Entre 55 avant JC et 61 après JC, Rome étend son pouvoir sur la Britannica, qui représente la partie sud de l'île de Grande-Bretagne.
Ça ne se fait ni dans l'unanimité, ni dans l'harmonie.
Les tribus autonomes en présence choisissent soit une alliance de plus en plus forte avec Rome, soit de s'en tenir le plus éloignées possible.
Les premières trouvent leur intérêt dans les échanges commerciaux qui enrichissent leurs seigneurs et leur souverain, l'abandon progressif d'un mode de vie traditionnel et de pratiques religieuses ancestrales au bénéfice de la "Roman way of life".
Les secondes souhaitent rester étrangères à l'influence romaine, protègent et cachent les druides, cherchent à préserver leur façon de vivre au sein de leurs tuathas (= famille, clan, peuple, nation).
Pour certaines, un accès plus difficile à leurs territoires favorise cette volonté.
Avec
Les Seigneurs de la lande,
Pauline Gedge se penche plus spécifiquement sur la période comprise entre 32 et 61 après JC, qui voit se soulever des tribus d'ordinaire alliées de Rome, et de remarquables tentatives d'union des royaumes d'Albion contre Rome, ses empereurs et ses implacables légions.
Ces trente années constituent un moment charnière pour l'hégémonie romaine sur l'Europe et pour la Grande-Bretagne. Les autres peuples ont plié, ces îles viennent naturellement comme un aboutissement dans l'esprit d'Auguste et de ses successeurs Tibère, Caligula, Claude, Néron.
Nous suivons le parcours de Caradoc (ou Caratacos, donc non, pas celui du Kaamelott d'
Alexandre Astier !), second fils de Cunobelin, chef des Catuvellauniens très liés à Rome ; d'Aricia, fille unique du ricon des fiers et indépendants Brigantes, élevée dans la tuatha de Cunobelin avant d'être renvoyée dans sa tribu natale ; de Venutius, un autre Brigante ; de Prasutagos, ricon des Icènes, et de son épouse la fameuse Boudicca (ou Boadicée) qui accepte à contre-coeur l'alliance très étroite de sa tribu avec Rome parce que c'est le souhait de son pacifique époux... jusqu'à la mort de ce dernier.
Leurs destins s'entremêlent au gré des ententes et des prises de positions des tribus vis-à-vis de Rome, et de la volonté grandissante d'emprise des Romains sur tous les royaumes de la Britannica durant ces trente ans où le bruit et la fureur ne manquent pas.
Que sont-ils, ces habitants d'Albion ?
Des Barbares, dociles ou non, que Rome veut contrôler comme le reste de l'empire et dont elle attend qu'ils se dissolvent dans la Pax Romana.
Pax Romana, grande pourvoyeuse de pillages, d'esclaves, de déplacement de populations et de transferts dans les légions, sur les galères ou dans les arènes, un peu partout dans le vaste empire, n'hésitant pas à massacrer dans des proportions analogues et avec une brutalité égale à celle de ces "sauvages" qui lui tiennent tête.
L'Empire Romain et sa culture, son raffinement, sa grande expérience militaire, la discipline froide de ses légionnaires surentraînés.
Pauline Gedge raconte les prises de conscience, les retournements, les lâchetés, les erreurs commises, l'objectif d'union des tribus porté par les druides, auquel certains seigneurs adhèreront par idéal et d'autres par opportunisme.
Les liens unissant les tribus voisines, les obligations, les fonctionnements en miroir d'un royaume à l'autre participent de cette alchimie qui doit impérativement prendre pour résister.
D'un Conseil à l'autre, l'auteur peint ces rencontres, ces essais, ces ratés, ces revirements empêchant toute réussite.
La résistance des royaumes donne lieu à de terribles combats, à des batailles frontales que les tribus ne peuvent en aucun cas remporter, à un harcèlement des légions romaines contraire à leur conception de la lutte dans l'honneur mais dont l'efficacité affaiblit le pouvoir de l'empire.
Ses personnages sont complexes, tiraillés entre leurs sentiments et leurs devoirs, humains, tellement humains.
Ils prennent vie au fil des pages, et leur culture, leurs traditions, leur quotidien, Samhain qui ponctue le milieu de l'automne de ses rituels s'esquissent, se précisent sous nos yeux, nous deviennent familiers.
Nous traversons à leur suite les landes et les forêts, les montagnes si menaçantes pour ceux des plaines, les vallées encaissées, et le relief qui s'adoucit pour parvenir enfin au bord de mer dont le souffle iodé vient piquer les narines loin dans les terres.
Elle est si diverse et si belle, cette Britannica.
Comme toujours quand celui qui résiste semble si petit en regard de la machine qui le broie, j'ai été enthousiaste pour eux, découragée, déçue, révoltée, et j'ai voulu croire à ces alliances qui seules pouvaient offrir l'alternative au rouleau compresseur romain.
Malgré l'épuisement à rechercher un consensus qui leur glisse entre les doigts, à rassembler des carpes et des lapins, des tribus hardies et des tribus fragiles, des fières et des faibles, des indomptables et des conquises d'emblée.
Cette histoire de la mainmise de Rome sur la "perfide Albion", qui prendra des dizaines d'années, ne sera jamais complète et exigera des moyens gigantesques (dont la présence permanente de quatre légions, excusez du peu !), m'a énormément intéressée.
Si j'y ai retrouvé les ressorts habituels à tout échec (malheureusement !), j'ai vibré à chaque réussite, au plus petit lambeau de victoire, au moindre exploit pour y parvenir.
Et si l'amertume n'est pas absente de ces flamboiements, elle n'efface pas la témérité, l'héroisme de ces tribus farouches, confrontées à tellement plus organisé donc plus fort qu'elles.
Une belle lecture, qui m'a appris beaucoup et emmenée bien loin.