Il veut se souvenir des viscères qui se mêlent au vent de l'été car si l'Histoire a un parfum, c'est celui-là.
Lorsque l'obscurité tombe, lorsque le dernier adversaire est battu, le pire commence, car c'est le moment où il faut accepter de retourner à ses propres tics et à ses tourments.
Où étaient cachées ces images, ces scènes ? Dans quel endroit de la mémoire, inaccessible d’abord puis resurgissant avec la netteté d’un événement récent ? Le vieil homme avait parlé de Mycènes. Oui. Il se souvient. C’est comme si sa mémoire se dépliait maintenant, au fur et à mesure qu’il s’y plongeait.
C'est une victoire. C'est à cela que ressemblent les victoires : les blessés claudiquent et les mourants gémissent, comme dans une défaite.
Ce que disait le mythe, c'est qu'avant même de toucher la terre d'Asie Mineure, avant même d'apercevoir les murailles d'Ilion, Agamemnon avait perdu. Il avait dû tuer sa fille. Quelle victoire valait cela ? Même s'il parvenait à raser Troie, même s'il écrasait ses ennemis et régnait pour des siècles, est-ce qu'il n'était pas d'emblée vaincu ?
Que Jefferson Davis fasse toutes les déclarations qu'il veut, que la Virginie hésite encore, puis rejoigne le camp des sécessionnistes, c'(est bien, il a besoin de gifles. Seule la colère le sauvera de l'ennui. Et il sent là que la chute de Fort Sumter est une chance, une de celles qui ne se présentent qu'une fois dans l'existence et qui va le sauver du désastre.
"Es-tu prêt à partir ?". C'est cela que lui demande son oncle. Et il comprend mieux maintenant. On ne peut partir au combat avec l'espoir de revenir intact. "Souviens-toi de Mycènes..." Au départ, déjà, il y a le sang et le deuil. Au départ, déjà, il faut accepter l'idée d'être amputé de ce qui vous est le plus cher. Au départ, déjà, la certitude qu'il n'y aura aucune victoire pleine et joyeuse. Il repense au vent maintenant, à l'arrière de son taxi. Au vent de Mycènes qui est synonyme de mort. Il repense à ces guerriers qui sont montés dans leur navire, impatients d'en découdre, sans s'apercevoir que quelque chose était déjà perdu derrière eux. Son oncle avait raison. Il l'a éprouvé si souvent. A chaque mission, il a laissé un peu de lui-même. Alors il se demande, là, à l'arrière de son taxi, quelle sera cette fois la part qu'il devra donner au vent.
Au départ, déjà, il y a le sang et le deuil. Au départ, déjà, il faut accepter l'idée d'être amputé de ce qui vous est le plus cher. Au départ, déjà, la certitude qu'il n'y aura aucune victoire pleine et joyeuse.