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EAN : 9782072797293
208 pages
Gallimard (03/10/2019)
3.78/5   285 notes
Résumé :
Il y a soixante ans, le 25 novembre 1959, disparaissait Gérard Philipe. Il avait trente-six ans. Juste avant sa mort, ignorant la gravité de son mal, il annotait encore des tragédies grecques, rêvait d'incarner Hamlet et se préparait à devenir, au cinéma, le Edmond Dantès du Comte de Monte-Cristo. C'est qu'il croyait avoir la vie devant lui. Du dernier été à Ramatuelle au dernier hiver parisien, semaine après semaine, jour après jour, l'acteur le plus accompli de sa... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (66) Voir plus Ajouter une critique
3,78

sur 285 notes
« Vous aviez raison, il se pourrait que je joue prochainement « le Menteur et Hamlet ». C'était le 23 octobre 1959, c'était il y a un mois. Il n'aura pas pu dire : « Etre ou ne pas être, telle est la question » parce qu'il n'est plus. »

C'est avec beaucoup d'émotions que je viens de refermer le livre de Jérôme Garcin. Je regarde la photo de Gérard Philipe qui ne quitte pas mon bureau depuis très longtemps. Ce n'est pas sa meilleure photo ! du plus loin que je me souvienne, il a toujours été mon idole, je ne saurais dire pourquoi. D'aucuns vous diront qu'il a créé sa propre légende en mourant en pleine gloire si jeune. Mais j'étais beaucoup trop petite pour me rappeler.

Peut-on envisager qu'une petite fille puisse se sentir envoûtée par la voix harmonieuse de l'aviateur du Petit Prince, cette voix à nulle autre pareille, aux intonations masculines mais toute de douceur, fluide, à la plasticité toute féminine, faisant surgir de l'imagination de cette petite fille, des images de désert et d'un aviateur penché sous sa carlingue auprès duquel apparaît ce magnifique petit bonhomme. Sont-ce mes professeurs de français qui m'ont inoculé ce virus au temps où nous apprenions les répliques de nos classiques afin de pouvoir, lors du gala de fin d'année scolaire, monter sur les planches et déclamer ces citations, donner la réplique à nos camarades, tout ceci dans un état d'excitation que seules des élèves pouvaient ressentir à l'idée de jouer devant les parents. Peut-être aussi, les couvertures de nos classiques Larousse où Gérard, magnifique dans son costume du Cid, captait notre attention, lui dont la seule pensée nous éclairait lors de nos répétitions. (Il y avait aussi Thierry la fronde qui animait nos cours de récréation:-))) !

Ce grand adolescent, au visage d'ange noble et romantique, nous a quittés le 25 novembre 1959. Il a rejoint les étoiles à quelques jours de ses 37 ans. C'est dans le costume du Cid qu'avait dessiné le peintre Léon Gishia, dans un pourpoint bleu horizon recouvert d'une cuirasse matelassée bleu nuit à passements dorés et sa cape rouge vermillon que ces cuissardes l'ont transporté pour son ultime représentation, lui l'incarnation du talent et de la grâce.

Il fut avec Jean Vilar, les grandes heures du TNP. Quel dommage que Jean Vilar n'ai jamais souhaité que soient filmées les pièces de théâtre interprétées au festival d'Avignon ! Ce sont ces grands instants où Gérard Philipe donnait toute sa force, toute son incandescente beauté, toute sa capacité à incarner aussi bien la Tragédie que la Récréation. Il fut, pour moi, le Cid, Lorenzaccio, Ruy Blas, Fanfan La Tulipe, et le film qui m'a marquée, Les Orgueilleux avec Michèle Morgan.

Revenons au livre écrit par son gendre posthume si je peux m'exprimer ainsi.

L'auteur est l'époux d'Anne-Marie Philipe, fille de Gérard Philipe et de son épouse Anne. Anne-Marie avait cinq ans au décès de son père, et son frère Olivier, trois ans. Il semble évident que le mythe a rejailli sur l'ensemble de la famille. Difficile pour l'auteur de ne pas rendre hommage à ce sublime acteur.

Jérôme Garcin, relate, avec pudeur, sans rajouter du mélo au drame, à la manière d'un journal intime, les trois derniers mois de la tragédie qui va se jouer sous nos yeux, des vacances aoutiennes de Ramatuelle jusqu'à ce fatidique 25 novembre 1959.

A la suite de douleurs abdominales violentes, Gérard consulte le professeur François Gaudart d'Allaines. le diagnostic envisage un abcès amibien du foie. Une intervention est envisagée à la clinique Violet. Seulement voilà, le couperet tombe, on ouvre et on referme, cancer du foie foudroyant. L'équipe de médecins demande à voir Anne toute seule et c'est toute seule qu'Anne affrontera la nouvelle. Anéantie, elle cachera la vérité à Gérard.

Jérôme Garcin sait parfaitement décrire les émotions, les sentiments auxquels Anne doit faire face. Son désespoir, sa colère, son chagrin, devant la cruauté du destin, et toutes les pensées qui viennent l'assaillir. Ses deux jeunes enfants ne grandiront pas dans les yeux de leur père. le mythe est avant tout un père et un fils ! Et l'on assiste, les larmes aux yeux, mois après mois, semaine après semaine, au courage d'Anne qui fait face à son mensonge, à sa conscience mais Anne reste avant tout le pilier de son artiste de mari. Gérard ainsi protégé peut se consacrer aux projets qui le stimulent, aux textes qu'ils se préparent à interpréter comme Edmond Dantès ou Hamlet.

L'auteur aborde avec beaucoup d'humanité ces derniers jours. Il évoque aussi l'artiste engagé et l'homme qui malgré le succès, est toujours resté d'une grande humilité.

J'ai eu aussi plaisir à lire tous les passages évoqués sur les grandes tragédies grecques, que de souvenirs ! J'imagine que pour nombre de jeunes lectrices et lecteurs, l'histoire de Gérard Philipe est terriblement abstraite et fait partie de la préhistoire !!! Mais pour moi, ce fut un afflux de souvenirs, de tendresse, de poésie et de larmes !

C'est une plume extrêmement sensible que celle de Jérôme Garcin et j'ai bien l'intention de m'intéresser à sa bibliographie.

Je termine par la tirade de Perdican dans « On ne badine pas avec l'amourDe Musset » et je vais vous faire une confidence, j'ai toujours souhaité que cette tirade soit mon épitaphe :

« J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui ».


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Le dernier hiver du Cid est le récit poignant des dernières semaines de Gérard Philippe, un peu gâché quand même par un Jérôme Garcin qui s'écoute écrire et abuse des envolées lyriques et références aux héros incarnés par le comédien.

Ainsi parlant du chirurgien qui l'a opéré et annoncé sa fin imminente à Anne, son épouse, Garcin écrit «  il se souvient d'être allé voir le Cid ... Ce soir-là, il découvrit que, malgré le col trop amidonné du pourpoint, Rodrigue avait la grâce, que la voix d'un guerrier pouvait être caressante et que portées par une sincérité qui frôlait l'innocence, ces vieilles stances pouvaient être d'une candeur éclatante. Même la manière dont il allait embrasser Don Diègue était joyeuse. La tragédie renouait avec l'espagnolade. La Castille était lumineuse. On ne sentait ni le poids du palais ni la lourdeur des étoffes. le théâtre exultait de vie et descendait dans celle des spectateurs. El Cid rayonnait. »

Bien sûr, on peut comprendre Jérôme Garcin en gendre admiratif d'un parfait héros de tragédie, jusqu'à sa vie écourtée par la maladie. Un héros beau, humain, sympathique attirant la lumière et les foules. Passant outre les railleries des tenants de la Nouvelle Vague. Épousant une femme discrète à la beauté imparfaite alors qu'il a tenu dans ses bras les plus brillantes et belles des comédiennes. Un jeune héros résolument de gauche qui ne retira jamais ni son aide ni son affection à son père Marcel, collabo nationaliste condamné à mort par contumace, réfugié en Espagne.

Finalement Gérard Philippe apparaît un être singulier sans fioritures inutiles. Et malgré les réserves de style, moi qui n'avais pas d'intérêt particulier pour Gérard Philippe (livre lu dans le cadre d'un cercle de lecture), contre toute attente, j'ai trouvé ce livre touchant et me suis attachée à la personnalité du comédien. Je peux même dire que grâce à Jérôme Garcin, j'ai découvert un être engagé et sensible qui m'a émue.

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le roman nous livre les derniers mois de la vie de Gérard Philipe depuis le mois d'août 1959 jusqu'au 25 novembre de la même année, jour de sa mort.
Le récit commence en plein été à Ramatuelle. le comédien passe des vacances très actives à retaper sa maison, à jouer avec ses enfants, à vivre un peu avec sa femme, Anne loin de la vie parisienne.
Pour la première fois, il souffre de la chaleur, ressent des douleurs dans le bas-ventre mais la vie continue. Mille projets se dessinent devant lui dont le film de Montecristo, une pièce de Hamlet sur la scène du théâtre Jean Vilar et bien d'autres.
Rentré à Paris, il doit se faire opérer d'un abcès au foie . Un abcès que les médecins déclarent ne pas être grave mais c'est en ouvrant pour l'opérer qu'ils découvriront les dégâts causés par une tumeur inguérissable au foie.
Gérard Philipe décèdera quelques semaines plus tard, le 25 novembre persuadé que sa convalescence va être longue. Il est serein et relit les tragédies grecques. C'est aussi un grand amateur de Corneille et c'est dans son costume du Cid qu'il sera enseveli. Il l'a joué 150 fois.
En mourant, il laisse sa femme, Anne Philipe qui nous a livré "Le temps d'un soupir" que j'ai lu au lycée. Il laisse aussi deux très jeunes enfants : Anne-Marie et Olivier.
Son gendre, le bien connu Jérôme Garcin que j'avais lu dans "Le voyant" ,raconte ces derniers mois ainsi que les origines de l'acteur.
Il nous livre un récit excessivement bien écrit, je me suis surprise à relire des passages deux fois. C'est étonnamment vivant alors qu'il nous parle des derniers mois d'un homme, le père de sa femme.
Il rend hommage à ce jeune homme emporté par la maladie à 37 ans sans exagérer sur ses qualités ni sur ses défauts.
J'ai trouvé qu'il faisait là un beau cadeau à sa femme Anne-Marie.
En tant que personne de plus de soixante ans, j'ai connu la voix de Gérard Philipe me racontant "Le petit Prince" dans une version simplifiée. C'était merveilleux. Quelle ne fut pas ma déception à mon entrée au collège, à 12 ans, quand j'ai dû lire le livre en version intégrale. Je me suis réconciliée
avec le récit depuis.
Et puis, j'avais regardé "Fanfan la Tulipe" avec mes parents.
En vacances chaque année à Grimaud, mes parents et leurs amis avaient absolument voulu aller sur sa tombe à Ramatuelle. J'étais toute petite et j'avais été très impressionnée. J'avais l'impression qu'on voyait sous les pierres à peines posées. J'avais 4 ans en été 1960. J'ai gardé l'image flash de cette visite et ressenti l'émotion de mes parents qui avaient eu l'occasion de le voir jouer dans la pièce "Les caprices de Marianne" d'Alfred de Musset.
Un très beau témoignage de Jérôme Garcin que j'ai tardé à lire alors qu'il était dans ma PAL depuis sa sortie.
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Jérôme garcin qui a épousé Anne Marie la fille de Gérard Philipe, nous raconte en deux cents huit pages. les Six dernier mois, de celui qui fut le plus élégant, fin,
subtil, séduisant, humble, intelligent, éblouissant acteur de sa génération. c'était il y a soixante ans, que Gérard Philipe nous quitter il avait 36 ans.
tout ses films était un événement, du rouge et le noir a monsieur ripois en passant par le diable au corps, les liaisons dangereuses ou l, inoubliable fanfan la tulipe.
atteint d'un cancer incurable. sa femme n'a rien voulu lui dire, sans avoir recours au pathos ou a l, apitoiement. le livre reconstruit ses six derniers mois.
le temps qui passe, mais aussi les tournants dans la vie culturelle ont peut être fait oublier ce que fut Gérard Philipe son role majeur, sa vie exemplaire, la résistance, le soutien loyal a un père qui lui avait pris un mauvais chemin.
le festival d, Avignon aurait pu lui rendre un hommage, mais heureusement qu'il y avait l, amour du public.tout âgés confondu. la rentrée littéraire est foisonnante pour les babelofiles et on sait pas des fois ce qu'il faut choisir. mais pour le dernier hiver du cid , je n, hésite pas du tout. lisez le, c'est passionnant.💞
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Le titre « Le dernier hiver du Cid » préfigure une tragédie.
Après s'être consacré à sa dynastie familiale, Jérôme Garcin centre son exercice d'admiration sur le père de son épouse.
Il ressuscite l'acteur Gérard Philipe, né en décembre 1922, disparu trop tôt (1969), « fauché comme une alouette en plein vol ». Son nom s'est imposé dans les milieux du théâtre et du cinéma. 60 ans plus tard, l'auteur le fait revivre dans un livre dédié à Anne-Marie Philipe, qui n'est autre que « l'infante du Cid », orpheline de père si jeune, une preuve d'amour touchante.

Pour commencer, c'est le portrait d'un homme hyperactif qui est brossé. Un père , papa poule, « aimant, radieux, opiniâtre, et utile », qui se partage entre les jeux de plage avec ses jeunes enfants et son travail d'entretien de la propriété de Ramatuelle.
Sa femme Anne pressent que la fatigue qui saisit son mari dès son lever n'est pas normale. Et constate que sa résistance n'est plus celle « d'une fibre de sisal », affaibli qu'est l'acteur par ses douleurs. Elle s'en alarme et en vient à canaliser l'énergie d'Anne-Marie (4 ans 1/2) et Olivier (3 ans) pour assurer un havre de tranquillité à leur papa. En août 1969, se sentant malade, il souhaiterait avoir la visite de « son jumeau de coeur », Georges Perros, (à qui il a offert l'hospitalité quelque temps) afin de se confier. Mais celui-ci décline l'invitation.

On suit donc, tout d'abord, le quotidien de la famille, l'été 1959, en vacances dans le Var, à La Rouillière, « ferme perdue en pleine campagne », offerte par les parents d'Anne pour son mariage, bâtisse qui nécessite de nombreux travaux.
La vedette adulée des photographes s'en absente pour participer à Paris à la promotion des « Liaisons dangereuses ».

Puis, les vacances finies, la petite troupe fait une halte dans la résidence secondaire de Cergy. Maison aux allures de château dotée d'un grand parc, entretenu par le jardinier Brunet, où les enfants s'ébaudissent. Elle jouit d'une situation idéale et permet au «  Fregoli » de rentrer y dormir après une représentation et à Claude Roy d'y trouver son inspiration.
C'est un homme fuyant les mondanités, les ors que Jérôme Garcin dépeint, investi dans la réfection de la « bâtisse bancroche ». Il trompe son épuisement en allant applaudir « le géant » Laurence Olivier à Stratford, siège de la Royal Shakespeare Company et en revient avec le désir d'incarner Hamlet.

Dernière migration en octobre pour rejoindre leur appartement de la rue de Tournon.
La personnalité de son épouse Anne, ethnologue, se dessine : « conseillère, pygmalion », elle se montre exigeante dans les choix de sa carrière.
On est témoin de l'amitié indéfectible qui va lier Gérard au médecin obstétricien Pierre Velay, à qui il osera se confier sur sa maladie. Quand il est admis dans la clinique Violet, impossible de passer incognito.
Bien qu'hospitalisé, il nourrit de multiples projets pour enrichir son répertoire déjà impressionnant, s'intéressant aux tragédies grecques.
L'émotion saisit le lecteur face au malade affaibli après l'intervention subie. Mais le choc, c'est le diagnostic du médecin et la décision de l'épouse de cacher la vérité.
On perçoit le maelstrom qui l'étreint face à l'annonce implacable.

Émotion encore de voir ce chirurgien, confronté à son impuissance de sauver « le jeune dieu », qu'il admire tant au point de ne manquer aucune de ses pièces.
Anne, 42 ans, veille sur lui, le soutient, lui fait entrevoir son retour Rue de Tournon.
Pour tenir moralement, elle convoque leurs jours heureux, « leur vie nomade et joyeuse, au gré des tournées molièresques du TNP ». Elle se remémore leur promesse, enlacés, par une nuit de neige : «Nous essaierons d'être élégants si un jour nous somme malheureux ».


Les retrouvailles joyeuses avec ses « petits amours » le font revivre. Bientôt 37 ans,
«il est heureux comme un rescapé », lui qui « était un homme pressé, insatiable, vibrionnant », constamment adulé, consent à prendre un peu de repos, avec le projet d'un séjour à la montagne avec sa chère famille.
Le dévouement dont fait preuve Anne qui doit aussi gérer le quotidien, conduire « les bouts de chou » à l'école, force l'admiration.
Le clap de fin, le 25 novembre 1959 fait tomber un rideau, non pas rouge, mais noir.

La triste nouvelle fait affluer les paparazzi (notoriété oblige) et aussi poindre les larmes du lecteur. Les télégrammes affluent, on pleure l'idole. Une pléiade d'intellectuels et d'artistes vient s'incliner devant « le comédien héroïque », mais aussi devant l'homme de gauche, que l'on prenait pour un communiste, même si ce n'était pas tout à fait le cas.
Anne, très digne, l'accompagnera pour son dernier voyage à Ramatuelle. Elle sait que désormais, elle devra « l'aimer à l'imparfait ». Sobres funérailles.

Le passé peu glorieux du père de l'acteur , pendant la guerre, est évoqué, son exil à Barcelone. C'est un homme fier du succès de son fils, qui collectionne les articles de presse. On découvre que Gérard était engagé dans les FFI, et qu'il a participé, en août 44, « aux combats de la libération de Paris ». Rappelons qu'il a crée le SFA, «  le syndicat français des acteurs ». Engagé aussi il l'est dans sa volonté d'être payé comme les autres, et comme Jean Vilar qu'il admire tant, il est fier « d'offrir les grands textes à ceux qui n'y avaient pas accès ».

Un portrait choral de Gérard se décline comme un puzzle sous multiples facettes.
Sa mère évoque l'enfance du « garçon sage, précoce, studieux », à Cannes.
Son épouse Anne a aimé un homme sensuel « à la peau douce, aux doigts longs et fins, à la fossette mutine au menton, à la voix acidulée du Petit Prince».
Pour son chirurgien , il incarne le comédien «au port aristocratique, l'inexplicable alliage de panache et de candeur ». Quant aux réponses au questionnaire de Proust, elles brossent une sorte d'autoportrait.
Le plus poignant, c'est la lettre d'adieu de Georges Perros à cet « élève si singulier qui broutait un texte avec frénésie, fantaisie » et « une diction consonante ».
Un autre de ses professeurs le pleure en silence , Georges le Roy : il avait vu en «  ce jeune fauve, un génie, un prodige de grande race ».
On est admiratif devant l'ampleur de son répertoire, de sa filmographie et devant sa capacité à mémoriser autant de rôles.

Les noms des grands théâtres défilent : Chaillot, Hébertot, l'Odéon, Récamier, la Comédie -Française… et même celui de la Shakespeare Company.
Le narrateur met en exergue le métier de comédien , qui permet «de traverser au galop les siècles et les pays, de porter un jour la cuirasse, un autre la soutane, de défier les puissants, de se donner de nouvelles mères, de nouveaux pères, d'être polygame, de se cacher sous de multiples masques... ».


En filigrane, Jérôme Garcin donne un aperçu de l'époque : le train de nuit existait ! La crise sévit en mai 1958. Parmi les objets : étaient à la mode le radio réveil Bayard, le transistor portatif Optalix. Il note l'engouement des femmes pour le fuseau. Malraux est nommé Ministre de la culture. De Gaulle promulgue la réconciliation franco-allemande.

(On est sensible à la leçon de vie et de courage que donnent le patient et l'accompagnant, face à leur solitude dans cette épreuve .)

Par ce récit intime et mémoriel, Jérôme Garcin rend immortel Gérard Philippe et nous incite à lire les pièces, à voir les films dans lesquels il a participé. L'auteur signe un témoignage puissant et bouleversant en retraçant son dernier hiver. En même temps, il livre un double portrait dithyrambique de l'homme (père, époux) et de l'acteur, « cet Ange, d'une beauté séraphique, à la démarche aérienne », qui avait atteint la stature d'une « rock-star » internationale. Un hommage qui touchera la génération de ceux que Gérard Philipe a fait vibrer et une biographie qui fera découvrir cette étoile aux plus jeunes. Écrire, n'est-ce pas prolonger la vie des disparus? Et quelle élégance de style ! C'est la gorge nouée que l'on s'éloigne du « Cid », à pas feutrés.

NB : Disponible en livre audio lu par Anne-Marie Philipe, collection Écoutez lire.
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critiques presse (4)
Actualitte
04 décembre 2019
Par la vertu d’une écriture tenue mais musicale, Jérôme Garcin arrache à la mort un peu de son empire et chante, non un mythe, mais un homme de chair, vivant.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Culturebox
26 novembre 2019
Le journaliste et écrivain rapporte dans ce livre avec beaucoup de tact et de respect la toute fin de vie de Gérard Philipe dont on n'a jamais su s'il connaissait la gravité de son état ou s'il feignait l'optimisme pour préserver son épouse, Anne.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LeMonde
21 novembre 2019
Le Dernier Hiver du Cid est le magnifique texte, en pudeur, en enveloppements doux, qui, dans la relation de cette tragédie de silences et de sourires, d’efforts et d’amour, retisse toute une vie aux instants mêmes où elle se défait.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaCroix
10 octobre 2019
L’auteur reconstitue dans Le dernier hiver du Cid, récit bouleversant de retenue et de vérité, les heures ultimes du grand acteur, foudroyé à 36 ans, le 25 novembre 1959.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (57) Voir plus Ajouter une citation
Ce garçon, Raymond Radiguet, était l'auteur d'un premier roman, "Le Diable au corps", paru huit mois avant sa mort dont le héros et narrateur avait désormais, depuis le film de Claude Autant-Lara, en 1947, l'enfantin visage de Gérard Philipe.

Bronia (Bronia Clair épouse de René Clair), se rappelle soudain les mots de Cocteau sur l'amant capricieux que, non sans frictions, ils s'étaient partagé : "j'avais tout de suite vu que Radiguet était prêté, qu'il faudrait le rendre. Mais je voulais faire la bête, coûte que coûte le détourner de sa vocation de mort."

Elle se demande alors, dans cette salle où l'attente est insupportable, si Gérard, lui aussi, n'a pas été prêté. Et si l'heure n'a pas déjà sonné de devoir le rendre. Bronia ferme les yeux et enfouit son visage sous l'épaule de son mari qui, lui, n'a jamais brûlé sa vie et fera sans doute, en habit vert, un beau vieillard aux rides fluviales.
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Elle
avait admiré sa manière de galoper à bride abattue dans Fanfan la Tulipe, lui qui n’était pas cavalier (« Il jouait si bien, concédait Christian-Jaque, que
même le cheval croyait qu’il savait monter »), ou sauter, sabre au poing et sourire
aux lèvres, du haut d’un toit, lui qui était si peu sportif – en vérité, il l’était,
mais sans le vouloir, il le devenait à son insu, au gré des rôles, au fil de la vie
et de ses exploits. Elle le sait téméraire, fougueux, indomptable, indifférent aux
maux ordinaires et marqué par une grâce dont elle veut encore croire qu’elle le protégera
longtemps des orages et des tempêtes. Et voici pourtant que, marchant à l’ombre, les
épaules basses, courbant son mètre quatre-vingt-trois, plus grand encore d’être fléchi,
il ne se ressemble plus.

Sans doute, pense-t-elle, a-t-il contracté une méchante dysenterie amibienne à Acapulco,
où il vient de tourner, avec Buñuel, un film malade au titre prémonitoire : La fièvre monte à El Pao, mélo politique tiré d’un roman schématique d’Henry Castillou, où il incarne, sous
un régime fasciste, un homme loyal, sensible et juste, qui défend la dignité des prisonniers
dont il a la charge. Sans doute n’aurait-il pas dû non plus, retour du Mexique, s’arrêter
avec elle à Cuba, où, sans hésiter, il a répondu à l’invitation officielle de Fidel
Castro et sacrifié à un rituel plus complice que protocolaire : visite émerveillée
d’une usine sucrière moderne, discussion enflammée avec des étudiants galvanisés à
l’université de La Havane, dîner et toasts à la gloire de la révolution, que l’acteur français a déclaré vouloir servir à sa manière en incarnant
prochainement Raúl Castro, l’ami du Che et le combattant de la Sierra Maestra, dans
un grand film épique dont il imagine déjà le scénario édifiant et la diffusion prosélytique.
Il serait donc temps pour lui de lever le pied, de se ménager, d’entrer dans l’âge
adulte. Trop de films, de pièces, trop d’engagements militants, trop de désirs d’avenir,
et pas assez de repos, plus aucune trace d’insouciance.

C’est à peine si, l’année dernière, Anne a eu son homme pour elle, tellement le Fregoli,
que Jean Vilar supplie sans cesse d’économiser ses dons, se démultipliait. Il a tourné
dans La Vie à deux, l’hommage à Sacha Guitry de Clément Duhour, et dans Le Joueur,
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Méprisant sa fatigue, il veut absolument aller applaudir Laurence Olivier qui interprète Coriolan à la Royal Shakespeare Company dans une mise en scène de Peter Hall. Le voyage le comble et l'allège à la fois. Il juge le spectacle vilarien, Olivier "géant" et revient d'Angleterre avec une idée fixe : jouer Hamlet, vivre en Hamlet, délirer en Hamlet, vaciller en Hamlet, proclamer haut et fort que "plus le corps est faible, plus la pensée agit fortement". Il se verrait bien aussi en Dorante, dans Le Menteur de Corneille. Il est si jeune encore et il y a tant de rôles à endosser, tant de pièces à honorer, tant de vies imaginaires à épouser, tant de mues à faire et de peaux neuves à porter.

page 28
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Dans l'après-midi, Gérard relit quelques pages du Mythe de Sisyphe , qui avait paru le jour exact de ses vingt ans. Il tombe sur ce passage où Camus parle de l'acteur, dont la mort prématurée est irréparable : "Rien ne peut compenser la somme des visages et des siècles qu'il eût, sans cela, parcourus [...]C'est dans le temps que l'acteur compose et énumère ses personnages. C'est dans le temps aussi qu'il apprend à les dominer. Plus il a vécu de vies différentes et mieux il se sépare d'elles. Le temps vient où il faut mourir à la scène et au monde. Ce qu'il a vécu est en face de lui. Il voit clair. Il sent ce que cette aventure a de déchirant et d'irremplaçable. Il sait et peut maintenant mourir".
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S'il devait disparaître demain, dans cette clinique qui sent la fumigation et l'eau de Javel, c'est un autre bilan qu'il tirerait de sa vie. Le seul dont il soit un peu fier : avoir travaillé avec Vilar, préféré oeuvrer au prestige populaire du TNP qu'entrer dans la très bourgeoise Comédie-Française, avoir joué pour les plus défavorisés, dansé la valse musette avec les spectatrices énamourées des week-ends artistiques de Suresnes, ces jamborees culturels, milité pour la paix, défendu la cause des acteurs, et incarné les lendemains qui chantent. Somme toute, il a été loyal avec lui-même. Ce n'est pas forcément ce qu'on retiendra de lui - la légende préfère les comédiens arrogants et les lovelaces dédaigneux -, mais c'est cette attitude-là qu'il laisserait volontiers, en guise de bilan, à celles et ceux qui lui survivront. Peut-être que même que vieillir, c'est prendre le risque de se contenter de compromis et s'habituer au louvoiement. On décline toujours vers le bas. Ça, il n'en a pas envie.
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Vidéo de Jérôme Garcin
Jérôme Garcin vous présente son ouvrage "Écrire et dire : entretiens avec Caroline Broué" aux éditions des Équateurs. Entretien avec Jean-Claude Raspiengeas.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/3002979/jerome-garcin-ecrire-et-dire-entretiens-avec-caroline-broue
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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