Marcel Pagnol a adapté au cinéma quatre oeuvres de Jean
Giono : «
Jofroi » (1933), d'après «
Jofroi de la Maussan », une des nouvelles de «
Solitude de la pitié » ; «
Angèle » (1934), d'après « Un de Baumugnes », «
Regain » (1937), d'après le roman éponyme ; «
La Femme du boulanger » (1938) d'après la nouvelle éponyme, tirée du recueil «
Jean le Bleu ». Quatre chefs-d'oeuvre du cinéma tirés de quatre chefs-d'oeuvre de la littérature. C'est ainsi que la postérité le conçoit aujourd'hui, mais
Giono en a longtemps voulu à
Pagnol d'avoir en quelque sorte « trahi » sa pensée, en sacrifiant l'authenticité au pittoresque, et en donnant de la
Provence et des Provençaux une image folklorique et même caricaturale.
De son point de vue, il n'a pas tout à fait tort, mais, intelligent comme il était, il a dû se dire deux choses : les adaptations n'étaient pas si mal, après tout et ont bien relancé la vente des livres, premier point ; et ensuite, il a dû reconnaître en
Pagnol un homme à sa hauteur : un créateur : ce qu'a fait
Pagnol n'est pas tant une adaptation, mais une re-création de l'histoire (beaucoup plus respectueuse que ne le pensait
Giono), merveilleusement retranscrite.
«
Angèle » (1934) est donc la deuxième incursion de
Marcel Pagnol dans l'univers de Jean
Giono. Si le fond du roman est respecté, la forme de l'adaptation indique de la part de
Pagnol une prise en mains plutôt décidée : le titre tout d'abord : «
Angèle » plutôt que « Un de Baumugnes », ce déplacement du personnage principal est très significatif : le héros n'est plus Albin mais
Angèle. Ensuite, le personnage de Saturnin. Chez
Giono c'est un vieux « mal embraillé » un peu simple d'esprit. Chez
Pagnol, vous le savez, c'est Fernandel : un homme sans âge, mais plutôt jeune, innocent, peut-être, mais moins bien qu'il n'en a l'air, et un coeur gros comme ça. Avec dans l'histoire, un rôle central. Les autres personnages sont conformes à ceux du roman, avec peut-être un surplus d'humanité, ou du moins une humanité un peu plus « montrée » (chez
Giono, les personnages sont aussi riches, mais plus « taiseux ».
Enfin la grande différence entre le roman et le film tient au langage : c'est normal, si on y regarde bien : dans le roman le langage ne sert qu'à la lecture et doit, par sa seule force, amener le lecteur à pénétrer dans l'histoire, sa poésie, sa comédie, sa tragédie. Au cinéma le langage n'est pas seul, il doit composer avec d'autres éléments tout aussi importants : l'image, la musique, et le jeu des acteurs. Les grands cinéastes le savent, et
Pagnol est un grand cinéaste. Il l'a compris en adaptant ses pièces : on ne passe pas d'un genre à l'autre en claquant des doigts. Et puis
Marcel Pagnol a un don que n'a pas, et que n'aura jamais
Jean Giono (autant que lui, en tous cas) : écrire du « sur mesure » pour ses comédiens : essayez d'imaginer un autre comédien que Fernandel dans le rôle de Saturnin :
SATURNIN : « Alors il est venu me voir. Et il m'a dit « Saturnin ! » J'y ai dit : « Oui ». Et alors il me dit (à voix basse) : « Saturnin ! » J'y dis « Oui » (A voix plus basse encore) Et alors, il me dit…
ANGELE : Saturnin !
SATURNIN : Non, il me dit : « Je suis malheureux ! »
On a essayé de refaire les films de
Marcel Pagnol avec d'autres acteurs. Certains sont assez réussis, mais aucun n'a le charme et l'authenticité de l'oeuvre originale.
Non
Pagnol n'a pas trahi
Giono, il lui a donné une autre dimension, différente, certes, mais complémentaire : leurs personnages à tous deux relèvent maintenant d'une mythologie provençale, colorée et exubérante, mais foncièrement authentique et humaine.