De cette soirée du 13 novembre 2015, je me souviens d'être allée me coucher tôt pour lire pendant que les garçons regardaient le match. Je me souviens du ton employé par mon mari pour dire sa stupeur. Je me souviens être vite venue me serrer sur le canapé, sidérée par les premières images qui arrivaient, comme happée par l'horreur. Moi qui ne regarde pas les chaines d'info, je n'arrivais pas à décoller mes yeux de l'écran. Et puis, ce fut le tour du Bataclan. Et là, un doute nous a saisi quant à la présence d'un couple d'amis susceptibles d'être sur place le SMS envoyé pour savoir, sans réponse pendant des minutes qui paraissent interminables. le temps semble suspendu (ils vont bien, ils étaient sur la route sans aucune réception).
La suite, tout le monde la connait.
Ce que réussit merveilleusement bien
Laurent Gaudé ici, c'est, par la force de ses mots, à retracer les moments d'avant, une journée comme une autre où les gens allaient profiter du beau temps, où des soeurs jumelles allaient se retrouver pour célébrer leurs trente ans, où des amoureuses allaient s'embrasser, se caresser, s'aimer follement, où des couples se quitteraient fâchés avant de se retrouver une énième fois … la vie d'un jour d'automne d'une douceur inhabituelle, avant qu'elle ne sombre dans une horreur mortifère.
Les mots des morts s'entremêlent à ceux des vivants, les regards des premiers témoins, sauveteurs, policiers ou médecins croisent ceux qui sont à terre. Aucun point de vue ne semble être oublié. Ce policier du Raid qui marche sur les corps mais qui doit avancer pour stopper les terroristes, ce médecin du Raid pourtant habitué aux scènes de conflit, qui doit gérer les urgences toutes plus importantes les unes que les autres, ces infirmières rappelées qui attendent l'arrivée des premiers blessés jusqu'à s'effondrer le lendemain matin sidérées au milieu des blouses souillées qui jonchent le sol, sans oublier ce nettoyeur (au sens du rôle de
Jean Reno dans Nikita) qui s'habitue à la présence des fantômes dans cette salle à jamais meurtrie.
Le texte est porté par des acteurs conscients de l'émotion qu'il va susciter. le désir de certaines, l'amour de deux soeurs, la froideur mécanique d'un policier du Raid à se raccrocher aux procédures pour mener à terme la mission mais dont on sent poindre l'émotion dans la voix, le courage de Mathieu qui tiendra la main d'une victime …
« Nous resterons tristes longtemps mais pas terrifiés. Pas terrassés. »
Je me souviens du lendemain matin, d'avoir chaussé mes baskets pour courir à travers la ville, voulant expulser cette tension accumulée durant la soirée et me réapproprier nos rues, notre espace. Nous étions nombreux à bouger, à avoir eu la même idée, comme pour conjurer le sort, pour montrer que nous étions plus fort que la haine.
Fluctuat nec mergitur