J'étais déjà convaincue que cet homme était un humaniste, qu'il était visionnaire et arrivé trop tôt pour offrir de nouveaux modes de pensées, d'économie et de politique au peuple russe, qui, c'est assez affligeant, ne décolle pas (ou si peu) de l'abrutissement et l'asservissement dans lesquels il est maintenu depuis des siècles. Un pays où les mentalités et les comportements étaient encore inhibés par l'obscurantisme et l'autocratie des prédécesseurs, laissant ainsi un boulevard aux successeurs, dont Poutine et sa cohorte (à l'image de Staline), tisseront une toile en exaction, corruption, mensonge, violence et domination, dont aujourd'hui nous constatons l'ampleur. Quel désastre.
La fin de l'époque
Gorbatchev fut déchirante. Après
le putsch du 19 août 1991, banni, humilié et trahi par Eltsine qui le dépossède de tout pouvoir réel, il démissionne le 25
décembre 1991 après les accords d'Alma-Alta. Les accords de Minsk le 8
décembre 1991 ayant entamé les débuts de la dislocation de L'Union Soviétique par la création de la CEI (Communauté des Etats Indépendants), seront finalisés le 21
décembre 1991 à Alma-Alta avec 11 pays (sauf les états Baltes), qui signent la cessation d'existence de l'Union soviétique au profit de la CEI.
Sa mort discrète et ses obsèques le 03 septembre 2022, le sont tout autant. Aucun chef d'Etat occidental ne s'est déplacé, seul
Victor Orban (Hongrie) était présent. Aucun discours officiel qui résumait sa participation active à la fin de la guerre froide dont la réduction des armes nucléaires, de l'ouverture du pays à l'économie de marché, de son prix Nobel de la paix, de ses activités ultérieures pour la protection de l'environnement, etc. ne fut prononcé. Poutine absent, avait prétexté un agenda trop chargé !
Véritable concentré d'analyse géopolitique écrit en 1995, c'est un livre passionnant et sans concession (sur lui et le contexte), qui dresse le portrait d'un homme cultivé, intelligent, travailleur infatigable, réformateur éclairé et d'une forte résilience !
Il consacre la première partie à la description de son enfance, la campagne où il vivait avec des parents et grands parents paysans assez pauvres ; ses origines et racines familiales : les ancêtres paternels sont russes, ceux maternels, originaires d'Ukraine ; il dénonce les grandes purges des années 1930 où son grand-père paternel fut arrêté par dénonciation, accusé d'être un contre révolutionnaire Trotskiste, et torturé ; le grand-père maternel connut le même motif d'inculpation en 1937. Tous deux furent libérés. Puis la guerre où son père a combattu ; ses années d'études à l'université de Moscou ; la rencontre avec Raïssa ; la mort de Staline suivie d'une tentative de « dégel » par Khrouchtchev ; ses débuts de carrière au parti ; le comité central ; la mort de Tchernenko et son accession au poste de secrétaire général du PCUS le 11 mars 1985, à 54 ans. Protégé de Brejnev, il succède à une ribambelle de vieillards presque séniles : p22 « le système lui-même était moribond, il avait perdu sa sève vitale et charriait désormais un sang vicié de vieillard ».
Le 26 avril 1986, la catastrophe de Tchernobyl a été le révélateur d'une gestion désastreuse des institutions en URSS : p254 il écrit « Ce drame a mis en lumière un certain nombre de maux dont souffrait notre système : dissimulation des accidents et des processus négatifs, irresponsabilité et incurie, négligence dans le travail, ivrognerie généralisée. Il constitua un nouvel argument de poids en faveur de réformes profondes ».
Il déplore la corruption ambiante ainsi que l'immobilisme du système où la planification ralentit, voire interdit toute réforme de la société. Il entreprend alors la modernisation de l'économie et des institutions soviétiques malgré l'inertie ou les blocages du politburo. Les mots et leur contenu « perestroika » (réforme ou restructuration) et « glasnost » (transparence) qui rencontrèrent une forte opposition des pays du groupe soviétique, séduisirent cependant l'opinion publique occidentale qui enfin, espérait l'ouverture du bloc soviétique à la « modernité ».
Ses principales réalisations internes seront, entre-autres : autonomie comptable des entreprises en 1988 ; réduction du budget de la défense ; établissement d'un régime parlementaire (création d'un parlement) et séparation des pouvoirs ; ouverture à l'économie de marché ; fin de la guerre en Afghanistan en février 1989 ; établissement de la loi sur la liberté de conscience et de religion (rencontre avec le pape
Jean-Paul II en 1989). En 1986, il a fait libérer A. Sakharov (alors exilé à Gorki), et l'a associé à ses actions politiques, p385.
Son plus grand projet réalisé fut de mettre un terme à la guerre froide avec l'Occident ; le traité START (réduction des armes nucléaires), fut signé le 03 juillet 1991 avec G. Bush père. En occident, il bénéficiera du soutient politique de M.Tatcher, H. Khol et F. Gonzales.
Dès 1988 les soubresauts d'indépendance des pays baltes ont commencé à lézarder tout l'ensemble du bloc. La chute du mur le 9 novembre 1989 sonnera l'hallali.
le putsch (raté) du 19 août 1991, fomenté par un bon nombre de personnes qu'il avait promues à de hauts postes à responsabilité, dont Iazov, va permettre à B. Eltsine de prendre le pouvoir en Russie et acter la chute de l'URSS.
Dans ce très beau et poignant reportage documentaire de Vitaly Mansky, « En aparté », diffusé sur Arte et à la question finale de ses actions durant son mandat de Sécrétaire Général, il avait répondu à la caméra : "Les générations futures jugeront, il est trop tôt". Paix à lui. Là où il est, j'espère qu'il a retrouvé Raïssa.