Aube sinistre
J’ai retrouvé l’île natale
L’archipel des mots libérés
Le sens le plus cruel des gestes furtifs
Dans l’ombre où la crainte se dissimule
Derrière le rideau mouvant de la pensée
À peine le dessein perçant sous les gerçures
Un doigt de miel sur les lèvres ourlées
Le grognement du ciel tard dans les encoignures
Où se cache l’absence d’un amour étoilé
Figure du retour sanglant à main remise
Désastre d’un destin tardivement éclos
Navire fracassé à l’angle des banquises
On joue à qui perd gagne sur les mots
Et sur le sol de sel durci à la lumière
Fatigué de t’entendre écouler tant de pleurs
Fleurs du matin roussi
Cœur dans mes mains de cendre
Dunes mouvantes du désert
//Pierre Reverdy France (13/09/1889 -17/06/1960)
Père du doux repos
Père du doux repos, Sommeil, père du Songe,
Maintenant que la nuit, d’une grande ombre obscure,
Fait à cet air serein humide couverture,
Viens, Sommeil désiré et dans mes yeux te plonges.
Ton absence, Sommeil, languissamment allonge
Et me fait plus sentir la peine que j’endure.
Viens, Sommeil, l’assoupir et la rendre moins dure,
Viens abuser mon mal de quelque doux mensonge.
Ja le muet silence un escadron conduit
De fantômes ballants dessous l’aveugle nuit :
Tu me dédaignes seul qui te suis tant dévot.
Viens, Sommeil désiré, m’environner la tête,
Car, d’un vœu non menteur, un bouquet je t’apprête
De ta chère morelle et de ton cher pavot.
// Pontus de Tyard France (20/04/1521 -23/09/1605)
Aventure
Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre.
Blaise Pascal
(...)
Philippe DESPORTES
ICARE
Icare est chu ici, le jeune audacieux,
Qui pour voler au Ciel eut assez de courage :
Ici tomba son corps dégarni de plumage,
Laissant tous braves cœurs de sa chute envieux.
Ô bienheureux travail d’un esprit glorieux,
Qui tire un si grand gain d’un si petit dommage !
Ô bienheureux malheur, plein de tant d’avantage
Qu’il rende le vaincu des ans victorieux !
Un chemin si nouveau n’étonna sa jeunesse,
Le pouvoir lui faillit, mais non la hardiesse ;
Il eut, pour le brûler, des astres le plus beau.
Il mourut poursuivant une haute aventure,
Le ciel fut son désir, la mer sa sépulture :
Est-il plus beau dessein, ou plus riche tombeau ?
(...)
BLAISE CENDRARS
CHRISTOPHE COLOMB
Ce que je perds de vue aujourd'hui en me dirigeant vers l'est
c'est ce que Christophe Colomb découvrait en se dirigeant
vers l'ouest
C'est dans ces parages qu'il a vu un premier oiseau blanc et noir
qui l'a fait tomber à genoux et rendre grâces à Dieu
Avec tant d'émotion
Et improviser cette prière baudelairienne qui se trouve dans son
journal de bord
Et où il demande pardon d'avoir menti tous les jours à ses compagnons en leur indiquant un faux point
Pour qu'ils ne puissent retrouver sa route
Premier quartier de lune
Près du rivage des toits qui s’échancrent
Silencieuse une barque d’ivoire
Sans l’ombre d’équipage a jeté l’ancre
Sur le calme plat d’une rade noire
Où flottent les fanaux du port perdu.
Cette barque est-elle une aile d’oiseau
Des neiges par un chasseur abattu
Lorsqu’il émigrait vers de tièdes eaux ?
Elle continuera le long voyage
Dans les courants glacés dont l’encre luit
Peut-être abordera-t-elle une plage
Mêlée aux grains de sable de la nuit.
Quand le soleil écrira son message
Avec le sang des fruits.
// Robert Mallet France (15/03/1915 -04/12/2002)
Un Jurançon 93
Un Jurançon 93
Aux couleurs du maïs,
Et ma mie, et l’air du pays :
Que mon cœur était aise.
Ah, les vignes de Jurançon,
Se sont-elles fanées,
Comme ont fait mes belles années,
Et mon bel échanson ?
Dessous les tonnelles fleuries
Ne reviendrez-vous point
À l’heure où Pau blanchit au loin
Par-delà les prairies ?
// Paul-Jean Toulet
POÉSIE-PENSÉE – L’exercice spirituel des poètes (Chaîne Nationale, 1964)
Une émission spéciale, par Max Pol-Fouchet, enregistrée le 21 janvier 1964 au Théâtre du Vieux Colombier pour la Chaîne Nationale. Lecture : Catherine Sellers et Michel Bouquet.
Mise en ligne par Arthur Yasmine, poète vivant, dans l’unique objet de perpétuer la Poésie sur tous les fronts.