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(01/01/1900)
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Résumé :
Il s’agit des aventures amoureuses d'une bande de bras cassés dans les bals de campagne autour d'une petite ville industrielle du Bourbonnais. Dans les années soixante, et dans le centre de la France, pour la jeunesse des villes et des champs, l'un des lieux de rencontre et de drague sont les "parquets-salons", appelés "parquets de bal" dans d'autres régions. Il s'agit de salles en bois couvertes, montées et démontées en même temps que les manèges, au gré des fêtes ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Les aventures amoureuses d'une bande de bras cassés dans les bals de campagne autour d'une petite ville industrielle du Bourbonnais. Dans les années soixante, et dans le centre de la France, pour la jeunesse des villes et des champs, l'un des lieux de rencontre et de drague sont les "parquets-salons", appelés "parquets de bal" dans d'autres régions. Il s'agit de salles en bois couvertes, montées et démontées en même temps que les manèges au gré des fêtes de village. Les vitellonis de cette virée champêtre se vantent de conquêtes féminines plus ou moins imaginaires. A une époque où les moyens de contraception sont peu répandus et l'avortement interdit, leurs victimes potentielles se montrent en fait réticentes à se faire culbuter à l'arrière des voitures ou dans un champ. Filles et garçons redoutent surtout d'avoir à assumer leurs responsablilités en cas de grossesse non souhaitée. Plus généralement, ils craignent qu'une amourette sans lendemain ne précipite la fin de leur adolescence, de cette période heureuse et insouciante qu'ils sont en train de vivre entre "copains" nouvelle vague d'un remake du roman de Jules Renard. Ils ne veulent pas entrer prématurément dans le monde des adultes, surtout celui des personnages qui voudrait être reconnu par les autres comme le poète chargé de conter les tribulations des Ulysses de cette Odyssée champêtre pour péquenauds du bocage.
Les "évènements" de soixante-huit n'ont pas encore sorti la société tristounette de l'après-guerre de sa torpeur culturelle. La guerre d'Algérie vient de se terminer. Ils n'iront pas combattre une sale guerre qui n'est pas la leur. Pour certains, le boulet est passé près. Ils n'ont échappé aux "djebels" que grâce au sursis pour études. Demeure toutefois une épée de Damoclès redoutable - il en faut bien une, afin que la jeunesse d'une époque se sente plus maudite encore que celle des générations précédentes. La crainte que la roulette russe de l'horloge biologique féminine ne vienne les frapper en plein vol d'Icare est désormais le dernier obstacle à éviter, avant le grand soir où l'on pourra jouir sans entraves. Mais avant cette fin de l'Histoire souhaitée par tous les frustrés de la terre, avant l'avènement du monde parfait, où il sera interdit d'interdire l'amour et tout le reste, établir une relation de confiance, d'égal à égal avec l'autre sexe n'est point chose aisée. On devine que ces jeunes gens se cherchent, affichent un cynisme de façade pour prouver aux autres qu'ils "en ont", mais rêvent en secret à des liaisons moins éphémères que les quelques étreintes volées à la sauvette aux filles, ceci sans oser l'avouer, de crainte de subir les quolibets des autres.
C'est leur seule excuse, si l'on doit absolument leur en trouver une et tenter de convaincre le lecteur, outré du sexisme ordinaire de cet aéropage de petits machos immatures, qu'ils ne sont pas à prendre pour des héros positifs pour roman féministe édifiant.
L'auteur manipule ses pantins devant nous comme s'ils s'agissait d'autant de Pinocchios jouant au poker menteur en prenant garde que leur nez ne s'allonge trop, ce qui trahirait leurs aspirations à "se caser" avec une gentille fille. Ce n'est pas en moraliste qu'il convient d'appréhender les histoires abracadabrantesques que se racontent les protagonistes de ce conte mirliton. le discours du narrateur, tout comme son regard, oscille entre la satire féroce et l'empathie nostalgique. Ces deux sentiments contradictoires et complémentaires s'expriment par la langue, parfois décalée et un peu précieuse dans le contexte, comme pour prendre ses distances avec les propos tenus dans les dialogues, tantôt contaminée par la gouaille populaire du parler local. Au total, c'est peut-être un regard d'anthropologue du dimanche qui est porté a posteriori sur la fuite en avant de cette bande en quête d'un Graal inaccessible. Les vantardises sur les filles, les anecdotes sur les profs, les blagues de comptoir sur la vie des petites gens du quartier et de la petite ville de province, agrémentées de nouvelles fioritures à chaque passage de témoin narratif, sont devenues des sortes de mythes fondateurs pour ancêtres primitifs du clan ayant effectué un parcours initiatique leur ayant permis de passer de chenille à papillon, à travers la période tout à la fois heureuse et douloureuse, insouciante et malheureuse, de l'adolescence. Leur "Dreamtime", leur "temps du rêve" à eux, c'est le temps des parquets-salons. C'est en tout cas ce que semble sous-entendre le narrateur et ce que voudrait inconsciemment faire de leurs virées banales le griot de la bande. Ce dernier, en manque d'épopée, veut à tout prix transformer leurs petits malheurs en épreuves infligées par les "croulants" ayant dû renoncer au paradis perdu de l'enfance et de l'adolescence. Il est persuadé, par exemple, qu'ils sont victimes d'un complot, ourdi par les adultes pour réprimer leur sexualité, et plus généralement pour les faire entrer prématurément dans le rang, pour qu'ils acceptent le destin ordinaire qui les attend, la profession à laquelle leur origine sociale les destine.
Ce personnage, qui à défaut d'être sacré "Roi des parquets-salons" au classement organisé entre eux pour la saison en cours, se contenterait bien du titre de Prince, mais les échecs retentissants qu'il subit au cours de cette escapade l'éloignent un peu plus du podium. En grand malchanceux de ce weekend dans le bocage, il tente de se consoler en s'attribuant une fois de plus le rôle peu convoité d'Assurancetourix contant les exploits réalisés par le mâle dominant et ses dauphins. Ce faisant, il devient un peu plus la risée de ses amis et néanmoins rivaux. Ses compagnons se moquent de sa prétention "littéraire" à comparer son destin à celui des personnages de George Sand, d'Alain Fournier et d'autres écrivains régionaux dont les romans sont situés près des lieux où se déroulent les péripéties de l'histoire, dans un territoire situé aux confins du Bourbonnais, du Berry, de la Creuse et de l'Auvergne.
Comme les années précédentes, le titre suprême sera sans aucun doute attribué à celui qui a la faveur de toutes les filles et qui se vante en tout cas de posséder toutes celles avec lesquelles on le voit sortir du bal.
A travers les histoires personnelle de Côtelette, le fils de boucher beau parleur accumulant les déconvenues, du Pépé Boss, le beau gosse prédateur et vantard de service et celles des autres Pieds Nickelés écumant la campagne à la rercherche de proies faciles, ce sont aussi les transformations sociales d'une petite ville de province pendant les trente glorieuses qui sont abordés au cours des méandres parcourues par la narration : début de l'immigration, la lutte des clases qui fait rage - sur un mode plus burlesque que dramatique - à l'école, dans les familles et dans le quartier, déclin industriel de la ville et transformations urbaines, sociologiques qui en découlent, conflit universel entre le désir d'air marin et la peur de perdre la douceur angevine, ce cocon provincial douillet qui tout à la fois enferme et protège...
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L'histoire se déroule dans les années soixante, en Bourbonnais, dans la ville industrielle de Montluçon et dans la campagne environnante : Allier, Creuse, Puy- de- Dôme, Berry (aux confins de la vallée noire de Georges Sand).
L'époque est intéressante, dans la mesure où elle se situe à la charnière d'un monde en train de basculer : La pilule n'existe pas et les héros de ce conte Picrocholin redoutent par-dessus tout une paternité non souhaitée, l'épée de Damoclès principale de la guerre en Algérie venant de disparaître. L'armistice vient en effet d'être signée avec le FLN et les personnages vont échapper de peu, grâce à un sursis d'étude pour certains, à l'obligation d'aller se battre pour une cause qui n'est pas la leur.
Le titre, le prince des parquets salons (appelés aussi parquets de bal dans d'autres régions) fait référence à ces salles de bal en bois démontables (dont vous trouvez une photo dans la fiche. Ces "parquets salons accompagnaient les manèges de fête foraine de village en village, avant que les salles des fêtes construites progressivement dans les bourgs ne les remplacent, et avant que les discothèques et le yéyé ne relèguent le musette dans les oubliettes de l'histoire.
Que l'on ne s'y trompe pas ! L'histoire n'a rien d'une bluette pour midinette des champs. Nos écumeurs de bal ne sont pas des enfants de coeur. Ils veulent avant tout faire le plus de conquêtes possibles et s'en vanter auprès des copains, même s'ils cachent sous leur façade de cynisme et de machisme, une dose non négligeable de romantisme, pour certains en tout cas.
Ames sensibles s'abstenir. Si vous ne voulez pas être confrontés au langage fleuri de ces adolescents et à leur psyché libidineuse, passez votre chemin. L'auteur a l'immodestie de penser que les préoccupations des jeunes mâles boutonneux n'ont pas fondamentalement changé, le narrateur exprime d'ailleurs à plusieurs reprises l'idée que ce conte mirliton et « régionaliste » comporte sa part d'universalité, qui réside, entre autres, dans les fantasmes puérils exprimés par les jeunes Pieds Nickelés de ce « Road book » bourbonnais. Certaines des conversations et des rodomontades racontées pourraient en effet l'être (avec des variantes générationnelles et linguistiques bien sûr) sous presque toutes les latitudes et à toutes les époques…… Il suffit de relire Rabelais, Balzac et Joyce (si l'on ne cite que ceux-là) pour s'en convaincre.
L'histoire relate la virée de trois jours d'une bande de Vitelloni montluçonnais dans les bals de l'Allier, du Puy de Dôme et du Cher.
En chemin, ils ont des aventures, le plus souvent à l'arrière des voitures bien sûr, parfois dans un champ. Comme sans doute la plupart des petits machos immatures du monde, ils se vantent beaucoup auprès de leurs copains, comparent leurs prouesses, réelles ou imaginaires, se moquent de ceux qui rentrent bredouilles.
Le personnage principal, fils de boucher et normalien à Moulins essuie plusieurs échecs cuisants au cours de l'équipée sauvage, et devient la risée de la bande, qui lui reproche de se prendre pour un intello, de trop parler, de confondre son destin personnel avec celui de personnages de romans dont l'action est située dans leur terroir (Le grand Meaulnes, les Maîtres Sonneurs), mais aussi de livres écrits par des auteurs plus « régionaux » qu'Alain Fournier ou Georges Sand : Henri Guillaumin, Charles Louis-Philippe, Henri Pourrat, etc.…..
Il voudrait partager ses souvenirs de lecture avec ses compagnons de débauche, leur faire apprécier la beauté de certains paysages lors d'arrêts « techniques », mais il se heurte à l'incompréhension générale et aux sarcasmes de la bande.
En raison de ses mésaventures auprès des filles rencontrées, il se met à souffrir intensément des deux spleens locaux dont sont victimes les autochtones : le «Viâ » et le « Vezon.». Il fait part abondamment à ses compagnons de son blues champêtre, digressant sur la perversité des filles et celles des adultes, ces derniers étant selon lui responsables, à l'époque, d'un « grand complot » destiné à brimer l'élan vital et surtout la sexualité de la jeunesse …..
Le livre est aussi une peinture de la vie dans une petite ville de province de ces années-là : début de l'émigration, (Polonais, Espagnols, Italiens .Portugais, quelques Africains seulement, arrivée des pieds noirs). La lutte des classes fait rage, à l'école, dans les quartiers et dans les familles, mais sur un mode plus clochemerlesque que dramatique : Certains profs ne font pas toujours preuve de la neutralité exigée par l'éthique laïque. On assiste à de petites prises de bec entre les parents du personnage principal - qui sont des petits commerçants restés prolétaires dans leur tête et en train de faire faillite – et leurs voisins et amis, dont ils se sentent toujours proches malgré une ascension sociale qui ne durera pas…
Le personnage principal, normalien à Moulins, n'a pas lus envie de se passer la corde au cou, que 'embrasser la carrière d'instituteur. Il aurait voulu poursuivre des études après son année de philo, mais n'a pas été admis à le faire par l'administration, cette dernière ayant besoin de hussards noirs nouvelle vague pour aller alphabétiser les campagnes. Il redoute plus que tout de se retrouver enseignant dans un village perdu de l'Allier l'an prochain et veut aller voir au-delà de la ligne d'horizon bornée qui est la sienne, tout en craignant d'être éloigné de son coin de terre, de la bande d'amis qui le protègent comme un cocon douillet. L'air marin ou la douceur angevine, deux tropismes apparemment inconciliables !
Le roman est aussi un essai de mettre en mots le sabir natal montluçonnais (ou plus largement bourbonnais), qui n'est pas une langue, ni même un patois, mais du français populaire charriant encore quelques expressions paysannes, héritées des divers parlers que pratiquaient les grands-parents, venus pour la plupart avant la deuxième guerre mondiale dans le bassin industriel pour trouver du travail et afin de ne plus connaître le sort des paysans pauvres et des maçons de la Creuse, ceci pour la branche maternelle de la famille du personnage principal. du côté paternel, on a échoué ici afin d'échapper au destin des gueules noires du Nord, aux coups de grisou et à la silicose, à un nouvel exode en cas de guerre.

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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
- Tu t’intéresses déjà aux nanas, plaisantait Bavette quand le gamin en ramenait une pour la mettre dans la bourriche qui trempait dans l’eau avec la bouteille de vin. Qu’esse ça va êt’ plus tard !
Les perches arc-en-ciel, cette friture du pauvre méprisée par les as de la gaule portaient en effet ce nom dans le sabir local. Le boucher refusait net de les ramener à la maison. Cela aurait été la honte si des copains avaient vu qu’il ramenait ça à cuire. Pour lui, la « nana » c’était encore pire que le hotu, ce poisson de rivière qui figurait au panthéon de son enfer de Dante aquatique. Lorsqu’il traitait quelqu’un de Hotu, avant même de savoir à qui son père faisait référence, Côtelette pressentait déjà tout gamin que le gars en question n’était guère fréquentable.
Quand une « nana » capturée était encore en vie à la fin de la journée, le ch’tit pêcheur à la gomme insistait pour la ramener dans un bocal rempli d’eau. Si elle avait survécu au transvasement et au voyage, il essayait de la conserver, à cause peut-être des couleurs approchant - en faisant preuve d’imagination - celles des quelques spécimens exotiques qu’il avait admirés au grand aquarium du Trocadéro, lors d’un voyage chez sa tante avec la grand-mère. Mais les « nanas » plongées dans un récipient improvisé ne tenaient jamais plus d’un jour dans leur prison, et celles jetées dans le trou d’eau du jardin n’avaient jamais été aperçues flottant dans les eaux glauques du marigot.
C’était peut-être la raison pour laquelle Côtelette, ce jour-là, était pris de la nostalgie de ces temps bénis où les nanas d’eau douce se laissaient ferrer facilement. Celles que le père lui avait laissé ramener à la case avaient toujours la bonne idée de mourir dans une bassine ou de disparaître rapidement dans une parodie de mare aux canards urbaine. Elles n’avaient pas le temps de s’incruster, comme le font les poissons-chats dont on ne peut se débarrasser sans perdre sa ligne et son hameçon.
- Encore des saloperies que les ricains nous ont refilées ronchonnait le grand-père coco qui n’arrêtait pas de pester contre le plan Marshall et les poissons chats qui étaient censés avoir été introduits par les GIs.
A la réflexion et sans trop être capable de le formuler clairement, les « nanas » de ses parties de pêche devenaient comme une métaphore de petites sirènes disparues opportunément trop tôt dans sa vie pour avoir eu le temps de se métamorphoser en vraies femmes, dont il se serait lassé rapidement à l’époque.

Pour corser son viâ ou son vezon, il repensait à ces parties de pêche entre copains. Les hommes partaient seuls le matin. Les femmes les rejoignaient par le train de midi, emmenant avec elles le pique-nique. Ils mangeaient au bord de l’eau sur une nappe étalée dans l’herbe. Elles étaient belles comme tout, sa mère et ses copines, avec leur tenue encore à la mode de la guerre, comme il se les rappelait en feuilletant les vieilles photos de cette époque. Elles étaient jolies comme des coeurs, avec leurs robes à fleurs et leur coupe de cheveux typique de ce temps-là. La journée n’aurait pas été pareille sans cette présence féminine. Ça apportait de la douceur au tableau. Il se souvenait que même marmot, il était troublé par leurs jambes, leurs bras nus, leur décolleté, leurs seins qui gonflaient la robe, leurs jupons froufroutant que l’on devinait et voyait parfois lorsque le vent gonflait les jupes ou qu’elles changeaient de position sans faire gaffe.
- Baissez le capot les filles, on voit le moteur, disait Momo Béretreaux, un copain de son père, chaque fois qu’il apercevait un bout de jupon.
Les parents de Côtelette avaient l’air de s’aimer en ce temps-là. Quand il avait forcé sur le rouge, le boucher n’arrêtait pas d’embrasser sa Paulette.
Et elle, la Paulette, devant les autres, elle était un peu gênée, mais elle avait l’air contente que son homme fasse attention à elle comme ça.
- la Paulette aime la bavette bien raide chantait le Zézé Dubon, un autre copain de son père.
Le gosse ne savait pas pourquoi, mais ces plaisanteries sur les dessous féminins entre aperçus, les allusions grivoises, qui faisaient rire tout le monde, ça le mettait mal à l’aise parce qu’il sentait vaguement que l’on se moquait de ses parents, que ça rendait impure cette tendresse qui n’était, pour lui, qu’innocence. Même sa mère rigolait un peu aussi de la blague. Ce Zézé, il aimait bien déconner. Sa femme se faisait appeler Georgette, mais en fait, son vrai nom c’était Raphaëlla. Sa mère était espagnole, mais elle avait un peu honte de ses origines, alors elle avait changé pour un nom bien de chez nous. Le Zézé, pour la faire enrager, des fois, il l’appelait par son nom espingouin, il chantait un petit air sur des paroles qu’il avait inventées : « Raphaella bella, c’est la Carmencita de la rue Emile Zola. » Ça ne la faisait pas vraiment rire, mais elle n’était pas fâchée non plus. Elle haussait juste un peu les épaules et rigolait avec les autres quand ils reprenaient l’air en chœur…
Il se souvenait de ces instants comme de gouttelettes de petit bonheur sans chichis, d’après la guerre, celui des petites gens, qui avaient besoin de souffler un peu, de prendre du bon temps, avant que ça recommence, que les autres, là-haut, mais aussi ceux de leur bord, qui veulent tout chambouler d’un seul coup, se remettent à vouloir foutre la merde de partout, à les priver du peu de jeunesse que la guerre leur avait laissée. Ça pourrait aller mieux, c’est sûr, mais ça allait quand même moins mal qu’avant. Il y en avait, pas des riches, qui commençaient à s’acheter des side-cars, même des voitures, des télévisions, qui faisaient construire à Montluçon, qui s’achetaient des petites baraques à retaper à la campagne. Ça n’allait pas si mal…
Ils n’allaient pas tout casser pour gagner des clopinettes, quelques miettes de plus que les bourgeois voudraient bien leur laisser. Ils voulaient juste, disaient-ils, en profiter un peu avant d’être des croulants, faire semblant d’être jeunes comme avant la venue des frisés, boire un petit coup de trop, rigoler entre amis, danser entre eux dans les petits bals au bord de l’eau, avec les enfants qui s’amusaient tout autour, qui demandaient à rentrer pour dormir. Tout ça au son d’une musique déjà presque dépassée, moins entraînante que celle des américains, une zizique qui allait les envahir, déferler dans les salles des fêtes et les parquets salons, changer les bals de campagne en corridas pour blousons noirs gominés qui dansaient tout seuls en se trémoussant comme des singes, avec les filles à côté d’eux.
En repensant à ces conversations qu’il avait entendues dans son enfance, il comprenait ce que cette génération avait dû ressentir, même si son empathie était teintée d’une pointe de désapprobation. Lui qui voulait tout casser, lui auquel la lecture de Bazin avait inculqué un peu de sa haine des familles, il se prenait à absoudre, sans l’excuser, ce fatalisme de vieux et cette méfiance envers les grands bonds en avant qui risquaient de les emporter encore une fois dans le maelstrom de l’histoire.

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En attendant la soirée, on ressortit au soleil, on se déshabilla à nouveau pour aller se baigner.
- Tous à la baille, cria quelqu’un, et on se jeta à l’eau tous ensemble. On se baqua en slip, les caleçons de bains étant restés à la maison. Badel, qui ne craignait aucune comparaison, se baigna à poil. Voyant que la vue de son engin ne provoquait aucun mouvement de panique chez les vieilles et les plus jeunes filles, il essaya de se faire remarquer, en criant à tue-tête, en traversant l’étang à la nage pour aller narguer les pêcheurs qui les engueulèrent de venir taquiner leurs bouchons de trop près. Quelques chambres à air gonflées servaient de pédalos rustiques ou de plongeoirs à des gamins nus comme des vers.
Ils ne pensaient déjà plus au match perdu, aux bâches en rafales, encore moins au bal du soir chez les gueules noires de Germinal. Il leur suffisait pour l’heure de jouir du soleil et de l’eau, de leur jeunesse, d’avoir échappé aux djebels et aux paras qui avaient failli débarquer au Bourget. Debré, ce débile, se vantait de les avoir stoppés par son discours à la télé. Tout le monde se foutait de sa gueule. On savait bien qu’une fois encore, c’était les braves petits piou-pious, pas ceux du dix-huitième de la chanson, qui avaient sauvé la république, des gars de leur âge, qui avaient pas eu la chance d’avoir un sursis pour étude et qui étaient toujours là-bas à attendre, en essayant de pas se prendre une balle perdue de dessous le fagots maintenant que la guerre était finie. Ç’aurait été trop bête ! Ils remerciaient aussi le destin, et Côtelette son grand moteur universel des cours de philo peut-être, de n’avoir encore mis personne en cloque, de n’être pas encore des adultes responsables, de cette journée et de ce lieu, de leur innocence. Ils communiaient avec la candeur de l’époque, de leur âge et de la province, comme si le temps de l’Histoire et celui de leur destinée s’étaient figés en un instant d’éternité qu’il ne fallait pas laisser filer trop vite. Ils voulaient croire que cela durerait toujours…..
Déjà la lumière déclinait. C’était le moment d’une journée chaude d’été que préférait Côtelette. On était au bord de l’eau. Le soleil brûlait encore un peu la peau, mais se faisait caressant. Les couleurs orangées de cette fin d’après-midi rendaient les gens heureux, les choses et les êtres plus beaux et proches, l’âme du monde accessible presque.
Puis, trop vite, cet instant fut englouti dans le passé, comme un Titanic frappé à mort par le lent évanouissement du disque de cendre rousse à l’horizon, qui leur faisait son oeillade de braise avant de disparaître derrière les cils des d’arbres bordant l’étang.
Il faisait déjà presque noir lorsqu’ils quittèrent Montmazot et prirent la route de Saint-Eloy.
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Connaissant peu l’auteur (mais un peu quand même) et l’image que j’en ai gardé c’est plutôt celle de l’éducateur et enseignant en Algérie, pays où la mixité est loin d’être la règle et la femme aux yeux des hommes et surtout des adolescents une réalité bizarre que l'on cache et qu'on ne saurait voir. Cela m’a un peu perturbée de savoir que lui aussi a connu à un moment de sa vie et toute proportion gardée, ce rapport étrange à l’autre sexe.
Mais au fur et à mesure que j’avançais dans la lecture du roman, car c’est bien de cela qu’il s’agit, la force et la justesse des mots, la beauté de l’écriture, la capacité et la maîtrise de la langue française avec un grand F à s’enrichir par l’apprentissage classique, la rédaction du parler vivant ainsi que l'immortalisation des expressions populaires, l’intégration des langues étrangères et en particulier l’anglais m’ont transportée comme par magie et m’ont permis de voyager vers cette époque finalement très innovante : évolution vers une société ouverte, relations sociales, géographie des lieux, une description des paysages que seul un regard aiguisé peut en saisir les formes, les couleurs, le mouvement, l’Histoire se mêlant aux histoires des gens, le début de ce que sera la musique universelle
Un travail de recherche très fouillé, la capacité de l’auteur à nous faire plonger dans l’atmosphère des lieux et des personnages exactement comme si nous y étions. Bref, nous avons là un exemple réussi d'oser aborder un sujet délicat avec légèreté .... tout en assumant le langage cru!
L’écrivain revient sur cette époque qui n’est pas si lointaine et pourtant tellement incroyable! Il a su nous fait revivre ce que lui-même a vécu sur ce territoire au milieu d'autres adolescents au summum de l'âge ingrat.
Ce qui est extraordinaire, à la fois touchant et intelligent, c’est que le romancier replonge dans son passé et décrit les événements avec la même fraîcheur d’antan comme s'il en était le témoin à la fois naïf et curieux et nourri de toutes ses expériences d’homme qui a traversé les époques.
La narration n’obéit pas vraiment au classique triptyque introduction / Développement / dénouement de la narration. Peut-être, l' histoire est trop longue, la fin sans intrigue voire plate. Peut-être!
Mais personnellement, j’en ressors attendrie par ces adolescents et à la fois avec la certitude d’avoir fait un long voyage.
Merci! "

Auteur : Oumel Nafa
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"Voici mes impressions de lectrice du "Prince des parquets-salons".
Dès les premières pages, j’ai pensé que ce texte était porté par une véritable écriture. je le pense toujours et ce n'est pas un mince compliment.
J'ai été emportée par la truculence du langage, par la place occupée par le narrateur, à la fois partie prenante de ce riche monde montluçonnais et doublement décalé : d'une part en tant qu'intello de la bande qui participe en commentant plutôt qu'en agissant et d'autre part en tant qu'adulte se souvenant et racontant avec le savoir acquis depuis cette époque et l'expérience qui permet de donner sens à ce qui fut vécu spontanément, presque innocemment.
Vous avez su rendre savoureux cet écart permanent entre la vie locale dont le narrateur est non seulement partie prenante mais émanation directe (ses rites de terroir, ses expressions patoisantes, sa vitalité populaire) et l'agrandissement du champ qui fait de ce minuscule endroit le révélateur ou l'illustration des grands changements sociaux de la deuxième moitié du siècle.
J'ai aimé aussi la façon de décrire les paysages naturels, urbains, industriels : précision du regard et empathie leur donnent le pouvoir de susciter le rêve.
L'évocation des parents est émouvante, parce qu'elle laisse discrètement affleurer l'affection sans embellissement ni sentimentalisme et parce qu'elle est reconnaissance des origines.
Ce récit est marqué par la "libidinitude", mais cet aspect ne m'a pas choquée ; j'ai même considéré que les sorties au bal de fin de semaine constituaient le fil conducteur de récit, un principe unificateur.
En tout cas, j'ai beaucoup apprécié les aspects cités précédemment et le style (haut en couleur et bourgeonnant de métaphores, il fait parfois penser à San Antonio). J'ai particulièrement goûté l'inclusion très fluide et comme nécessaire du parler local dans une langue qui peut s'amuser à être académique. Moi qui ai le même intérêt pour le vieux parler Savoyard, je n'oublierai pas le verbe "gouiller", ni le "viâ", ni le "vezon", en espérant que que ce commentaire n'aura rien d'une "achabation."

Marie-Louise Liot Professeur de Français
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Cet ancien normalien de l'école normal d'institueurs de Moulins, dans le Bourbonnais, vient de pondre un chef-d'oeuvre, "Le Prince des parquets-salons". C'est un pur bonheur pour moi et tous ceux qui le liront. Je n'ai pas encore fini de le déguster, page après page, comme un bon vin millésimé, 1960, l'année des ""Sixties".

L'humour cruel qui règne dans ce livre, mais sans vraie méchanceté, s'exerce sur une équipe de jeunes coqs dont le but avoué est d'emballer les filles. Mais à cette époque, sans pilule, sans avortement, sans préservatif, c'était beaucoup plus difficile. Elles se défendaient, les salopes, comme dirait Guy Bedos. Et la rancune qu'en ressentaient les garçons, était manifeste.

Le cadet du groupe, au surnom de "Côtelette", est le fils d'un boucher. C'est aussi le cas de l'auteur. Il souffre de sa condition misérable car ses copains ne cessent de se moquer de lui. Le propos est universel. Les fameux "parquets-salons" sont des dancings qui s'installaient à la campagne à cette époque. Il y a donc un regard sociologique, et même ethnologique. Mais des éclairs de poésie pure viennent illuminer certaines pages.

Je n'ai jamais lu un roman français aussi attachant car l'humour féroce de l'"Angliche" doit beaucoup aux séjours de l'auteur outre-Manche. Aujourd'hui, retraité de l'Education nationale, il concocte de nouvelles oeuvres.

"Le Prince des parquets-salons", Jean-Claude Fournier, Editions Marivole (un petit "régional" qui deviendra peut-être un grand éditeur, comme a fait Actes Sud.. Et il dira alors, en regardant ce livre, "C'est moi qui l'ai fait". ) - 236 pages papier,22 euros - un kindle Amazon de 9 euros.Oyé !

Alix Gaussel : auteure de deux romans publiés chez Calmann Levy, et d'autre roman chez Bénévent (Sex after sixty) ainsi que de livres pour enfants. Egalement chroniqueuse occasionnelle au Nouvel obs
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