler son savoir! -, elles n'empêchent pas certaines convergences intellectuelles. Car, je le rappelle, Surveiller et punir est un essai majeur.
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Difficile de résumer un livre aussi dense, érudit et complexe du fait des processus qu'il décrit. Michel Foucaut brosse une histoire de la prison qui débute au Moyen Age avec le supplice des corps, « seul bien accessible » au temps de la féodalité, qui incarne plus tard le droit de punir du souverain. La punition doit être publique, marquer les esprits et non seulement les corps.
Progressivement nait l'idée que le châtiment doit avoir une analogie avec le crime commis et que la réparation doit profiter à la société, c'est le début des travaux forcés et du bagne, puis de l'institution carcérale.
L'homme étant très créatif ( !), il va au cours des siècles multiplier les lieux, outils et méthodes qui permettront de contraindre, non plus le corps, mais l'esprit. L'usine, l'école, la prison (et le panoptique de Bentham) – autant d'endroits où s'exercent discipline et dressage sous de multiples formes.
C'est un livre à lire, et à relire car on y découvre toujours de nouvelles champs de réflexion. C'est certes un peu ardu, engagé (la pensée de Foucault est marquée d'un point de vue idéologique) mais quand même incontournable pour comprendre certains débats
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