Suite de "
L'oeil de Carafa", 15 ans après, entre Venise et l'empire Ottoman.
Publié en 2009 (et non encore traduit en français - mais venant de l'être en anglais), "
Altai" est la "suite" de "Q" ("
L'oeil de Carafa" en français). de l'aveu même des
Wu Ming, l'écriture de ce quatrième roman du collectif était aussi une forme de thérapie du groupe, après la crise interne provoquée par le départ de
Wu Ming 3 en 2008, en se "refondant" au contact de leur personnage vétéran, "Gert du Puits", le narrateur de leur premier roman.
[Attention : SPOILER sur la fin de "
L'oeil de Carafa"]
Même si le premier roman des
Wu Ming n'est pas à proprement parler un thriller à suspense, indiquer les circonstances du début d' "
Altai", c'est fatalement dévoiler celles de la fin de "Q". Vers 1570, un jeune Juif vénitien, né à Raguse, ayant renié ses origines et sa foi, travaille avec acharnement et dévouement au sein du contre-espionnage de la Sérénissime, avant d'être utilisé comme bouc émissaire et voué à la perdition suite à un incendie au sein de l'Arsenal. S'enfuyant de justesse, il est amené à rejoindre Salonique, l'empire Ottoman étant devenu de fait une terre d'asile, d'une rare ouverture religieuse, pour les Juifs ou les hérétiques occidentaux, rudement persécutés par l'inquisition romaine créée par Carafa quelques dizaines d'années auparavant. Arrivé à Istanbul, il est hébergé puis recruté par Joao, le chef de la puissante famille de Juifs portugais, protagoniste-clé de la dernière partie de "Q", ennemi juré de Venise depuis le déclenchement des persécutions, dont le rêve, désormais, est la création d'un royaume juif à Chypre, qui accueillerait aussi tous les réprouvés d'Europe... Pour aider Joao, et peut-être le prémunir contre ses propres démons, Gert du Puits quitte sa retraite yéménite et reprend une dernière fois du service...
[Fin du SPOILER potentiel sur la fin de "
L'oeil de Carafa"]
Placé sous le signe de l'"
Altai", un faucon de chasse aux caractéristiques bien particulières, ce roman achève bien entendu le tissage de la toile de "Q", et présente une somptueuse description de l'empire Ottoman du seizième siècle finissant, de sa civilisation si avancée, de son ouverture (notamment religieuse) si rarissime pour l'époque, mais aussi de la terrible corruption, des intrigues et de la technocratie qui le rongent d'ores et déjà, et dont le fiasco de Lépante, à la fin du roman, marquera le premier grand symptôme visible. le roman explore aussi, sous un autre angle que dans "
L'oeil de Carafa", les démons engendrés par l'engagement absolu dans une cause, aussi juste soit-elle en apparence, avec une réflexion impitoyable sur la fin et sur les moyens ("Le Prince" de Machiavel a été publié en 1532, et sa réputation sulfureuse est déjà établie à la fin du seizième siècle).
Indéniablement d'une ampleur moindre que "
L'oeil de Carafa", "
Altai" est néanmoins un grand roman historique, attachant et nostalgique, au crépuscule des héros humbles...