Sur la côte des naufrageurs, j'ai rêvé, enfant, ma vie d'homme comme un grand défricheur. Je cherchais les épaves au trésor. J'étais pirate autour d'un feu de bois flotté. Je regardais le ciel à l'envers dans les miroirs de lune. Au matin, je tenais le monde dans une poignée de sable que le vent éparpillait. Mes secrets dormaient au pied des citadelles et dans le creux des dunes.
Un jour, dans un bar à La Rochelle, j'avais vingt ans, un type m'a cité Claudel que je n'avais jamais lu: "Il ne faut pas comprendre, il faut perdre connaissance." - Viens perdre connaissance, avait murmuré Jo. Je l'avais suivie dans la case. On chantait du côté de Saint-Joseph, un choeur d'enfants. Nous allions faire l'amour comme une messe.
[ Incipit ]
Je peux voir la canopée comme des vagues immobiles auxquelles seul le vent de la montagne donne une vie de mer sombre. Il traîne des brumes alanguies que le soleil levant finit toujours par enflammer. Au-delà il y a un grand fleuve et bien au-delà la mer, la vraie, l'infinie, qui se dessine parfois comme un trait de lumière pour souligner l'indéfini du ciel. J'aime cet endroit comme une escale de paix. Je suis un égaré ayant décidé de se poser, de rester là dans chaque instant des souffles. J'écoute l'oiseau, un chant sur la page de silence. À la fin du jour il y a celui des voix de la vallée, isolées comme des notes échappées. J'apprends l'attente, celle de l'instant, celle de la pluie, des jours à venir, de la nuit, de la première étoile, celle du feu pour les repas et pour réchauffer les soirs. J'attends sans impatience, en vivant l'instant comme une éternité. Ajouté à ce bonheur, il y a l'inattendu de cette vie là-haut, les coups de vent soudains qui annoncent l'orage. Il y a alors une plainte rugueuse des écorces blessées, un bavardage précipité du feuillage sous les ailes sombres des nuages, et je me régale d'un poignard de feu, derrière les voiles d'eau. Il me semble que ces instants-là ne peuvent finir.
Quand je partais longtemps, je lui montrais les jours avec les mains. Puis, j'avais fini par laisser une ardoise et une craie dans la sacoche. J'inscrivais un chiffre en lui signifiant à peu près. Parfois, j'ajoutais ça vas? et la réponse était toujours la même, un oui muet.
On n’apprend pas l’amour seul. Il faut être deux pour être un dans l’oubli du monde, de soi pour l’autre, et se fondre dans la lumière, sans ombre.
Tu voudrais être sûre que l’on t’aime avec tes mots en désordre.
L’enfance a le mérite sublime de rester seulement curieuse de la vie. Elle en ressent magnifiquement la beauté et toute déception est un immense chagrin.
Qui aurait compris que je voulais les bras du soleil pour enlacer la terre et serrer le monde contre moi ?
Se baigner des parfums, ne rien faire qu'être le moment, sans futur, sans griffe du passé, être maintenant, inondé de lumière matinale, sans amertume en bouche. N'avoir à respirer que le silence, le souffle léger comme un murmure, avec la soie d'une brise de mer qui caresse la peau, boire le soleil doucement comme un lait d'or.
Le poète est chaman, guérisseur des maux par les mots qu'il pose sur les ailes du vent. Il est le fils du jour aveugle et de la nuit lactée.