Mai 1908. Jules et sa compagne Madeleine ont racheté une auberge située sur les bords de Seine, entre Vernon et Gaillon, nommée l'auberge de la Vierge. Salvignac, qui apprécie particulièrement ce coin de campagne, y séjourne régulièrement. C'est alors que Clémenceau s'invite pour un déjeuner, non pour admirer le paysage mais pour confier à Jules une nouvelle mission: mener une enquête discrète sur le cadavre d'un homme inconnu, criblé de coups de couteau au niveau du coeur, découvert dans un fossé non loin de la maison de Monet, à Giverny; apparemment, l'homme aurait été assassiné plus loin, dans la rivière, et son corps déplacé après le meurtre.
Pourquoi repêcher un cadavre et l'abandonner ensuite sans se donner la peine de le cacher? Pour brouiller les pistes? Quelques jours plus tard, le 31 mai, le peintre Adolphe Steinheil et sa belle-mère sont retrouvés assassinés dans leur maison de l'impasse Roncin, à
Paris. Marguerite Steinheil, l'épouse, est retrouvée vivante, ligotée dans sa chambre. Pourquoi Clémenceau s'intéresse-t-il à ce fait divers? En souvenir de la mort du président
Félix Faure, décédé neuf ans plus tôt d'une crise cardiaque dans les bras de la belle Marguerite? Pour ses conséquences politiques: "A l'époque, il s'est murmuré que la mort de
Félix Faure n'était pas un accident...Que Meg serait repartie de l'Elysée avec des documents compromettants, ou qu'elle aurait tué le président parce qu'il venait de se rendre compte qu'elle l'espionnait pour le compte d'adversaires politiques ou d'une puissance étrangère. A coup sûr, on va reparler de l'affaire Dreyfus dans les jours qui viennent." (Page 28).
Bien qu'Hippolyte soit promu auxiliaire de police afin de seconder Jules dans ses investigations sur les deux affaires, l'enquête sur le mort mystérieux piétine: le corps n'est toujours pas identifié, aucun témoin ne s'est présenté; la police ne dispose d'aucun indice matériel. C'est alors que le beau-frère de Claude Monet est assassiné chez lui, à
Paris, dans des conditions qui rappellent singulièrement le meure d'Adolphe Steinheil.
Quel lien entre ce que la presse appellera "Le Crime de l'impasse Ronsin", la mystérieuse série d'assassinats dans l'entourage du peintre Claude Monet à Giverny et à
Paris, et l'affaire des deux pensionnaires de l'hôpital de Rouen décédés peu de temps après leur sortie dans des conditions dramatiques? de la Normandie au Limousin, Salvignac, secondé par l'écrivain
Maurice Leblanc, qui se fait fort d'échafauder des théories plus abracadabrantes les unes que les autres, aura fort à faire pour démêler les fils inextricables de ces affaires criminelles, parfois au péril de sa vie.
Allusion à la Brigade mobile: nouvel organe de police créé en 1907, par Clémenceau sur les conseils de Célestin Hennion, directeur de la Sûreté générale, ancêtre de la police judiciaire française, dont la mission est de "traquer les criminels en apportant son aide aux policiers et gendarmes locaux, mener des enquêtes à grande échelle sans tenir compte des découpages administratifs qui entravaient la bonne marche des procédures policières et traquer des suspects sur tout le territoire." (Page 154) =>Les fameuses Brigades du Tigre.
Le +: la fiction habilement intégrée dans la réalité:
Maurice Leblanc qui demande à Salvignac des renseignements pour son prochain roman, et qui aide ce dernier dans ses investigations en décortiquant les meurtres sur lesquels il enquête, comme s'il écrivait un roman policier; évocation d'un crime célèbre (le crime de l'impasse Ronsin) diluée dans une enquête policière fictive; répercussions de la panthéonisation des cendres de
Zola sur les enquêtes de Lerouet.
Le ++: côté didactique du roman rendu vivant par les dialogues expliquant certaines notions de façon claire, avec des mots simples et justes, notamment l'impressionnisme: "Je pense qu'il veut nous faire réfléchir à ce qu'st la couleur, la lumière. Ce qui compte, c'est l'effet. Ses tableaux ne sont pas là pour reproduire une réalité, raconter une histoire. Ils sont la saisie d'un instant fugace, une impression à un moment donné." (Pages 83-84).
Tuer est un art fourmille d'anecdotes et de détails sur la vie mondaine, culturelle et politique de l'époque, créant un canevas sur lequel l'auteur tisse la crédibilité de son intrigue. Un polar historique de grand classe, passionnant et addictif. Des personnages intéressants et attachants que l'on a plaisir à retrouver au fil de leurs enquêtes.
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