Le fourneau d'une pipe de tabac blond niché dans le creux de sa main, Selby se plongea dans ses réflexions. Mais allez donc avoir un quart d'heure ou vingt minutes de tranquillité, quand vous êtes le procureur de Madison City !
- Entrez !
- Sylvia Martin, du Clarion, annonça timidement la secrétaire.
- Bien. Faites entrer.
Sylvia Martin s'avança avec la familiarité désinvolte d'une jeune personne sûre de son terrain. Au grand public, elle montrait une silhouette de mannequin habillé pour la ville, des yeux rieurs assortis à ses cheveux auburn, un nez retroussé et des lèvres toujours prêtes à sourire. Seul ses "amis" savaient que son esprit pétillant était la façade d'une véritable intelligence, renforcée par la brûlante ambition de réussir dans le journalisme.
15 décembre 1939
"Cher papa,
Ceci pour t'annoncer que nous ne fêterons pas Noël et le jour de l'An ensemble, comme d'habitude. En réalité, papa, je pars.
Les choses auraient-elles tourné différemment si maman avait vécu ? Rien ne le prouve. Tu as fait de ton mieux pour être un bon père, je le sais. Mais croiras-tu que, de mon côté, j'ai essayé d'être une bonne fille pour toi ? Croiras-tu à ma profonde affection ? Non, sans doute. Je t'aime cependant, mon cher papa, et ce n'est pas de notre faute si je te trouve "vieux jeux", et si tu cherches vainement, en moi, les qualités qu'une jeune fille devrait posséder. C'est comme ça, et nous n'y pouvons rien, ni l'un ni l'autre. Mais je ne t'en aime pas moins, je te le jure !
Je passe sous silence la décision que j'ai prise. Elle aurait toute ta désapprobation paternelle, et j'ai horreur des scènes. A quoi bon se heurter, de front, quand toute entente est impossible d'avance ?
Aussi, mon cher papa, je t'écris simplement pour t'annoncer que je veux "vivre ma vie" et te dire adieu.
Bien tendrement.
Marcia."
A neuf heures du matin, la menace de gel persistait, et les rayons d'un soleil languissant ne pénétraient que difficilement le nuage artificiel, au-dessus de Madison City.
Alerte au pays des orangers et des citronniers ! Sur la côte californienne, victime d'une vague de froid tout à fait exceptionnelle, c'était la mobilisation générale contre le Roi des Glaces.
(incipit).
- Entendu. Puis-je faire autre chose pour vous, mes amis ?
- Rien, merci. Ne lâchez pas Handley.
- Oh, comptez sur nous. Mr. Handley est aux mains de deux spécialistes de l'interrogatoire, et il ne dormira pas de sitôt ! Mais pour tenir le coup, il se pose un peu là, ce diable d'homme. Et puis, c'est toujours la même histoire : plus on cuisine un type, plus il mesure notre ignorance, et plus ça l'encourage à faire la mauvaise tête. Enfin...
La seconde auto se remplit de policiers, et la course folle, à travers Los Angeles, commença.
- Attention, les amis, ça va gazer ! annonça Blake comme Selby retenait déjà son souffle.
Il alluma un phare rouge, fit fonctionner la sirène, prit carrément le milieu de la rue et la voiture parut hurler, avec la gueularde, à force de vitesse.
Dans une vision de cauchemar, les paisibles habitants de Madison City virent la circulation normale pétrifiée, dans la nuit glacée. Des automobilistes attardés se rangeaient en hâte et regardaient craintivement par-dessus l'épaule ; on brûlait les feux rouges, on passait, de justesse, entre deux autobus qui se croisaient...On avait, à la lettre, l'impression de courir à la mort certaine. Mais, cramponnée au bras de Selby, Sylvia Martin n'en déclara pas moins :
- Ça, au moins, c'est vivre !
Perry Mason, série télévisée américaine en noir et blanc, créée d'après les romans de Erle Stanley Gardner et diffusée entre 1957 et 1966. Générique