AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,13

sur 558 notes
5
37 avis
4
18 avis
3
4 avis
2
0 avis
1
1 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
C'est l'Amédée qui raconte, le soir où dans un bar de Manosque il a croisé l'Albin avec sa pierre dans le coeur, le regret d'avoir laissé Louis, avec toute sa pourriture, emmener Angèle et la vendre à Marseille.

Tous les deux, saisonniers agricoles, c'est pas avec des mots qu'ils racontent, c'est avec le bruit du vent la nuit dans les platanes, avec l'odeur de feuille humide, avec la lune sur la joue de la montagne et Albin, c'est avec la musique de son 'monica' qui guérit les coeurs.

Et ce qui rend Amédée encore plus immense, c'est qu'il ne laisse pas rentrer Albin dans son hameau de Baumugnes avec une pierre qu'il portera toute sa vie, pas plus au début qu'à la fin où il refuse de la laisser dans le coeur des parents d'Angèle, Clarius et maman Philomène.
Commenter  J’apprécie          370
**RETOUR DE LECTURE****

Un peu comme l'amour, les coups de coeur livresques surviennent sans crier gare, souvent à la lecture d'un livre qui ne présage en rien de sa préciosité et de sa magnificence. Toutefois, en ouvrant Un de Baumugnes de Jean Giono d'une main assurée, j'étais certaine d'y trouver mon compte. Habituée à l'écriture de Giono, c'est tout naturellement que j'ai lu ce roman, ayant en tête Un roi sans divertissement et Jean le Bleu que j'avais appréciés.

Or, rien ne pouvait me préparer à la lecture de ce récit court, mais si bouleversant. Dès les premières pages, j'ai été tenue en haleine par cette histoire, qui m'a fait passer par toutes les émotions possibles et qui m'a tiré une petite larme à la fin.

À mon sens, ce roman représente le mieux la posture de cet auteur prolétarien, dont l'écriture s'est révélée être une manière de transcender sa condition sociale et humaine.

En outre, lire du Giono, c'est se prendre une claque. Ça vous ramène à l'essentiel, à la nature, à la simplicité, à l'entraide.

Dans Un de Baumugnes, le personnage principal vient en aide à Albin, qui est tombé amoureux d'Angèle, salie par Louis, qui en a fait sa prostituée. Toutefois, au malheur survient Archimède, un héros sans le vouloir, un homme qui a vécu et qui est sensible à la misère humaine ; un homme qui s'exprime comme il pense ; un homme qui avec son franc parler paysan vous saisit tout entier, vous empoigne le coeur et ne le lâche plus. Cette écriture authentique et sans fioritures témoigne de l'âme poétique de Giono, à laquelle vous ne serez probablement pas insensible.

Ainsi, il m'a semblé traverser l'odyssée du malheur pour atteindre ce qui a de plus beau chez l'être humain : la fraternité et l'amour qui pansent les plus vilaines blessures. Alors, mesdames et messieurs, asseyez-vous, saisissez ce roman et laissez-vous entraîner jusque dans les hauteurs et les étoiles.
Commenter  J’apprécie          20
Quel plaisir de lire Jean Giono! Après "un roi sans divertissement", "le hussard sur le toit" et le premier tome de cette trilogie "Colline" j'ouvrais avec grand plaisir ce deuxième volet. Encore une fois je n'ai pas été déçu. Giono a cette faculté d'écrire par énigmes, de laisser des images dans la pensée du lecteur, images ornées de sublimes paysages provinciaux que traversent de mystérieux personnages. Ces personnages, le lecteur apprend à les connaître au fil de l'histoire et découvre leurs rôles et leurs caractères en captant les quelques indices disséminés discrètement par son auteur dans les pages qui composent le récit. Ces indices ne sont pas nombreux et encore moins explicites car la touche lacunaire de Jean Giono, qui en est sa signature, est un véritable art qui plonge le lecteur dans une étrange sensation où chaque page, chaque paragraphe, chaque phrase, aussi anodins qu'ils puissent paraître sont en fait des renseignements forts sur le contexte de l'histoire que le lecteur se doit de recomposer. Chaque lecture d'une oeuvre de Giono me transporte car sa prose est suffisament précise pour nous permettre de sentir l'âme de son récit mais également parfaitement évasive pour laisser l'imagination vagabonde du lecteur la reconstruire selon son entendement. Giono maîtrise l'art du "non-dit" et chacune de ses lignes force notre imaginaire, parfois à la limite du fantastique ou du magique, à recomposer l'histoire baignée d'une douce poétie. Un grand bravo M. Giono.
Commenter  J’apprécie          00
Eh bien me voilà tout retourné. Je referme ce deuxième tome de la trilogie de Pan avec une belle émotion et les yeux humides. Je n'avais jamais lu Giono, j'avais un gros à priori , j'imaginais un auteur et une littérature ré-gionaux, deuxième à priori soit dit en passant. Et j'ai mis le nez dans Colline, énorme claque, et maintenant ce "un de Baumugnes".
Giono tisse son histoire avec une langue. Elle en est le sang, l'identité profonde. Il n'écrit pas dans le style des gens du coin. Cela n'a rien à voir. Il invente une langue qui invente un monde. Giono est un poète, un poète de l'espèce antique, dont le Père est Homère. Pas uniquement parce qu'il est pétri des mythologies grecques, cela, tout le monde peut le faire. C'est par le souffle, l'ampleur du souffle, la hauteur du point de vue, l'étendue du regard. Sa générosité aussi ; il nous prend par la main, il nous accompagne, nous lecteurs qui entrons en sympathie avec lui.
Tout simplement, lumineusement remarquable.
Commenter  J’apprécie          80
Un de Baumugnes
Jean Giono (1895-1970)
Publié en 1929, ce magnifique roman de Jean Giono fait partie de la trilogie de Pan avec « Regain » et Colline » que j'ai par ailleurs commentés, une oeuvre triple dont l'inspiration est née de la terre et de l'âme populaire. L'action se situe comme de coutume sur les plateaux crépitant de soleil et de solitude de Haute Provence dominant le ronronnement de la Durance non loin de Manosque.
Tout commence à la Buvette du Piémont où Amédée, un vieux journalier en fin de foulaison à Marigrate, remarque un jeune garçon triste et taciturne qui, la boisson faisant, se confie à lui avant de quitter le village les travaux finis. C'est Albin, un jeune homme clair comme l'eau, qui tombé amoureux de la belle Angèle Barbaroux, belle à crier au péché, se l'est vue ravir par un garçon de mauvaise vie, un certain Louis dont l'intention est clairement de la faire travailler sur les trottoirs de Marseille. Albin foudroyé par la beauté d'Angèle :
« …Elle était sur l'autre bord de la Durance…C'était bien elle. Je la reconnaissais à la forme juste de son geste. Elle avait troussé son jupon et elle était nue de toutes ses cuisses ; sans corsage, elle était nue de ses seins roux comme de grosses prunes et, ainsi faite, elle pataugeait dans l'herbe et l'eau en chantant. »
Trois années ont passé et Albin est toujours inconsolable. Amédée, tel un père, décide alors de contrer le destin, se rendre à la Douloire, la ferme des Barbaroux où restent Clarius le père, un être fruste et sauvage, Philomène une mère accueillante et Saturnin l'homme à tout faire.
« Ça sentait le champ de maïs ténébreux…Ça sentait la résine et le champignon et l'odeur de la mousse épaisse. Ça sentait la pomme sèche. » Amédée loue ses services, «il est de la terre, il aime la terre lourde de blés, avec des cyprès contre les bastidettes, avec des touffes de chênes verts, avec de l'herbe roussie par le soleil et des ruisseaux vides où coule, à la place de l'eau, le bruit des charrettes, le parfum du thym et le rire des gardeuses de chèvres. »
Amédée a sa petite idée et s'engage alors dans une aventure dont le final est assez hallucinant après des jours de tranquillité agreste et bucolique au milieu des thym et sarriette.
Albin est de Baumugnes, la montagne des muets, le pays où on ne parle pas comme les hommes. Parlant à Amédée :
« Baumugnes, c'est moi. C'est fourré dans ma peau : les choses solides, de la couleur et du goût des herbes, du chant des arbres, du grincement des maisons de bois dans le vent glacé, et des choses, comme qui dirait des choses d'air, ça qui fait que le coeur tremble de joie, ou s'alentit, adoloré, de ce que le bruit, le parfum ou la couleur porte en plus de sa chose propre. »
Déjà on remarque le style original pour ne pas dire originel de Giono, un style poétique adapté au terroir mettant en lumière la richesse de la terre et les travaux qui s'y rattachent, une terre riche de secret et de violence, terroir où les passions sont silencieuses, un style surprenant et authentique. Un hymne à la liberté et à la gloire des vivants, un appel au bonheur dans la pudeur et la dignité, malgré la rudesse et la rusticité des sentiments qui souvent cachent une tendresse émouvante avec un bel élan d'amitié quasi filiale entre Amédée et Albin.
Un chef d'oeuvre.
Commenter  J’apprécie          50
Je confirme avec ce roman que j'ai découvert un magnifique auteur qui est Giono, il était temps ! ;) Et que dans la trilogie de Pan que j'ai lue à l'envers, je n'aime toujours pas Colline mais que j'ai adoré Regain !

Un de Baumugnes est une histoire d'amour et une histoire d'amitié fabuleuses !

Après les moissons deux hommes causent dans un bar. L'un confit à l'autre son désespoir d'avoir laissé partir une belle jeune femme dans les griffes d'un méchant garçon !

Le second n'aura de cesse de chercher à retrouver cette jeune femme. Il part vers la ferme familiale...

Entre les descriptions de paysage d'arrière Provence, les mots chantants, cette magnifique langue pleine d'évocations, et tout ce bon sens paysan, voilà un roman à lire pour le fond mais aussi pour la forme.
Commenter  J’apprécie          52
Connaissez-vous « Angèle » ?
La chanteuse ?
Non, pas la chanteuse.
Ah oui Mam'zelle Angèle qui fait des pantalons des jupes et des jupons et des gilets d'flanelle ?
Pas celle là non plus. Non je vous parle d'« Angèle » de Marcel Pagnol.
Ah oui, « Angèle », avec Saturnin, qui était joué par Fernandel !
C'est cela même. Mais saviez-vous qu'avant d'être un magnifique film de Marcel Pagnol, Angèle était un magnifique roman de Jean Giono, qui s'appelait « Un de Baumugnes » (le roman, pas Giono. Giono lui, c'était un de Manosque) ?
Le roman date de 1929 et l'adaptation au cinéma de 1934. Tous deux sont des chefs-d'oeuvre chacun dans leur genre. Il ne sert à rien de les comparer, puisqu'ils sont de nature différente : le roman présente des qualités que le cinéma ne peut reproduire, et inversement le cinéma a des possibilités que le romancier n'aurait pas pu exploiter.
Baumugnes est un village de Haute Provence. « Un de Baumugnes », le titre du roman, définit un berger, Albin, qui un jour a vu une jeune fille, Angèle, tomber sous la coupe de Louis, un proxénète. Depuis Albin cherche cette fille qui a disparu. C'est la fille de la Douloire, une ferme des environs, tenue par Clarius et Philomène les patrons, avec l'aide de Saturnin, un vieux valet de ferme. Amédée, qui a pris en pitié Albin et son amour perdu, se propose d'enquêter à la Douloire pour savoir où est Angèle. Il comprend vite que le drame est là, dans la ferme. Clarius tient cloîtrée sa fille, revenue un jour avec un bébé sur les bras. Et le malheur pèse sur la ferme et ses occupants. Amédée comprend vite de quoi il retourne et en informe Albin. Celui-ci met au point un plan pour faire évader Angèle. Mais comme c'est un garçon foncièrement honnête il vient officiellement demander la main d'Angèle, avec le bébé par-dessus le marché. Comme il a l'appui de Philomène et de Saturnin, il finit par l'emporter, Clarius, finalement, est vaincu :
« Il n'a pas tiré.
Ce n'est ni Philomène, ni la Vierge, loin, là-haut, qui l'ont retenu.
C'était quelque chose, vous savez, l'Albin dans cette maison : cet homme pur comme la glace.
Voilà l'histoire ».
« Un de Baumugnes », c'est ce combat du blanc contre le noir, de la pureté contre la saleté et la méchanceté (même quand cette méchanceté, comme chez Clarius, tient plus de l'orgueil que de la réelle malveillance). C'est le combat de l'amour pur et sincère contre l'amour vénal, souillé et perverti. Et c'est le combat de la vie (épanouie) contre la mort (recroquevillée sur elle-même).
Il fallait des mots pour mettre tout ça j'allais dire en musique, c'est presque ça : en poésie. La langue de Giono est chantante, et tout en restant réaliste, l'auteur nous fait partager un univers où la nature règne en maître, non seulement par le décor (sublime, évidemment) mais par la beauté sauvage des sentiments, où les personnages ne trichent pas. Amédée, le narrateur, avec son ton de vieux sage qui en a tant vu, nous entraîne dans ce monde âpre et magnifiquement beau.
La trilogie de Pan (« Colline », « Un de Baumugnes », « Regain ») constitue pour moi le meilleur Giono, avec peut-être « Jean le Bleu » et « le Chant du monde ». Les romans qu'il écrira par la suite, n'auront plus cette innocence, cette pureté d'intention, et en voulant se rapprocher du modèle stendhalien, se détacheront du véritable Giono, celui des premières oeuvres des années 20, 30 et 40.



Commenter  J’apprécie          142
Ce court roman est une histoire d'amour qui prend aux tripes tout en étant rafraîchissante et émouvante, c'est aussi un ode à la nature dans la lignée de Colline,la première partie de la trilogie de Pan. Et aussi un hommage aux petites gens de la Haute Provence, à leur vie rude, fruste mais proche de la nature, à l'amitié, à la solidarité. La langue et le style de Giono sont absolument extraordinaires. Son vocabulaire est riche, mais en même temps simple : beaucoup de mots liés aux plantes, aux animaux, aux travaux agricoles, un peu de vocabulaire local (mais en fait très peu), et des néologismes remarquables et parfaitement limpides. Et tout cela dans des phrases à la syntaxe poétique, toujours correcte mais dont la justification vient très souvent de la musique des mots. Je me suis surprise à relire certaines phrases à haute voix pour les entendre. Il y a aussi, comme le narrateur est un vieux journalier, le parler truculent des paysans, plein d'ellipses et de non-dits. Toutes ces qualités étaient déjà présentes dans Colline, mais ici, avec cette histoire, le résultat est magistral, plein de finesse et de tendresse.
Commenter  J’apprécie          280
"Je sentais que ça allait venir.
Après boire, l'homme qui regarde la table et qui soupire, c'est qu'il va parler."
C'est par ces mots, cette langue qui n'appartient qu'à lui que s'ouvre le second volet de - La trilogie de Pan - de Jean Giono, inaugurée avec l'inoubliable - Colline -... confrontation entre l'homme et la terre ou plus génériquement "la nature", et que clôturera - Regain -.
Cette fois, l'auteur nous offre un hymne à l'amour et à la fraternité.
C'est une histoire d'hommes et de femmes certes, mais toujours les pieds inextricablement ancrés dans cette terre, dans cette Gaïa qui les a vus naître, les voit se colleter à ses caprices, à ses colères, supporter ses humeurs, les voit chanter et danser aux joies qu'elle leur offre en récompense du dur labeur qu'ils consentent à lui sacrifier, et les accueille en son sein lorsque leur chemin les ramène aux racines de cette terre où ce chemin prit un jour naissance.
Toujours mêlés de manière indissociable l'un à l'autre, Giono par une intrication lexicale "incestueuse", un panthéisme poétique, quelquefois lyrique, nous conte et nous raconte une histoire qu'a édulcorée Pagnol dans son film intitulé - Angèle -, tiré évidemment de - Un de Baumugnes - de Giono.
Un vieux journalier, Amédée, un homme bon, fait la connaissance d'Albin, un autre ouvrier agricole, grand et beau jeune homme à l'air triste.
Amédée est humainement attiré par ce garçon qui se tient à l'écart.
Un soir de repos, autour d'une bouteille, Albin le taiseux se raconte.
Trois ans plus tôt il est tombé fou amoureux d'Angèle la jeune et belle fille de Clarius et de Philomène, propriétaires de la ferme "la Douloire" .
Timide, il n'ose rien entreprendre.
Son "ami" d'alors, Marcel, un petit marlou marseillais décide de la séduire et de la mettre sur le trottoir.
Chose dite, chose faite.
Trois ans qu'Albin traîne sa peine d'amour de ferme en ferme !
Amédée décide de l'aider en se rendant à la Douloire et en ... enquêtant..
Après quelques "péripéties", Amédée est embauché à la Douloire.
Il en vient très vite à comprendre qu'Angèle est de retour... avec un petit.
Ses parents, pour cacher leur honte, séquestrent la mère et l'enfant.
Amédée et Albin vont passer à l'action...
Dès lors, comme il y a "le feu" dans - Colline -, un feu colère, un feu vengeur et ravageur, il y a dans - Un de Baumugnes - "l'orage", une semonce du ciel à l'homme et à ce qui l'entoure. Une pluie effrayante et salvatrice à la fois.
Cet orage est le début, dans ce roman de Giono, de la plus belle partie de son bouquin.
"L'intrication" que j'ai évoquée précédemment donne à la plume de l'auteur une dimension poético-panthéiste irrésistible d'inspiration, de souffle et de beauté.
Témoin ce passage dans lequel Albin, villageois de Baumugnes, un "pays" perché très haut et très loin dans cette provence qu'affectionne Giono, a pour singularité d'avoir été, il y a longtemps, un lieu refuge pour des pauvres diables chassés de leur terre pour des motifs religieux, des êtres errants auxquels on avait tranché la langue.
Ils s'installèrent très haut et très loin des "autres" et fondèrent Baumugnes.
Pour communiquer entre eux, avec les bêtes et avec la nature, ils prirent l'habitude d'utiliser l'harmonica.
Depuis des générations, les gens de Baumugnes ont ce "pouvoir" de faire dire à la "monica", ce qu'il y a au fond d'eux, mais de transcrire le chant des oiseaux, de faire parler ou chanter les feuilles des arbres, le murmure des ruisseaux... une sorte de "flûte enchantée"...
Écoutez... ou plutôt... lisez :
"D'abord, ce fut comme un grand morceau de pays forestier arraché tout vivant, avec la terre, toute la chevelure des racines de sapins, les mousses, l'odeur des écorces ; une longue source blanche s'en égouttait au passage comme une queue de comète. Ça vient sur moi, ça me couvre de couleur, de fleurance et de bruits et ça fond dans la nuit sur ma droite.
Y avait de quoi vous couper l'haleine.
Alors, j'entends quelque chose comme vous diriez le vent de la montagne ou, plutôt, la voix de la montagne, le vol des perdrix, l'appel du berger et le ronflement des hautes herbes qui se baissent et se relèvent toutes ensemble, sous le vent.
Après, c'est comme un calme, le bruit d'un pas sur un chemin : et pan, et pan ; un pas long et lent qui monte et chante sur des pierres, et, le long de ce pas, des mouvements de haie et des clochettes comme à sa rencontre.
Ça s'anime, ça se resserre, ça fuse en gerbes d'odeur et de son, et ça s'épanouit : abois de chien, porte qui claque, foule qui court, porc, gros canard qui patouille la boue avec sa main jaune. Tout un village passe dans la nuit. J'ai le temps d'entendre un seau qui tinte sur le parquet, une poulie, un char, une femme qui appelle ; j'ai le temps de voir une petite fille comme une pomme, une femme les mains aux hanches, un homme blond, et ça s'efface.
Tout ça, c'était pur !
Là, il faut que je m'arrête et que je vous dise bien, parce que c'est ça qui faisait la force de toute la musique, combien on avait entassé de choses pures là-dedans.
Ce qui frappait, ce qui ravissait la volonté de bouger bras et jambes, et qui gonflait votre respiration, c'était la pureté.
C'était une eau pure et froide que le gosier ne s'arrêtait pas de vouloir et d'avaler ; on en était tout tremblant ; on était à la fois dans une fleur et on avait une fleur dans soi, comme une abeille saoule qui se roule au fond d'une fleur.
Moi, vous savez, c'est pas pour dire, mais j'ai déjà entendu pas mal de musique et même, une fois, la musique des tramways qui est venue donner un concert à Peyruis pour la fête. J'avais payé ma chaise un sou ; c'est vrai qu'avec ça j'avais droit à un café. Y avait, pas loin de moi, la femme du notaire et la nièce du greffier ; et tout le temps, ç'a été des : « Oh, ça, que c'est beau ! », « Oh, ma chère, cette fantaisie de clarinette ! » Moi, j'écoutais un petit bruit dans les platanes, très curieux et que je trouvais doux : c'était une feuille sèche qui tremblait au milieu du vent.
La grosse caisse en mettait à tour de bras. Alors, je suis parti sans profiter de ma chaise et du café pour mieux entendre ce qu'elle disait, cette feuille.
Ça vient de ce qu'on n'a pas d'instruction ; que voulez-vous qu'on y fasse ? Cette feuille-là, elle me disait plus à moi que tous les autres en train de faire les acrobates autour d'une clarinette.
C'est comme ça.
Et bien, la musique d'Albin, elle était cette musique de feuilles de platane, et ça vous enlevait le coeur."
Sur cette parenthèse, je vous invite à découvrir ou à redécouvrir - Un de Baumugnes - et la magie de la plume de Giono.
Commenter  J’apprécie          242
Jean Giono met a l'oeuvre ses deux plus grands talents dans Un de Baumugnes : donner à lire les aspérités de la nature et les tourments des coeurs.
C'est un petit monde de ferme de Hautes-Alpes qui est dévoilé : Saturnin au rire qui ne parvient plus à fêler la douleur, maman Philomène, à la chaleur de bon pain, brisée, droite comme un piquet, Clarius dont la bonté s'est éteinte dans la souffrance et la Douloire, cette ferme du Sud, aride et triste, qui portait dans son nom le malheur des hommes. Et le clair Albin, dont on veut la poitrine pour reposoir, les yeux comme témoins de nos vie justes. Ces grands êtres humains qui se tissent autour de la fille de la famille paysanne, la Angèle, fantomatique, princière, salie.
Tout autour, c'est la galaxie de la nature et de l'humanité qui se déploie : le blé à faucher, l'orage - l'ouragan- qui menace d'engloutir la Douloire, le chant de la feuille qui vaut bien la clarinette.

Giono est holistique et il le fait avec la discrétion de celui qui a connu l'homme et la nature. J'en ai eu les larmes aux yeux dix fois. C'est du grand art.
Commenter  J’apprécie          80




Lecteurs (1409) Voir plus



Quiz Voir plus

Jean Giono

Né à Manosque en ...

1875
1885
1895
1905

12 questions
402 lecteurs ont répondu
Thème : Jean GionoCréer un quiz sur ce livre

{* *}