Philémon, tome 12 : Le chat à neuf queues

Il y a des paysages oniriques fantastiques, de drôles d'êtres extraordinaires, il y a aussi tout un jeu sur la perception, les personnages peuvent passer du recto de la feuille au verso par une case-trappe, un oeil se transforme en passage, le graphisme est aussi plein d'inventions, on y trouve des montages avec de vieilles gravures, des collages, de grandes illustrations en pleine page. La série Philémon est d'une grande créativité onirique, surréaliste et le matérialisme y est allègrement moqué.
Dans cet épisode, un imprésario tente d'aller chercher quelques phénomènes pour ses spectacles dans le monde des lettres, il s'y retrouve avec Philémon et Félicien à la recherche du chat à neuf queues. C'est une quête dans un monde étrange.
Philémon était une bande dessinée à part dans les années 60 à 80, c'est un genre qui réapparaît depuis quelques années. On aurait tort d'oublier ce que Fred a apporté au monde de la bande dessinée, c'était un novateur, un créatif pur, et un poète.
À découvrir ou redécouvrir.

"L'Âne en atoll", "La Mémémoire" et le "Chat à neuf queues", on sent que Fred traverse une période difficile. Difficile sur le plan de l'inspiration scénaristique et aussi, surprise, sur le plan graphique. Pourquoi s'étonner de la qualité de son dessin sur cet album ? Et bien, on se dit que si l'auteur nous sort une histoire poussive qui a du mal à s'articuler, au moins il peut donner tout son art dans le dessin. Malheureusement ce n'est pas le cas, Fred nous fait du "punk". Un trait brut, des formes moins recherchées, des couleurs criardes, c'est bien dans l'esprit du "punk". Économie de moyen, répétition « pour meubler », peu de nuances, des dégradés à l'arrache, peu de recherche pour représenter la matière comme il l'avait fait dans les albums précédents. Et d'ailleurs quand est-ce que Fred a travaillé sur ces albums ? 1976- 77 – 78 ? Tiens, comme c'est bizarre... Même l' »Enfant Manu-manu » nous fait du « No future ». On est tellement content de le retrouver ce personnage atypique et jovial, pourtant on doit vite déchanter. Quel coup de vieux il s'est pris !
Mais le travail de Fred ça reste quand même « du Fred ». Des prises de risque, une imagination débordante, des trouvailles, encore des trouvailles que nul autre auteur de BD ne fait. le plus étrange quand on prend du recul, par rapport à sa façon de traiter les histoires, c'est qu'il y a un sacré déséquilibre entre les personnages du monde normal (ou normé choisissez) et ceux du « monde des lettres de l'océan Atlantique ». Dans le premier monde , les personnages prennent de l'épaisseur et de la nuance album après album. Ils deviennent ainsi très attachants (Hector, Monsieur Barthélémy, oncle Félicien, Philémon, l'âne Anatole...) . Pour ceux de l'océan Atlantiques, il y a une timidité (?) à vouloir les réutiliser. Les décors aussi évoluent constamment, on ne retrouve que très peu d'éléments à chaque fois. Comme si l'auteur se sentait obligé de recréer un nouveau monde pour chaque histoire. Vous allez me dire : c'est le but ! Oui mais à force c'est épuisant pour le dessinateur. Et puis, vous n'auriez pas envie de les revoir un peu plus toutes ces inventions, tous ces personnages  ? Des rouleurs de marées au joueur de violon silencieux en passant par Vendredi le centaure et les manu-manus sauvages ?
Bon alors, pour en finir, le punk ça s'écoute ? Oui ? Et bien on va dire la même chose pour « Le chat à neuf queues » . Oui, ça se lit !

Et c'est reparti pour une nouvelle escapade dans le monde des lettres aux côtés de Philémon ! Cette fois, c'est au tour de Roméo L'Impressario de faire un voyage dans le monde onirique de Fred. Il passe derrière une case et est bien décidé à ramener une créature fantastique dans le monde réel. Philémon, ne cautionnant pas les actes du gaillard et part à sa poursuite pour le faire revenir. S'en suit un périple rocambolesque comme il est courant d'en trouver dans les planches de cette saga, à la recherche du chat à neuf queues.
Cet album est encore une réussite et que dire de plus que les précédents ? Il est toujours rempli de magie, de dessins atypiques et plaisants, de belles couleurs et d'une stupéfiante inventivité. Ce 12ème tome est aussi un des plus absurdes car Fred peut désormais s'accorder la légitimité d'interagir avec plus d'intensité avec son histoire (l'univers étant maintenant connu par le lecteur) et sa manière de tirer son héros de chacune des situations embarrassantes, qui peut s'avérer abrupte au premier abord, est en réalité très en adéquation avec le reste et fonctionne à merveille. Que dire de nouveau aussi sur la créativité dans le découpage des planches qui n'a de cesse de se renouveler, alternant entre des illustrations en pleine page, des collages de vieilles gravures, des décors en mosaïques et des planches à 4 puis 3 bandes. La flamme est toujours présente comme au début et c'est un plaisir aussi de retrouver des personnages découverts dans les tomes précédents (une pratique que Fred pourrait continuer dans les albums futurs sous forme de clins d'oeil bien maîtrisés ?).

Une histoire sans queue ni tête, des dessins fabuleux comme de coutume, des créatures toujours plus extravagantes....bref du grand Fred.