Ce fut avec une certaine fébrilité que je me jetais un jour sur «
le Tombeau de Saqqarah », découvert au hasard d'une foire aux livres.
Pensez donc ! Un ouvrage dont le personnage principal n'est autre que le prince Khâemouaset, un des hommes les plus remarquables de l'antiquité egyptienne, fils de Pharaon, prêtre de Ptah, érudit, médecin, magicien, et déjà au IIIème siècle avant J-C devenu le héros romancé du cycle de Setné (dont
le Tombeau de Saqqarah s'inspire librement).
Les premières pages nous plongent littéralement dans l'ambiance (ou dans la tombe plutôt, ce qui n'est pas peu dire). Nous suivons donc la quête quasi obsessionnelle de Khâemouaset pour retrouver le fameux Rouleau de Thot, dont on dit qu'il a été écrit de la main même du dieu et qu'il confère un pouvoir sur la résurrection.
Dès le départ on est frappé par l'ambigüité du personnage ; si le prince Khâemouaset est un précurseur, un visionnaire, un érudit qui se plait à restaurer les monuments érigés par ses ancêtres et met un point d'honneur à s'investir corps et âme dans la perpétuation de leur oeuvre, il est totalement dépourvu de scrupules lorsqu'il s'agit de violer des sépultures pour assouvir son obsession, tant et si bien que même les précautions rituelles, religieuses ou morales dans lesquelles il se drape paraissent être de fausses excuses et des alibis hypocrites. Cela en fait un être finalement très humain auquel il est immédiatement possible de s'identifier.
Humain, Khâemouaset l'est aussi à travers ses relations avec sa famille ; son fils Hori, sa fierté, complice de ses expéditions, débrouillard et promis à un avenir radieux ; son épouse Noubnofret, femme de tête qui dirige parfaitement sa maison et peut se targuer d'être une des rares à tenir tête au Prince ; et enfin sa fille Sheritra, quelque part enjeu entre le père et la mère, fille mal-aimée pour son physique ingrat mais à l'esprit vif et perspicace. On s'aperçoit que tout prince, prêtre qu'il est Khâemouaset se retrouve avec des problèmes familiaux, professionnels qui nous sont familiers et l'on s'immerge immédiatement dans son quotidien, d'autant plus que l'auteur excelle à nous plonger dans la vie de l'Egypte sous Ramsès II avec des descriptions d'une précision exceptionnelle.
Advient alors ce qui pourrait passer pour un événement anodin au cours d'une réception mondaine mais dont on ne comprendra la réelle signification qu'à la dernière page du roman. On se demandera longuement qui, quoi, qu'est-ce, pourquoi mais la révélation viendra nous frapper de plein fouet dans un twist final à couper le souffle.
Cet événement signe le lent glissement de l'histoire vers une atmosphère résolument plus fantastique mais également oppressante. L'auteur distille peu à peu un sentiment de malaise, contre lequel on aimerait pouvoir mettre en garde Khâemouaset qui de son côté semble aveuglé par une forme d'hybris qui le pousse à ne pas prendre en considération des signes évidents.
Et c'est là que je trouve un certain point noir dans la narration : les signes s'accumulent, les coincidences sont frappantes, il n'y a que peu de place au hasard et pourtant… rien. Aucune réaction du héros. Si on avait à faire à un paysan borné, un jeune héros naïf, cela paraitrait plausible, mais Khâemouaset est un des esprits les plus brillants de son temps or il ne voit, n'entend rien… Qu'il soit aveuglé par son arrogance, puis par la passion, pourquoi pas, pendant un temps mais au fur et à mesure de la lecture, il devient particulièrement irritant, voire caricatural. C'est le deuxième point noir que je voudrais mettre en exergue.
Si la rencontre avec Tbouboui, Sisenet et Harmin marque la rupture narrative et ouvre sur cet atmosphère délétère qui envahit le roman et qu'elle est dans les premiers temps fascinante et exaltante, elle devient à un moment donné totalement ridicule. J'ai énormément de mal à concevoir que Khâemouaset puisse être complètement aveuglé par une femme, aussi belle et érudite soit-elle, qu'il devienne un être libidineux, totalement soumis à ses pulsions et qu'il ne parvienne pas à se défaire d'instincts primaires pour réfléchir, prendre du recul. L'exemple le plus flagrant reste quand même que même Hori parvient à se défaire de l'emprise de Tbouboui avant son père et que malgré son amour pour Harmin, Sherithra accepte d'entendre les arguments de son frère. A côté d'eux, leur père, le plus grand des magiciens est, pour reprendre l'expression de Tbouboui, totalement « tenu par les couilles » tant et si bien que de héros charismatique, il en devient horripilant.
A cet égard, le troisième et dernier point noir serait pour moi la fin… La résolution du problème, qui laisse un goût amer, de bâclé. Alors que le problème avait mis tant de temps à s'installer, que l'emprise était irrévocable et que l'ambiance malsaine avait atteint son point culminant, en une demi-douzaine de pages à peine Khâemouaset reprend ses esprits et se débarrasse de la menace avec un seul et unique rituel !
Fin… Oui c'était assez frustrant et on aurait simplement eu envie de lui demander de se réveiller plus tôt…
Mais heureusement l'épilogue survient et c'est une excellente –ou très mauvaise selon le point de vue duquel on se place- surprise qui vient nous rappeler le fondement même de ce roman qui apparait presque comme un conte philosophique ; les hommes ont une place, les dieux une autre, il n'est pas bon de se laisser guider par son hybris et de se croire leur égal. Les dieux ne sont jamais cruels, ils sont justes, même dans les épreuves auxquelles ils soumettent leurs dévots mais au final il semble que les mortels refusent de voir ce qui est pourtant évident.
De ce fait, ce roman est pour moi en demi-teinte ; si la description de l'Egypte antique, l'ambiance malsaine et la leçon philosophique ont été de grands moments de lectures, je reste un peu plus dubitative concernant le traitement des personnages, le rythme de l'intrigue. Il n'en reste pas moins que «
le Tombeau de Saqqarah » est un très bon ouvrage que n'importe quel amateur de l'Egypte devrait lire au moins une fois afin de se forger sa propre opinion.