Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer
...
(
Charles Baudelaire, L'Homme et la Mer)
Bernard Giraudeau est né en 1947 à La Rochelle, La Rochelle son port d'attache là où tout a commencé. Arrière-petit-fils d'un cap-hornier, fils d'un militaire que ses missions envoyaient loin, en Indochine, en Algérie, il s'engage très tôt dans la Marine, il n'a que quinze ans, il y passera sept ans. Sept ans ça vous marque un homme pour toujours. Un homme dont l'inspiration s'est nourrie de cette première vie, bien loin de l'image renvoyée sur papier glacé que l'on connaît de l'acteur.
Cinq nouvelles, cinq destinations, cinq vies couchées sur le papier pour le plaisir des sens. L'écriture de
Bernard Giraudeau est libérée, sauvage. C'est violent et c'est doux à la fois. Ses mots sont semblables aux flots de la mer, la mer dont il nous parle si bien ; ils glissent, ils claquent, ils éclaboussent pour finalement nous envelopper, sensuels et voluptueux comme une caresse. Une écriture qui nous prend aux tripes, qui nous ébranle.
Bernard Giraudeau nous raconte l'histoire de ces hommes et de ces femmes qui ont voué leur vie à la mer : des marins, des mères de famille, leurs filles, leurs fils, des femmes chagrines qui attendent à quai le retour de leur homme et qui rêvent d'une vie meilleure, d'un ailleurs. Des personnages écorchés par la vie dont la noirceur et les imperfections deviennent ô combien belles sous la plume de l'écrivain qui aime les femmes autant qu'il aime la mer et dont l'écriture glorifie la femme de marin éplorée comme la prostituée qui vend son corps dans les baraquements sordides des ports à la tombée de la nuit pour apaiser l'esprit torturé des marins en perdition.
Les hommes à terre ce sont les hommes de la mer, ceux qui restent, ceux qui partent, ceux qui se retrouvent, ceux qui se ratent, car c'est l'amour qui les fait tenir, l'amour souvent cruel.
À Hô Chi Minh-Ville (Saigon), Lucien a rendez-vous avec un passé qu'il croyait révolu ; à Brest, un marin tombe fou d'amour pour une très jeune fille, un amour déraisonnable qui le consume à petit feu ; à Buenos Aires, Billy, embarqué sur l'escorteur d'escadre de la Flotte Atlantique, se voit faire une bien étrange proposition ; à Lisbonne, Diego rêve de la belle Irène en écoutant du Fado ; à La Rochelle, Jeanne n'en finit plus d'attendre que la mer lui rende son "Ange".
De beaux personnages avec la mer en toile de fond, omniprésente, pas celle des cartes postales, oh non, mais celle qui se déchaîne, celle qui prend violemment, qui rend parfois mais c'est si rare... Celle qui vous marque une vie entière quand elle lui est dédiée.
Les hommes à terre c'est la rage de vivre et d'aimer de
Bernard Giraudeau qui s'en va déjà tout doucement alors qu'il écrit ces pages en 2004. Un très bel hommage à tous ceux qui vivent de la mer et qui lui sacrifient leur vie.
C'est le coeur lourd que j'ai refermé ce roman, il est de ceux que l'on voudrait qu'ils ne se terminent jamais. Alors merci
Bernard Giraudeau pour ce très beau voyage qui m'a fait partir loin et qui n'a eu de cesse de me ramener, comme une évidence, à mon port d'attache breton où la mer n'est jamais aussi belle qu'en hiver quand les tempêtes font rage, une vision à vous couper le souffle dont je ne pourrai plus jamais me passer et encore moins après la lecture de ce roman.
Dédicace spéciale à mon ami Pascal (Terrain vague) dont la sublime critique m'a chamboulée et a contribué à cette lecture : je ne pourrai jamais en parler aussi bien que tu l'as fait...