Ce qui m'a attiré vers ce recueil : le beau titre : « La maison commune »… J'ai tout de suite eu envie de répondre à l'invitation, d'entrer, de la visiter et découvrir ses occupants. On passe rapidement d'une nouvelle à l'autre, chacune va à l'essentiel, le style et le rythme permettant de se sentir concernés, une fois le seuil franchi, par les secrets, les trahisons, les réconciliations auxquels on assiste.
La première nouvelle donne le titre du livre. « Dans la maison commune nous vivions tous les trois, mon frère, ma soeur et moi. » Où sont les parents ? Se succèdent à rythme accéléré les étapes de la vie d'une famille unie, avant de se désunir, puis de se retrouver sous une autre forme. J'ai pensé à L'Amour flou, le film réalisé par Romane Bohringer et Philippe Rebbot, contant leur véritable histoire commune faite de ruptures, mais trouvant une formule pour continuer à vivre avec leurs enfants sous le même toit, dans deux espaces séparés. Exploration ici sous une autre forme des aléas et des solutions respectueuses de chacun.
L'homme sans prénom.
Découverte d'un secret de famille : un grand-père dont le prénom échappe à ses petits-enfants. Des photos de famille où il s'efface, ne donnant rien à voir de sa personne, reflet de sa place ambiguë dans la maison. Un homme dont le narrateur se demande si son silence était gentillesse ou indifférence, gentillesse ou lâcheté... « Peut-être ne pense -t-il pas à tout cela et se contente-t-il de poser avec la ribambelle de ses petits-enfants, douze au total, issus de ses quatre enfants dont un, mon père, n'est pas son fils. »
La belle petite robe d'été.
Une de mes préférées ! J'ai bien été attrapé par la forme et le mystère qui s'invitent dans le récit. Au point de penser être en présence de fautes d'orthographe si fréquentes dans certaines maisons d'éditions (pas chez Quadrature…). Je ne peux pas en dire plus car le charme serait rompu d'emblée. Il est question de privilégier le bienêtre à la rigueur du règlement – bienêtre, ces deux mots attachés de la rectification orthographique, comme un tout à atteindre dans une maison commune –. de quelle façon chacun peut-il se sentir en accord avec son être, quel qu'il soit, dans le commun de la société ? Une fable fait de bienveillance comme on en trouve plusieurs dans ce recueil.
Un chat dans une boite.
Oui… pas de ^ sur le i, les éditions quadrature déclarant appliquer les recommandations orthographiques de l'Académie française… Moi, j'aime bien ce petit couvercle sur le mot boîte ! Mais ici le couvercle est mal ajusté et le chat prêt à sortir toutes griffes dehors. La narratrice imagine ainsi le dieu vénéré par son mari, cet homme honni imposé par sa famille qui a mis un couvercle sur sa vie. Alors elle rêve de s'échapper, d'émigrer, de devenir libre et indépendante.
Ma vie dans la cuisine.
Les rêves brisés d'une femme d'un peu plus de vingt ans, secrétaire médicale arrêtant de travailler pour s'occuper de ses trois enfants. Quand le pli est pris elle ne peut plus espérer retrouver son emploi. La vie pour elle, dans la maison commune, se résume aux taches ménagères. C'est dans la cuisine qu'elle passe le plus de temps… Elle a trente, quarante puis cinquante ans, son mari est parti avec une plus jeune... Il lui faut réinventer sa vie.
Une amitié professionnelle.
Le père est décédé à l'établissement médicalisé où il a été placé. On est chez le notaire pour le partage d'héritage, en présence du fils, de sa mère et d'un inconnu. le fils, par recoupement, met à jour un secret que lui seul et le lecteur vont partager.
Coup de barre.
Un chef d'entreprise stressé, vraiment au bout du rouleau. Plus au fond du trou, ce n'est pas possible. Comme répète l'auteur, son weekend promet d'être long. Une de mes préférées.
La cinquième roue du carrosse.
Parle-t-on ainsi de la femme, du mari ou de la maîtresse retrouvée régulièrement et en catimini à l'occasion de vacances minutieusement choisies durant les nombreuses nuits d'insomnie d'un homme retors ? Mais a-t-il tout calculé ?
La solution miracle.
Uun inconnu partage ses secrets avec son voisin de siège au cours d'une longue nuit passée dans un avion. Bon gré mal gré, il doit écouter cet homme bavard vider son sac !
Laisser une trace.
Une histoire père, mère et fils avec peu de chose en commun. Juste une trace. Un brin d'ironie s'invite pour traiter du thème de la transmission entre générations. Entrée dans la maison commune par la petite porte...
La visite s'achève. Je referme les nombreuses portes de la maison commune, reflets de l'imagination foisonnante de l'auteur, un excellent guide déclinant le thème avec talent. Ce n'est pas un château prétentieux mais une petite maison où il fait bon vivre. N'hésitez pas à la découvrir vous aussi. Ces histoires courtes ont toutes un parfum différent sous une forme égale de belle écriture sans complications inutiles. Ce sont des petits bonbons acidulés à déguster lentement, une récréation à s'offrir à tout moment de la journée.
Brice Gautier est professeur des universités à l'Institut National des Sciences Appliquées à Lyon. Ils se consacre exclusivement à la forme courte et a publié une trentaine de nouvelles en revues ainsi qu'un premier recueil,
Même pas mal, déjà chez Quadrature.
******
Chronique complète avec photos sur le blog Clesbibliofeel. Lien direct ci-dessous
Lien :
https://clesbibliofeel.blog/..