Trouver les mots les plus exacts, le chant le plus juste pour nous interroger :
Et si nous n'étions qu'une bulle de silence emprisonnée dans la résine d'un corps ?
La douleur est l'âme de notre corps. : définition de
Jean Louis Giovannoni. L'espace de sa poésie.
Et cela peut convenir si l'on accepte d'envisager cet enfermement comme une torture. Il y a urgence de dire la vertu des mots.
Phénomène étrange : le mot prononcer vers l'extérieur , devient regard et perce la paroi du corps libérant l'âme du corps. « Et parfois tu te demandes si tu ne vis pas essentiellement dans ton regard ».
On regarde le monde à travers soi. Et l'Autre opère de la même façon. Chacun pris dans l'ambre du silence. Une agglomération de bulles formant la salive des mots, et emplissant de silence nos bouches. Un jeu de mimes dans un couloir de glace. « Tu demandes qu'on te décrive tes traits et c'est toujours le visage de l'autre que les mots font apparaître ». Solitude en corps, solidarité des corps qui tentent de se reconnaître par les gestes, les mouvements simulés de nos mots.
Le mot est matière, le mot est image, regard, repère , le mot est une pierre en nous même. Cesser les gestes et faire rouler la pierre, à travers notre corps, le porter en un lieu, en espace. En un mot, prononcer pour s'annoncer. Car les bulles se reflètent les unes dans les autres. Il faut fendre l'écorce, déchirer l'enveloppe de la bulle, rendre béante la chair. Percevoir enfin ce qu'il nous semblait apercevoir. Notre corps est toujours au bord de l'invisible . « Le lointain n'est jamais après l'horizon, il est au dedans des corps ».
Hubert Reeves, nous a appris que regarder loin, c'est regarder près. Si cela est vrai dans le cosmos, cela peut peut être s'appliquer à tous les espaces, y compris à celui de notre corps. Ce ne serait donc pas en dirigeant notre regard vers l'extérieur que l'on verrait le monde, mais mais en regardant en nous, à travers nous. « Nous ne pouvons voir le monde qu'à travers nos mots ». Expulser « la chose », la prononcer, la porter en parole, la libèrera.
Mais le passage se trouverait en la chose elle même, comme la galaxie porte en elle son trou noir. « Tout ce qui apparaît et voué à l'effacement ». Pour se mettre au monde il faut trouver le passage. L'écrit selon la poétique de Giovannoni dissout la forme des choses que nous contenions, dont on retenait la matière.
Ne pas prononcer n'est pas se taire, c'est « raisonner » en soi. La parole se trouve en un lieu d'effacement. le silence est un lieu de mémoire, une mémoire minérale. « N'arrivant pas à parler de la présence, on parle de ce que l'on a perdu ». Prendre corps serait prendre parole, rendre l'âme en libérant la douleur, ainsi pourrions nous nous approprier l'espace. Entre le lecteur et l'auteur il y a transhumance des espaces. Et si tous ensemble, nous n'avions que ce mouvement de transvasement d'espaces pour nous rejoindre ? Pour briser notre autisme formel. On écrit pour se vouloir dire au monde alors que l'on se sait et que l'on se voit extérieur à ce monde. « Nommer c'est faire parler ce qui se tait ». Les mots de l'Autre lui permettent prendre volume en nous. Prendre place en nous, y laisser son empreinte. Est ce que Lire serait s'entendre dire ? S'annoncer, se nommer est ce se placer en dehors ? « Et si l'on ne pouvait nommer qu'en perdant son corps ? ». Accepter la dé-formation, prendre le risque de se dé-figurer, pour laisser transparaître son intimité, son intériorité ?
« Plus on s'approche de l'intérieur, plus on on perd son corps ». Plus on se dit, plus on se dévoile, et plus nous quittons ce que nous pensions pouvoir nous donner corps.
Il y a soi dans le monde, le monde autour de soi, le monde en nous, et nous qui définissons le bord du monde. Il faut savoir s'effacer pour faire place aux mots, et ainsi apparaître. Disparaître pour devenir. Se dé-signifier pour être le juste signifiant. « Un mot n'est dit, entendu que lorsqu'il vit en dehors de lui même ». le lu est l'écho du dit. L'écrit est l'écho de l'entendu. Et si lire, écrire, entendre,dire n'étaient que la résonance du silence des uns dans le silence des autres contre les parois de ce vide qui nous habite, là, où se trouve le lieu de notre matière.
Astrid SHRIQUI GARAIN