Un peintre était là, m’avait-on dit. Comme il y avait déjà des peintres un peu partout, en Bretagne, je n’avais j)as eu trop d’étonnement d’en rencontrer un dans cette région sauvage, presque inhabitée, et je m’étais installé pour dîner, après une journée de marche, à une petite table placée dans l’encoignure de la salle. J’avais pris, sans le savoir, la place habituelle de l’artiste. Celui-ci entra. Un fort gaillard, vêtu d’un tricot, coiffé d’un béret, la barbe en broussaille, et des yeux brillants, aigus, qui me transpercèrent dès la porte. Je compris que celui-là tenait à sa solitude, mais puisque je devais rester près de lui au moins pendant un mois, et que lui non plus n’était pas près de s’en aller, j’ouvris la conversation, j’allais dire les hostilités.
On peut deviner que l’écrivain débutant que j’étais alors ressentit une émotion à se trouver en compagnie rustique et familière avec le grand peintre qui avait affirmé tenacement son talent et sa conviction à travers tous les mécomptes de la vie d’artiste, sans jamais rien concéder aux exigences de la critique gourmée, aux cruelles plaisanteries de la critique blagueuse, ni aux conseils des amateurs et des marchands, ni à la tranquille ignorance du public, parfois déchaînée en colère malfaisante. Je suis heureux de l’avoir vu pour la première fois dans l’un de ses paysages, une des régions dont son art s’est emparé au point de s’identifier avec elles.
Nous avons gardé tous deux, à travers la vie, le souvenir des jours passés dans cette région sauvage, presque solitaire, et ce fut ainsi que naquit une amitié qui ne s’est pas démentie depuis, et que l’on me permettra de manifester comme un hommage, non seulement à ce grand artiste, mais à cet homme simple et bon, si tendrement affectueux pour les siens, pour ses anciens compagnons d’existence, aujourd’hui réduits à quelques-uns.
Tout cela est d’un bien mince mérite pour nie mettre en ligne à côté des grands talents du présent. Si je n’ai pas le mérite d’être classé parmi ceux-là, j’aurai peut-être eu aussi ma très petite part d’influence dans le mouvement qui porte la peinture vers l’étude de la grande lumière, du plein air et de la sincérité dans la production des effets du ciel. Si plusieurs de ceux que j’ai eu l’honneur d’introduire dans la voie, comme Claude Monet, sont emportés plus loin par leur tempérament personnel, ils ne m’en devront pas moins quelque reconnaissance, comme j’en ai dû, moi-même, à ceux qui m'ont conseillé et offert des modèles à suivre.
Les Impressionnistes, — dit Duret, — en se faisant connaître, avaient soulevé tout le monde contre eux. Après cela, les quelques partisans qu'ils avaient recrutés, qui cherchaient à les défendre, les trois ou quatre marchands qui avaient eu le courage d'acheter et d'offrir de leurs œuvres, se trouvèrent comme des gens prêchant dans le désert. Ils ne purent se faire écouter. Les tableaux impressionnistes devinrent invendables. Ce furent alors des années de détresse et de misère. Monet partagea le sort commun. Il connut les pires embarras d'argent. Il dut abaisser le prix moyen de ses toiles à cent francs, et ce ne fut qu'à grand'peine qu'il parvint à en vendre suffisamment pour ne pas sombrer.
"L'enfermé" de Gustave Geffroy.