Mes fragiles de
Jérôme Garcin est un court récit d'une centaine de pages en 16 chapitres, ne respectant pas la chronologie des disparitions de ses êtres chers, de ses proches-très proches mais les évoquant toutes.
Sa vie est jalonnée par cinq pertes. Celle d'
Olivier, son jumeau, fauché sous ses yeux par un chauffard, à 6 ans. Celle du père, d'une chute de cheval emballé, à 17 ans.
Celle de sa mère en 2020, celle de son frère cadet, 6 mois après, en 2021, celle de sa tante maternelle, en 2022.
Pour les deux premières pertes, accidentelles, lui sont refusées "pour qu'il n'en souffre pas" ou quelque chose d'approchant, la vue du corps dans le cercueil pour un ultime adieu, la messe de départ du défunt, sa descente dans la tombe et l'enterrement, les condoléances. Pour le ménager, lui éviter de possibles traumatismes, il fut privé de deuil. Il semble, via sa bibliographie que ses livres soient l'expression dans le temps de ce travail.
Les deux dernières pertes, celle de sa mère, celle de son frère, sous coma artificiel, en milieu médicalisé, sont l'occasion de ce que j'appelle un travail d'épitaphier. Il fait un portrait des deux, très détaillé, très littéraire et nous les fait aimer. Sa mère, aquarelliste, restauratrice d'oeuvres muséales. Son frère, peintre d'art brut tel que décrit par Dubuffet.
Ce qui est frappant, c'est que Jérôme a reproduit l'attitude dont il avait été "victime" dans son enfance-adolescence. Il tient son cadet à l'écart de l'agonie de sa mère, pour le ménager et par crainte de réactions sauvages, étant donnée la pathologie de Laurent : il a hérité du syndrome de l'X-fragile, maladie héréditaire dont lui-même est atteint et qu'il a transmis en toute ignorance à sa fille. le syndrome de l'X-fragile n'a été repéré qu'en 1991. C'est cet X-fragile se transmettant dans la famille qui donne son titre au récit.
Jérôme fait défiler ses pertes de son point de vue, focalisation interne. Il se demande s'il aurait su accompagner son cadet en le plaçant dans une institution spécialisée. La réponse n'est pas donnée mais évidente. Non, Jérôme pris par sa nombreuse famille, ses métiers de journaliste de presse et de radio, son travail d'écrivain doit aussi se ménager, trouver le temps de toute cette activité heureusement entrecoupée par les temps de vacances, dans des coins de France apaisants.
Pour sa mère, souffrant le martyre malgré morphine et autres soins jusqu'aux soins palliatifs, il est autorisé à une heure de présence. Se rendant compte qu'elle a décidé de s'en aller, de partir, il se sent coupable de l'avoir privée des visites de son fils Laurent.
Je ne doute pas de l'amour de Jérôme pour les siens mais il distingue la famille dont il est issu et celle qu'il construit avec sa femme, la fille de Gérard Philipe.
La famille dont il est issu, c'est une lignée tant du côté paternel que du côté maternel de grands médecins et pharmaciens. Il est donc né et a été éduqué dans un milieu bourgeois, avec des codes, rites précis. Il en a hérité la culture.
Je ne m'étais jamais intéressé à
Jérôme Garcin, avais seulement apprécié son rôle d'échotier rendant populaire et mythique la muse de
Marcel Conche, Émilie, dans des articles du Nouvel Obs.
Pas d'écoute du Masque et la Plume. Pas de lecture de ses livres.
L'écriture de
Jérôme Garcin, multi-primé par tout un tas de prix, est une écriture d'homme du sérail, d'homme de culture, avec pas mal de références, moins assénées que celles de
Sylvain Tesson, des phrases longues mais pas proustiennes, un vocabulaire riche voire rare, l'inscrivant dans l'héritage, le patrimoine littéraire, pictural, musical qui doit être celui d'un homme de goût, d'un homme de pouvoir, de cour et de couloir.
Pour conclure, j'ai aimé ce récit, le conseille.
Je pense que chacun doit chercher, à tâtons, s'il n'est pas dans la fuite, quel rapport vrai à ses malades en fin de vie, à ses mourants. Assez souvent aujourd'hui, on les abandonne dans les mouroirs.
Pour les accidents d'êtres proches, c'est quoi qui nous frappe et nous traque notre vie durant ?
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