J'ai toujours un peu d'appréhension au moment d'ouvrir un livre de
Romain Gary, car il est de ces auteurs qui m'arrachent le coeur, de par leur humanisme éhonté.
Dans ce livre, Gary raconte Roman Kacew : l'enfance en Pologne, l'adolescence en France, le début de l'âge adulte entre l'Angleterre et l'Afrique, en pleine seconde guerre mondiale. Ces trois périodes sont vécues sous l'immense aile protectrice de sa mère, ancienne artiste russe qui reporte sur son fils unique tous ses rêves de réussite ; ses injonctions au futur ("Tu seras Guynemer ! Tu seras
Victor Hugo ! Tu seras Ambassadeur !") rythment la vie du jeune Roman. Toujours, sa mère le pousse vers le haut, se sacrifiant pour lui offrir des cours de toutes sortes afin de le façonner et multiplier ses chances de succès. Et le jeune Roman opine, bien décidé à honorer cette promesse de gloire qu'il lui a faite, en dédommagement de son dévouement sans limites.
Romain Gary dresse avec amour, pudeur et drôlerie, le portrait d'une mère- monstre écrasante, incontournable, incontrôlable. Et en le lisant, je me dis qu'il faut sans doute être un garçon pour accepter et supporter avec autant de légèreté toute cette surcharge d'amour maternel ; ça m'a toujours fait fuir. J'ai donc préféré la 3ème partie, davantage dédiée à l'armée et aux combats aériens, où j'ai découvert beaucoup d'anecdotes piquantes sur l'état des troupes françaises en 1939, bien loin du roman national établi depuis.
Et puis, j'ai retrouvé ce qui fait tant battre mon coeur chez
Romain Gary : sa soif de justice, son incapacité à désespérer de l'humanité, son refus du cynisme, sa volonté de lutter contre toutes les oppressions -et toujours, son humour, son sens du tragi-comique. On rit, et en même temps, on pleure.
Enfin, certaines réflexions m'ont interpelée, qu'elles soient nimbées d'homophobie, minimisent l'inceste ou banalisent les violences envers les femmes : "J'ai toujours eu la plus grande difficulté à battre les femmes, dans ma vie. Je dois manquer de virilité." Je me demande si les tenants de la décontextualisation seraient prêts à jeter
Romain Gary dans le bûcher de sorciers actuel. Faut-il brûler un homme qui écrit aussi : " Je continue à me voir dans toutes les créatures vivantes et maltraitées." ? Pour moi, la réponse est clairement non.
Romain Gary reste un bel exemple d'humaniste du XXème siècle, qu'il ne faut pas hésiter à lire et relire -juste pour se sentir appartenir à cette Terre qui peut être parfois si jolie.