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Critique de Charybde2


Dans l'affrontement entre le Piémont-Sardaigne et l'Autriche, pour « libérer » la Lombardie, Angelo Pardi, le « hussard sur le toit », déploie son essence et son existence à sa manière bien spécifique, ravissante et inactuelle. Un régal et un rêve, servis par la langue de Giono à son sommet d'ironie.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/03/04/note-de-lecture-le-bonheur-fou-jean-giono/

Quelques années après avoir dû se réfugier quelque temps en Provence (et y vivre les événements, entre exil forcé, épidémie de choléra et amour fou resté un temps platonique, qui donnèrent lieu, moyennant quelques ajustements internes, à « Angelo » et au « Hussard sur le toit », vers 1836-1840), Angelo Pardi, toujours jeune colonel piémontais de cavalerie issu d'une noble et influente famille turinoise, toujours aussi engagé dans les menées révolutionnaires visant notamment à secouer le très réactionnaire joug autrichien sur l'Italie du Nord, se retrouve pris au coeur des événements de 1848, lorsque les soulèvements populaires en Sicile, à Naples et à Rome font office de déclencheur au Nord, entraînant à la fois l'insurrection à Milan et dans certaines villes plus modestes du royaume lombardo-vénitien géré par l'Autriche, et la déclaration de guerre à la puissance occupante par le roi Charles-Albert de Piémont-Sardaigne. Naviguant de courrier secret en mission auto-attribuée, Angelo parcourt cette campagne militaire et révolutionnaire en franc-tireur alerte, tout en étant conduit, inexorablement, à la résolution dramatique de certaines contradictions politiques (dont un long prologue parmi les filières à l'étranger des carbonari, prologue dont Angelo était tout à fait absent puisque se passant vingt à vingt-cinq ans plus tôt, nous offrait les racines délétères), familiales et intimes qui le hantaient depuis longtemps, souvent à son insu et tout à son honneur.

De nombreux commentateurs (dont, au tout premier chef, Pierre Citron, dans sa copieuse et précieuse notice accompagnant le texte dans La Pléiade) ont noté que ce roman de 1957 qui achève le cycle dit « du Hussard » (si l'on excepte l'écho que l'on en retrouvera dans « Les récits de la demi-brigade », publication posthume de 1972) était à la fois le plus long de Jean Giono (devant « Batailles dans la montagne » et « le hussard sur le toit », déjà), celui auquel il aura consacré, et de loin, le plus de temps de travail, et enfin, paradoxe apparent pour un pacifiste aussi convaincu, son seul récit véritablement militaire (avec un degré extrême de soin et de précision – qui pourrait évoquer, dans un tout autre registre, la démonstration d'art de la guerre conduite par Marcel Proust dans le tome 3 de « La Recherche », « le Côté de Guermantes »). Fort loin de se limiter à un hommage évident au Stendhal de « La Chartreuse de Parme » (comme l'avait parfois imprudemment catalogué une certaine critique littéraire), « le bonheur fou » est peut-être bien le plus riche et le plus mystérieusement abouti des grands romans de l'auteur.

Dans ce roman-ci, l'ironie rampante, qui a toujours été jusqu'alors l'une des grandes forces – pas toujours bien identifiée par la critique – de Jean Giono, devient réellement essentielle, renforcée par une utilisation particulièrement rusée de personnages secondaires hauts en couleur – même lorsque leur apparition demeure fugitive -, au fil des rencontres d'Angelo sur l'immense champ de bataille qu'est devenue la Lombardie pendant ces semaines fiévreuses de 1848. La vieille dame, le commandant d'artillerie, le cauteleux Bondino ou encore l'ex-général napoléonien Lecca, et bien d'autres : autant de comparses qui finissent par jouer un rôle bien éloigné de celui de second couteau, dans la trame globale de l'oeuvre.

« La cathédrale d'histoire que construit Giono est donc bien toujours sous le vocable de Notre-Dame-de-la-Désillusion » : la remarque si juste de Pierre Citron pourrait toutefois masquer le combat dantesque que mène ici l'auteur quasiment contre lui-même, déployant la force et l'inventivité d'une langue évolutive, maniant discrètement une forme subtile d'anachronisme de tonalité et de préciosité à contre que ne renieraient certainement pas les Wu Ming de « Q – L'Oeil de Carafa » ou de « Altai ». Très différent en cela, au prix d'un autre petit paradoxe, du « Hussard sur le toit », il dissimule une intrigue quasiment policière sous les faux hasards du brouillard de la guerre, et en extrait une réflexion songeuse et vitale sur le sens de la vie – sous contraintes à réinventer perpétuellement. Tour de force narratif, enchantement du verbe, « le bonheur fou » est certainement, subvertissant son apparence de roman historique et de roman de guerre, le plus politique et le plus secrètement intime de tous les romans de Jean Giono.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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