Avec ce roman
Giono s'élève un peu. Non pas dans so
n oeuvre où il déjà gravi quelques beaux sommets, mais géographiquement : après les collines de la « Trilogie de Pan », après le plateau de «
Que ma joie demeure », il nous entraîne cette fois en Isère, dans les forêts et les pentes du Trièves, dans le sud du département.
Le titre initial prévu pour ce roman était : « Choral pour un clan de montagnards ». ce qui, pour les mélomanes, devrait rappeler «
Que ma joie demeure ». Il n'en est pourtant rien, et
Giono, au départ voulait justement faire une antithèse à ce roman : moins de lyrisme, moins de magie, moins de forces vitales telluriques « pas de féérie, pas de magie cosmique. Sur terre ». le thème initialement, devait être le travail, et même le travail d'un artisan… Et puis, les méandres de la création littéraire ont fait changer le cours de l'histoire : « Choral pour un clan de montagnards » est devenu «
Batailles dans la montagne » et s'est construit autour d'une catastrophe :
La rupture d'un lac glaciaire déclenche une terrible inondation qui s'abat sur une vallée alpine. L'eau malheureusement est retenue par un barrage. Les habitants sont obligés de se réfugier dans le village de Tréminis, plus précisément dans l'église qui en est le point le plus élevé. Une population paysanne, habituée aux intempéries, mais sans doute pas de cette ampleur, se voit contrainte de cohabiter, dans le dénuement le plus extrême. Bien évidemment certaines individualités se mettent en avant, les vieilles rancoeurs reviennent, mais le sentiment de la catastrophe prédomine. Chacun prêche pour sa paroisse, le curé Chapareillan en tête (il est le mieux placé), mais le sentiment d'apocalypse reste le plus fort. le salut viendra d'un étranger, un charpentier, inconnu des autres, qui fera sauter le barrage avec l'aide d'une adolescente, Marie la bergère.
On ne retrouve pas ici le
Giono solaire des premiers romans. La couleur est délibérément sombre : « la couleur du livre, couleur sapin foncé, couleur de vallées. Rochers de soleil, eau de torrents, barbes, mains rousses ». Et bien sûr la boue. Pas tellement une réminiscence des tranchées (comme dans «
le Grand troupeau »), mais une boue apocalyptique qui joue son rôle comme un personnage. Autre différence avec le
Giono que nous connaissons : les références mystiques et religieuses abondent : les noms des protagonistes, déjà : le héros s'appelle
Saint-Jean (comme l'auteur ?), il est charpentier, et la femme à son côté s'appelle Marie… L'autre thème du roman, après la catastrophe, est le triomphe de la solidarité, vertu chrétienne, du moins hautement humaniste. Pour autant, l'auteur reste fidèle à ses « forces vitales » de la terre et l'exprime dans des scènes réalistes comme il sait les rendre (sacrifice du taureau, hautement symbolique). C'est peut-être là un aspect du roman qui peut rebuter certains lecteurs et certaines lectrices ;
Giono abuse (un peu) des métaphores et des allusions symboliques, et il semble parfois se perdre un peu dans ce qu'il dit, ce qu'il voudrait dire, ce qu'il ne voudrait pas dire mais qu'il dit quand même…
Cela dit
Giono reste
Giono, et cette langue inimitable reste toujours aussi pure, aussi évocatrice, aussi colorée (même en couleur sapin foncé) et aussi riche.
Bizarrement, l'auteur a un peu renié ce roman, pensant que son style, sans doute ne convenait pas au sujet. Pourtant il avait bien fait passer le message : dans le combat entre la nature et l'homme, la nature avait gagné la première manche (l'inondation) mais l'homme avait gagné la seconde (le barrage).
Une résonnance très actuelle, ne trouvez-vous pas ?