Derrière ce titre énigmatique se cache un premier roman tout à fait galvanisant et joyeux. Passées les trente premières pages, un peu poussives et dont on se demande où elles vont nous mener, on découvre un monde méconnu à travers les yeux de Mona/Mara, danseuse dans un cabaret érotique parisien. Très loin du glamour Crazy Horse, Oz, le lieu où Mara officie tous les soirs est un lieu bien plus fou et hautement romanesque, qui se raconte par les nombreux personnages qui le composent : les danseuses (toutes plus attachantes les unes que les autres), le DJ/videur qui prend soin de ces dernières comme un prince, la patronne-Fräulein qu'on ne voit presque jamais et dont les apparitions sont redoutées comme une entrée en scène de Dark Vador, et les clients bien sûr, parfois drôles, souvent pathétiques et pourtant jamais regardés de haut par la petite troupe. le texte est une merveille d'humour et d'élégance, et réussit à rendre toute la complexité d'une activité souvent reléguée aux reportages putaclic de pastilles internet type Brut. ou Konbini. Un moment de lecture, fun, pop, résolument féminin et féministe.
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Quand nous divorçons avec Simon, alors que je pensais en toute bonne foi finir mes jours auprès de cet homme, alors que ma vie ne se brise pas, semble au contraire se déployer, je me dis : Mona, qu’est-ce que ces dix années passées en couple t’empêchaient d’accomplir, qu’est-ce que cette rupture peut amorcer, qu’est-ce que tu peux désormais faire que tu t’étais interdit jusqu’alors ?
La première des choses qui me vient à l’esprit, la plus évidente, est que je peux faire l’amour avec d’autres personnes. Ensuite, je ne sais plus, je sèche. Je décide donc de tout mettre en œuvre pour parvenir à ce noble dessein, contrarié par ma longue histoire monogame.
« Mais, me prévient ma sœur, tu baises au final plus quand tu es en couple que quand tu es célibataire. »
Par quoi attaquer ?
Des semaines que j’y réfléchis, sans parvenir à saisir l’extrémité du fil. Une entrée doit bien être préférable à une autre, qui va soudain m’apparaître avec évidence, conditionnant ce qui va suivre. Debout dans l’étroit couloir, je suis indécise. Les portes sont multiples et se dérobent dangereusement. Et le papier peint à motifs géométriques n’aide sûrement pas à y voir clair.
— Tu te prends trop la tête, Mona, me dit ma sœur au téléphone. Il suffit d’écouter ta première intuition et de voir où elle te mène.
Le pragmatisme de ma sœur m’a toujours éberluée. Il est rare qu’elle ne soit pas de bon conseil.
Alors faisons simple.
Je décide d’écrire un spectacle autour de l’érotisme et de la pornographie, en prenant comme point de départ le rapport complexe que j’ai toujours entretenu avec le sujet. Je veux travailler sur ces paradoxes qui me définissent et, plus généralement, nous définissent tous en tant qu’êtres humains. Le sujet s’impose avec évidence, ainsi que ma légitimité à le traiter, j’ai l’impression qu’il mûrit en moi depuis toujours, mais je peine à trouver des financements. Je ne me sens pas l’âme d’une businesswoman, les relations de pouvoir me fatiguent et mon ambition s’avère toute relative à l’épreuve de porter, de bout en bout et sur mes frêles épaules, la création d’un spectacle.
Il est temps de retirer mon soutien-gorge. Je tremble tellement que je n’arrive pas à le dégrafer, panique intérieurement mais souris, grande dame, en l’enlevant par le haut. Faire croire que je sais ce que je fais, que tout est prévu. Ne suis-je pas sur scène en définitive, c’est-à-dire en terrain connu ? Mes sensations sont très proches de celles ressenties lors de la première d’un spectacle, où l’on est soudainement balancé dans la lumière face à la réalité d’un public, après avoir répété pendant des semaines devant l’abstraction de fauteuils vides. C’est la même profonde effervescence. Le même épais coton et la même acuité.
Sur la balançoire, j’ai l’impression de m’envoler pour de vrai. Je sens le souffle de l’air sur mon cou, sur mes jambes, mon cœur qui se soulève chaque fois que je monte, la légère dépression chaque fois que je redescends. Je me sens infiniment libre. Et je sais qu’on me regarde. Mes sensations sont démultipliées. Je suis dans mon corps, mais je suis aussi à l’extérieur, je m’observe avec les autres. Je suis dans ma vie et hors de ma vie, une petite fille mais aussi un personnage, que dis-je, un personnage ?
Une héroïne.
Adolescente, ni tout à fait enfant, ni tout à fait adulte.