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Citations sur La Littérature à l'estomac (29)

"[...] nous connaissons tous ces livres qui nous brûlent les mains et qu'on sème comme par enchantement - nous les avons rachetés une demi-douzaine de fois , toujours contents de ne point les voir revenir."
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Ainsi l'écart provocant entre l'impression qu'elle nous donne et le jugement qu'on en publie partout tourne-t-il en nous quoi que nous en ayons au plus grand prestige d'une œuvre qui nous reste extérieure : le caractère obsédant qu'elle arrive à prendre très vite tient avant tout aux efforts désordonnés des réfractaires, qui se sentent malgré eux dans leur tort, pour se mettre en règle avec elle. Si délibérément que nous cherchions à nous nettoyer les yeux en face de nos lectures, à ne tenir compte que de nos goûts authentiques, il y a un tribut payé aux noms connus et aux situations acquises dont nous ne nous débarrasserons jamais complètement [...].

Ce qui fait pour nous qu'une œuvre "compte", comme on dit, ayons le courage de nous avouer que c'est parfois - que c'est aussi - le nombre de voix qu'elle totalise, et dont nous augurons trop docilement sur l'intensité d'une campagne électorale toujours en cours. Conservateur d'instinct sur le plan social, en littérature non plus [le Français] n'aime pas remettre en question les situations acquises.

[Un extrait percutant de "La littérature à l'estomac", pamphlet de Julien GRACQ (1950), reproduit sur son blog par Pierre Jourde, auteur de l'essai "La littérature sans estomac" (2002)]
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" Quand je dis que " la littérature est depuis quelques années victime d'une formidable manoeuvre d'intimidation de la part du non-littéraire, et du non-littéraire le plus agressif ", je désire rappeler seulement qu'un engagement irrévocable de la pensée dans la forme prête souffle de jour en jour à la littérature : dans le domaine du sensible, cet engagement est la condition même de la poésie (...) "

(Julien GRACQ, "La littérature à l'estomac, éd. José Corti, 1950, "NOTE" p. 74)
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"On dirait qu'en France on ne consent à lire (mais à lire vraiment) un auteur qu'une seule fois : la première; la seconde, il est déjà consacré, embaumé dans ce Manuel de littérature contemporaine que l'opinion et la critique s'ingénient à tenir à jour."
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De ce que l'écrivain dispose aujourd'hui de mille manières de se manifester qui portent souvent infiniment plus loin que ses livres, il se trouve que sa mise en place gagne infiniment en rapidité à emprunter d'autres voies que la lente pénétration, la lente digestion d'une oeuvre écrite par un public que la faim ne dévore pas toujours. Mille impressions sensibles -dans notre civilisation amoureuse de graphiques, d'images parlantes-inscrivent aujourd'hui pour l'oeil plus que pour l'intelligence et le goût un ordre de préséances obsédant qui n'est pas celui de la lecture, et qui va jusqu'à déclencher une espèce d'automatisme de répétition : grosseur des caractères dans les journaux, fréquence des photographies, manchettes des revues, "présidiums" de congrès d'écrivains, comme une salle de distribution des prix, "ventes" littéraires publiques, dont on diffuse les chiffres, apposition de noms au bas de manifestes, grandes orgues radiophoniques, séances de signatures où le talent de l'écrivain, de manière obscure, triomphe aux yeux dans l'étendue de sa performance, comme un champion d'échecs qui donne des simultanées. Le grand public, par un entraînement inconscient, exige de nos jours comme une preuve cette transmutation bizarre du qualitatif en quantitatif, qui fait que l'écrivain aujourd'hui se doit de représenter, comme on dit, une surface, avant même parfois d'avoir un talent.
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Quand nous nous sommes une fois "fait une idée" d'un écrivain (et tout l'effort de notre critique écrite et parlée vise à ce qu'une telle sclérose intervienne très vite) nous devenons paresseux à en changer - nous marchons en terrain sûr et nous lisons de confiance, d'un oeil dressé d'avance à ramener les hauts et les bas, les accidents singuliers de ce qui s'imprime, à la moyenne d'une "production" sur laquelle nous savons à quoi nous en tenir. Lorsque nous laissons tomber négligemment (nous le faisons dix fois par jour) d'un ton complaisant de prévision comblée : "C'est bien du X..." ou "du Y...", une tendance instinctive se satisfait par là à peine consciemment, qui est de faire reparaître l'essence permanente sous l'apparence accidentelle, d'en appeler de la singularité concrète et parfois déroutante d'une oeuvre à une sorte de noumène de l'écrivain sur lequel nous nous vantons de posséder des repères qui ne trompent pas. De là l'impression de malaise, et la malveillance à peine déguisée qui se font jour dès qu'un écrivain s'avise de changer de genre : il "était" romancier - que se mêle-t-il d'écrire des pièces de théâtre ? Il était une rivière bien endiguée, comme on les aime en France - de petits jardinets y puisaient l'eau et prospéraient modestement sur ses berges (car, comme la Seine, à Paris l'oeuvre d'un écrivain aussi coule entre des livres : les livres qu'on écrit sur lui) le voilà maintenant un de ces fleuves de la Chine, qui s'amusent irrévérencieusement à changer de lit.
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De là vient que les arrangements d'un éditeur et d'un auteur ressemblent souvent chez nous étrangement à la constitution d'une rente viagère : on travaille dès le début à longue échéance, dans le certain et le prévisible, avec les mêmes traditions de rendement faible et de considérable sécurité qui sont celles de la petite épargne. Nulle part la carrière de l'homme de lettres ne tend davantage à s'identifier à celle du fonctionnaire (...)
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(...) " la littérature est depuis quelques années victime d'une formidable manoeuvre d'intimidation de la part du non-littéraire, et du non-littéraire le plus agressif " (...)

(Julien GRACQ, "La littérature à l'estomac, éd. José Corti, 1950, "NOTE" p. 74)
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Aussi voit-on trop souvent en effet la "sortie" d'un écrivain nouveau nous donner le spectacle pénible d'une rosse efflanquée essayant de soulever lugubrement sa croupe au milieu d'une pétarade théâtrale de fouets de cirque.

(La savoureuse intégralité de la citation équido-canine de Julien GRACQ, extraite de "La littérature à l'estomac", pamphlet, éditions José Corti, 1951... est à déguster ICI grâce à notre ami JS-KM qui l'a publiée sur Babelio le 22/10/2012 : foncez-y direct, et commandez très vite ce merveilleux petit livre soixantenaire qui s'avéra, hélàs, prophétique !!!)
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On ne sait s’il y a une crise de la littérature, mais il crève les yeux qu’il existe une crise du jugement littéraire.
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