Il n’y a pas si longtemps, les ouvrages consacrés aux origines de la Chine faisaient débuter l’histoire officielle de ce pays à la dynastie des Shang, apparue vers le milieu du deuxième millénaire avant notre ère. On parlait bien d’une dynastie antérieure aux Shang, celle des Xia, mais cette dernière était presque unanimement considérée comme mythique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et les Xia peuvent désormais être reconnus, sinon comme les « premiers Chinois », du moins comme ceux qui ont commencé à rassembler en un tout cohérent les éléments de ce qui constitue la civilisation chinoise.
Dans l’ordre chronologique, celui que l’on peut considérer comme le premier historien de la Chine est Han Feizi (environ 280 à 234 avant notre ère). Il est surtout connu comme le chef de file et le plus grand penseur de l’école des Légistes. À ce titre, il est l’auteur d’un grand nombre d’essais à caractère politique, mais aussi historique. On trouve déjà, dans ses écrits sur le passé de la Chine, une sorte de démarche archéologique qui vise à établir une chronologie des poteries en fonction de leur aspect : « Quand Yao gouverna le monde, les peuplades mangèrent dans des récipients en argile et burent dans des gobelets en argile. Yu inventa quant à lui des
vases rituels dont il peignit l’intérieur en noir et l’extérieur en rouge. Les peuples Yin [...] gravèrent leurs ustensiles domestiques et incisèrent leurs jarres à vin. » D’autres passages, nettement plus pittoresques, font presque penser à certains ouvrages de vulgarisation d’aujourd’hui, qui font la part belle aux potins, histoires de coeur et secrets d’alcôve.
Les savants chinois quant à eux ne voyaient pas, ou pas tous, les choses de cette façon. Non qu’ils eussent une foi aveugle dans leurs récits traditionnels ; mais du moins, ils étaient prêts à accepter comme possible l’historicité des récits antiques, dénonçant « la tyrannie de certains philologues » et de certains critiques chinois modernes qui refusaient toute valeur historique à une oeuvre « simplement, parce que l’oeuvre en question ne leur plaisait pas » (Dzo Ching-Chuan).