Ah, Astérix et Obélix, les deux plus célèbres comparses Gaulois de tous les temps, n'en déplaise à
L Histoire, fleurons de la BD française et éternels souvenirs de jeunesse. C'est toujours avec frénésie que l'on ouvre l'une de leurs aventures, pour se plonger avec délice dans le monde haut en couleur d'
Uderzo, sous la plume espiègle de Goscinny. Et c'est à nouveau avec brio que ces deux-là s'allient pour un opus riche en gags, en humour et en actions, relevé de cette pointe de satire philosophique qui fait des aventures d'Astérix un amalgame à la fois de l'époque gallo-romaine et de la société française des années 70.
Dans le "Domaine des Dieux", on ne peut s'empêcher de s'émerveiller à chaque nouvelle page par la qualité impressionnante des dessins. On y retrouve un
Uderzo à l'apogée de son talent, façonnant des personnages et des décors qui restent à jamais en mémoire. Chaque case est l'occasion de voir briller un coup de crayon énergique alliant à la fois finesse, simplicité et précision. Mais ce sont surtout les couleurs qui donnent vie à ce petit monde si animé. Pour le plaisir des yeux, on déguste un album chaleureux, où brûlent mille couleurs pour un résultat toujours parfait. La nuit éclairée à la lampe torche se pare ainsi d'une lueur crépusculaire tandis que l'Urbs retrouve toute sa superbe grâce à une alliance maîtrisée de couleurs impériales au grès des riches toges romaines. Dès la première page de l'histoire, on admire déjà le travail prodigieux d'
Uderzo par la célèbre maquette de César du projet architectural du Domaine des Dieux. Grâce à un choix judicieux de répartition des cases et une taille exceptionnelle de celles-ci, on plonge dans l'histoire en admirant chaque détail parfaitement travaillé. Cette même analyse est également valable pour l'impressionnante planche illustrant la rage comique des bagarres au sein du Domaine ainsi que pour la page finale qui prend une tournure plus mature, à la lueur du jour déclinant. On y découvre un monde antique déjà clairsemé de vestiges, prêts à s'ancrer dans
L Histoire, des personnages aux allures philosophiques et que la simple ombre suffit à reconnaître, signe de leur immense notoriété. Au final, cette nouvelle aventure se clôture par un banquet un peu particulier, sous le couvert feuillus de la forêt et auquel prend part avec une joie manifeste finalement le héros de cette histoire, Assurancetourix.
Mais cet album est peut-être mémorable par le fameux et impressionnant impliable qui s'étale sur une double-page. Pour la première fois, deux pages sont réservés à un seul et même dessin, mais quel dessin alors! le talent hors pair d'
Uderzo y est entièrement dévoilé, avec une maîtrise exceptionnelle de la peinture pour un rendu impeccable. le marbre se pare de teintes turquoises sous l'aquarelle fluide tandis que chaque cartouche semble à une fresque pompéienne, parcourue de légères fissures. le final en est troublant de réalité. Mais ce génie pictural ne serait pas aussi impressionnant s'il n'était accompagné de la virtuosité de Goscinny à manier la langue française. Une fois de plus, leur talent se complète avec la plus parfaite harmonie, donnant vie à des mots pour l'un et soulignant la force du trait de crayon pour l'autre.
Les expressions pleuvent à flot dans cette aventure pour s'inscrire à jamais dans la mémoire collective. Ce sont de nouveaux jeux de mots devenus désormais légendaires, tels que "Le choix cornélien", le "Il ne faut jamais parler sèchement à un Numide" et l'Amphoreville (précurseur du Bidonville) pour n'en citer que quelques-uns, qui sont semés à une cadence endiablée tout au long de l'album, preuve de l'esprit ô combien fertile du grand Goscinny. Les scènes deviennent épiques sans jamais perdre de leur esprit cocasse, comme Assurancetourix chantant en pleine nuit de toute son âme (et à gorge déployée) sur un air avant-coureur des Bronzés. Les clins d'oeil se fondent toujours avec l'histoire, tel que Guy Lux qui apparaît sous le charmant nom de Guilus, l'ordonnateur des jeux du cirque Maxime. Comme toujours, l'histoire tient surtout par la qualité de ses propos. Les recherches sont à nouveau suffisamment poussées pour que chaque détail soit une référence à la réalité historique. Astérix, c'est aussi une manière de découvrir
L Histoire antique avec une note d'humour, dans un cadre détendu et toujours bon vivant.
Pour cette aventure, les coups pleuvent encore plus qu'à l'accoutumée et les Romains sont irrésistiblement tournés en bourriques par les Gaulois. le méchant de l'histoire, l'architecte Anglaigus, devient vite attachant et découvre avec beaucoup de surprises (et à force de maints coups et blessures) l'étonnant et éternel village des irrésistibles Gaulois. Au final, cet album s'attarde bien plus sur les Romains que sur les Gaulois. Cet ouvrage est une belle leçon imagée sur la condition des esclaves de l'époque, sur les projets urbanistiques titanesques qui couvrirent la Gaule après conquête et le désir ambitieux de César de créer des répliques sur le modèle de l'éternelle Urbs, Rome. On y voit également l'influence du monde romain sur l'univers celte et l'intérêt tout porté des marchants sur le marché économique. La concurrence des prix fait alors son apparition sous le regard ébahis et inquiets des deux compères. C'est une véritable fusion qui s'opère dans le village des irréductibles, entre la civilisation romaine et autochtone dont les échanges deviennent incessants, parfaite représentation de la réalité.
Un album qui a donc tout pour plaire, animé par la flamme dynamique et passionnée de l'éternel duo
Goscinny-Uderzo dont la bonne humeur a contaminée cette aventure, laquelle se déroule sous les auspices de l'humour.
[Mention particulière pour l'édition spéciale, sortie en parallèle de l'animation d'
Alexandre Astier, qui regroupe en dossier de 16 pages fort intéressant, repartant sur les traces de la composition de l'album et de l'évolution de l'univers d'Astérix. Passionnant]