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EAN : 9791024205700
240 pages
Dervy (23/06/2020)
2.5/5   1 notes
Résumé :
LIVRE MAL RÉFÉRENCÉ : L'auteur est Stéphane FRANÇOIS (prénom et nom ont été inversés)

Une réflexion sur le complotisme, ses formes de pensée irrationnelle ainsi que sur ses relations avec l'ésotérisme. L'auteur explore, entre autres, la méthodologie scientifique et les diverses expressions employées par ces discours alternatifs, le parcours de René Guénon, la place de la franc-maçonnerie et celle de l'ufologie.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Cet auteur m'a été recommandé dans le cadre d'une conversation sur cette nébuleuse qui dépasse les clivages politiques traditionnels, et réunissant des courants de pensées divers autour de thématiques “complotistes” ou de visions du monde ésotériques, antimodernes, anti-sciences, etc. Toutes ces étiquettes sont souvent réductrices mais elles permettent de nommer certains mouvements qu'il est parfois difficile de qualifier autrement, et c'est d'ailleurs ce réductionnisme qui motive mon envie de lecture : la littérature sur le sujet et la compréhension de ces mouvements a un train de retard.

Des événements récents (crise du Covid, bouleversement économique, reconfigurations géopolitiques, etc.) ont en effet secoué l'opinion publique, et amené des courants divers et auparavant éloignés à partager certaines thèses, certaines explications du monde, certaines revendications. Il est évident que ces courants n'ont pas été jusqu'à se à se fondre entièrement, mais il me semble que ces dynamiques et ces passerelles nouvelles n'ont pas reçu l'analyse à la hauteur de l'importance de leurs enjeux. C'est donc par ce conseil que j'ai découvert cet auteur, en commençant par cet ouvrage, recueil de textes édités sous d'autres formes au préalable et offrant une bonne introduction aux mouvements partageant une veine irrationnelle et/ou complotiste/ésotérique, etc. Il se décompose en quatre parties.

I Méthodologie
II Ésotérisme, “la Tradition” René Guénon
III Différentes expressions du complotisme contemporain (illuminati, anti-maçonnisme, conspirationnisme et/ou antisémitisme
IV Ufologie (Alien Theory, New Age, etc.)

Prises séparément, et dans leur format d'origine, ces synthèses constituent sans doute une bonne introduction à des auteurs ou des sujets obscurs, parfois négligés par la recherche universitaire (trop de sources, trop d'irrationnel, peur du soupçon de complaisance, etc. La partie “méthodologie” est à ce titre assez intéressante) : Guénon, Evola, auteurs de la “Tradition”, franc-maçonnerie (précisons : la franc-maçonnerie décrite ici par un auteur proche de ce courant, mais qui s'emploie à trier le bon grain de l'ivraie, en montrant aussi bien le rôle important qu'elle a pu joué dans la société démocratique moderne, qu'en pointant ses dérives, notamment ésotériques)

Prises globalement en revanche, ces analyses laissent apparaître un parti-pris et un positionnement politique étonnants de la part de l'auteur, particulièrement patents dans l'introduction et dans le plaidoyer pour les Lumières qui clôt l'ouvrage.
Ce positionnement me paraît poser des questions, a fortiori quand on s'attaque à un tel sujet et qu'on fait valoir sa volonté de nuance et de neutralité axiologique. Je vais essayer d'expliquer pourquoi.


Dès l'introduction, nous sommes prévenus. Pour Stéphane François, la quête de sens irrationnel (que notre monde désenchanté n'étouffe pas mais nourrit au contraire) “est polymorphe. Elle peut se manifester : 1/ par un rejet de la modernité technicienne et scientifique, et la défense en retour d'une “autre science” ; 2/ par la promotion de formes de pensée non rationnelles et ar un discours politique extrémiste, etc. ; 3/ par une conception complotiste du monde.(...) L'irrationnel contemporain se nourrit des “fake news” et de la méfiance vis-à-vis de la science et du savoir, qualifiées de “science officielle” ou de “savoir officiel” (...) de la part de personnes ayant déclaré la guerre au progressisme et à l'idéologie du progrès”. le mot “guerre” est fort, mais c'est le cas : s'il n'y a effectivement pas d”états précis, il y a des personnes qui, inconsciemment, ou consciemment, souhaitent mettre à bas le rationalisme scientifique (...) Ainsi l'irrationnel se nourrit du rejet de la science, de la technique et de progrès scientifique, qui d'après ces théories nous amèneraient forcément vers l'apocalypse, vers l'effondrement civilisationnel.”


On comprend l'analyse de Stéphane François. Il y a d'un côté les progressistes rationalistes. de l'autre les pensées irrationnelles et anti progressistes. Cette opposition me paraît assez manichéenne et son systématisme, qui sous tend la thèse de ce livre, me paraît affaiblir celle-ci assez sérieusement. L'ouvrage, qui se clôt par une conclusion écrite comme un plaidoyer pour les Lumières insiste sur cette grille de lecture basée sur l'opposition entre deux visions. La première, amalgamant ce que Stéphane François souhaite défendre : la modernité, le libéralisme (politique et économique), la manifestation du progrès. L'autre, opposée ou réservée sur ce projet, présentée de manière tout aussi amalgamée : les verts contre le productivisme, les communautariens anglo-saxons qui affirment que le modèle libéral pousse les individus à s'éloigner les uns des autres, la critique de la modernité d'extrême-gauche, la critique de la modernité d'extrême droite, et donc, les complotistes et autres ésotériques de tout bord, etc.


Au milieu de cette défense de l'héritage des Lumières et des droits naturels, des valeurs humanistes et fraternelles, de la séparation des pouvoirs (toutes sortes de choses difficilement contestables) surgit un plaidoyer étonnant pour la franc-maçonnerie libérale. “Bien que” pour citer S. François (et la réserve émise est peut-être encore plus étonnante que le plaidoyer) “certains francs-maçons, y compris libéraux, trouve de plus en plus de charme à des penseurs anti libéraux comme Guénon où est Evola, ou à des doctrines romantiques et relevant d'un imaginaire de droite, comme l'écologie. Ceci ne devrait pas oublier que les loges libérales et républicaines ont pu se développer, en France, grâce à ses pionniers du libéralisme.”

“L'écologie, un imaginaire romantique de droite” (précisons que Stéphane François est de gauche)

Je suis assez stupéfait de l'esprit de confusion et du manque de nuance dans cette manière de nommer les (prétendus) ennemis de la modernité et du libéralisme. Elle ne me paraît pas du tout éclairer l'analyse de courants qui peuvent avoir des points de convergence, mais qu'on ne peut amalgamer de la sorte sans tomber dans une grossière caricature. Cette foi aveugle dans le progrès et dans une version maximaliste et “débridée” des Lumières me paraît en outre assez dangereuse, et je suis surpris de voir une adhésion naïve à ce projet chez quelqu'un comme Stéphane François. Je précise version maximaliste et débridée, mais je ne suis même pas sûr qu'une telle attitude béatement progressiste constitue une fidélité à l'objectif des Lumières.


Il est vrai que les Lumières modernes ont eu comme souci la volonté d'égalité et l'éradication de l'obscurantisme et la superstition pour faire place à la raison et à la foi (Kant, l'Introduction à la Critique de la Raison Pure). Sur ce chemin, plusieurs problèmes majeurs ont surgi, bien résumés par Leo Strauss dans sa critique de la modernité. La dernière illusion de la modernité, pour Strauss, c'est croire que le progrès technique, issu de la vulgarisation des sciences, s'accompagne nécessairement du progrès moral et du progrès social, et qu'il soit ainsi un bien en soi. La raison impose de limiter le progrès à des critères civilisateurs et humanisants, pas de s'y soumettre en ouvrant grand cette boîte de pandore. Or c'est ce pari à l'aveugle que semble vouloir nous inviter à faire S. François. Tous ceux qui n'y consentent pas seraient à l'inverse des ennemis du progrès.


Lisant Léo Strauss en parallèle (”Nihilisme et Politique”, lecture que je ne peux que recommander), j'y rencontre une position démocratique et libérale, qui sait donc reconnaître l'héritage des Lumières (toutes choses défendues par S. François), MAIS qui s'efforce aussi de reconnaître et d'analyser certaines des impasses rencontrées sur le chemin de leur projet. Strauss : “Selon ce projet moderne, la philosophie (ou la science) ne devait plus être entendue comme essentiellement contemplative, mais comme active. Elle devait être au service du soulagement de la condition humaine (the relief of man's estate), pour employer la belle expression de Bacon. Elle devait être cultivée en vue de la puissance humaine. Elle devait permettre à l'homme de devenir le maître et le possesseur de la nature au moyen de la conquête intellectuelle de la nature. La philosophie ou la science, qui n'étaient originellement qu'une seule et même chose, devaient rendre possible un progrès vers une prospérité toujours plus grande. Ainsi, chacun aura sa part de tous les avantages de la société ou de la vie, et en conséquence rendrait vrai la pleine signification du droit naturel de chacun à la conservation de soi dans le confort (l'expression est de Locke) (...) le progrès vers vers une prospérité toujours plus grande deviendrait ainsi le progrès vers une liberté et une justice toujours plus grande, ou les rendrait possible.”


Les dangers qui guettaient la civilisation au moment de l'analyse de Strauss sont restés en partie les mêmes (montée des totalitarisme, des nihilismes), d'autres se sont révélés. La montée de l'irrationnel, répétons-le, est un danger. Mais il n'est pas le seul. Il est patent aujourd'hui que le projet de l'homme de se rendre possesseur de la nature se retourne contre lui s'il ne sait pas maîtriser les externalités négatives de son activité et s'il s'emploie à détruire son environnement et le climat. Et que cet idéal de progrès, s'il n'est pas modéré, se retourne contre la possibilité même de la vie sur terre à long terme.


Leo Strauss n'a eu de cesse de s'élever contre la tyrannie et son souci était de défendre la démocratie libérale, prouvant aussi qu'on pouvait être “démocrate” sans être “progressiste” à tout crin. Ou à tout le moins sans avoir une vision maximaliste et purement technique du progrès, définition dont la nature indéfinie (il n'y a pas de frontière ou d'horizon au progrès technologique, mais il y a un horizon au progrès humain, quand celui-ci s'attache au bonheur humain)


Je ressors de ce livre en partie éclairé par les informations sur différents courants, mais je suis plus que déçu par le manque de finesse de la réflexion quant à des points de contacts entre ces courants. le travail d'analyse me paraît assez obtus et il me faudra donc aller chercher dans un autre ouvrage les nuances et le sérieux qui manquent à celui-ci (à moins qu'un tel livre reste à écrire). En refermant ce livre, je me dis que si les meilleurs défenseurs de la modernités et meilleurs spécialistes de l'obscurantisme, sont aussi inconditionnellement et naïvement progressistes, et si farouchement partiaux, nous sommes assez mal barrés.
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