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sur 749 notes
°°° Rentrée littéraire 2023 # 19 °°°

Autant oeuvre littéraire que roman d'histoire et d'aventures, ce brillant récit de non-fiction s'empare de l'épopée d'un navire de guerre britannique, le Wager, qui s'est échoué en pleine tempête sur des rochers en mai 1741, au large de la Patagonie, juste après le passage du Cap Horn. L'excellent prologue en résume les très grandes lignes : naufrage, survie des 145 rescapés sur une île inhospitalière, leurs affrontements en plusieurs factions, le retour d'une poignée des mois au Royaume-Uni, le procès en cour martiale pour déterminer les responsabilités.

La bibliographie finale impressionne par sa longueur et sa richesse, des années à passer au peigne fin tous les documents de première main archivés : journaux de bord, correspondances, journaux personnels et récits contradictoires des protagonistes, dépositions devant la cour martiale navale, rapports de l'Amirauté, articles de presse, dont les extraits entrecoupent pertinemment le récit.

Passé le prologue, l'auteur choisit de prendre son temps pour présenter méticuleusement l'avant naufrage :
- le contexte : l'affrontement entre le royaume de Grande-Bretagne et celui d'Espagne pour s'emparer du plus grand empire colonial essentiellement dans le Nouveau Monde. La mission du Wager et de son escadre était de capturer d'un galion espagnol transportant un trésor.
- le casting de marins et d'officiers avec un éclairage particulier sur trois personnages : David Cheap, l'officier aristocrate ambitieux devenu par la force des circonstances capitaine du Wager ; John Byron, grand-père du poète, enseigne du Wager âgé de seulement seize ans ; le canonnier John Bulkeley, leader naturel.

Et puis après, grâce à des descriptions précises et saisissantes, le lecteur est progressivement et totalement immergé dans les épreuves physiques surmontés par les rescapés du Wager : les tempêtes qui se déchaînent régulièrement, les ravages du typhus et du scorbut à bord, l'horreur du naufrage puis de la famine une fois échoués sur leur île de fortune. C'est d'un réalisme cru et terrifiant, bien loin du romantisme qui accompagne souvent l'évocation de la vie de marin. L'enfer vécu par les survivants se lit en frémissant devant les horreurs qu'ils ont endurées.

N'importe qui ferait n'importe quoi pour survivre, prêt à renverser les tropes habituels de la morale. Dans ce récit serré et implacable, David Grann ne porte aucun jugement sur les actions qu'il raconte, et excelle à décrire les épreuves qui révèle l'animal humain poussé à l'extrême : violence, anarchie, orgueil, lâcheté, dépravations mais aussi ingéniosité, fraternité et volonté se déploient dans ce microcosme insulaire.

Toute la dernière partie du livre est consacré au procès devant la cour martiale des quelques rescapés qui ont pu rentrer en Grande-Bretagne. L'auteur ne cherche jamais à polir les mystères du naufrage et de la survie sur l'île, humblement conscient qu'on ne connaitra jamais la vérité absolue tant les versions des survivants ont été contradictoires, s'accusant de cannibalisme, de meurtre ou de mutinerie, actes pouvant les conduire à la peine de mort. Il faut se résigner aux points de vue dissonants et antagonistes, ce qui n'empêche le récit du procès de se lire comme un thriller avec des rebondissements incroyables.

Et c'est à ce moment que le récit, déjà captivant, devient absolument passionnant. David Grann interroge sur la fabrique de l'Histoire et propose alors une réflexion intelligente sur le sens des récits qui s'imposent et peuvent manipuler. Ce ne sont pas seulement les marins du Wager qui ont été jugés mais l'idée même, orgueilleuse, d'empire colonial.

« De la même manière que les gens façonnent leurs histoires pour servir aux mieux leurs intérêts, en révisant, en effaçant, en brodant, les nations en font autant. Après tous les récits sombres et troublants relatifs au désastre du Wager, et après tant de morts et de destruction, l'empire avait enfin trouvé son récit de mer mythique. »
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Nul besoin d'inventer pour écrire des histoires plus extraordinaires que les plus formidables des fictions : le journaliste et écrivain américain David Grann, plébiscité et adapté par les plus grands noms du cinéma outre-Atlantique, a l'art d'exhumer de la réalité des aventures à ce point incroyables qu'il lui faut se battre, armé de l'irréprochable rigueur de sa documentation et de la précision sans concession de sa plume, pour que leur narration en paraisse plausible.


Il lui aura donc fallu cinq ans d'un minutieux travail d'enquête, à recouper les documents de l'époque, journaux de bord et rapports maritimes, à explorer ouvrages et précis de marine, de chirurgie ou encore d'horlogerie, sans compter les études universitaires sur Stevenson, Melville et Byron – les premiers s'étant inspiré de cette histoire pour leurs romans, le dernier des récits de son grand-père rescapé du naufrage –, à se rendre sur place aussi, sur l'île Wager – ce bout de terre désolée, battue par les tempêtes du Pacifique Sud au large de la Patagonie, où subsistent encore des traces du navire perdu –, pour insuffler la vie dans un récit époustouflant, aussi vrai que nature.


En 1740, le Wager et ses deux cent cinquante hommes appareillent au sein d'une petite escadre de la Couronne britannique, avec pour mission la capture d'un galion espagnol revenant des Indes chargé d'or. Retardée par les avanies d'un recrutement si difficile qu'il a fallu rafler l'équipage parmi les indigents, les repris de justice et les vétérans malades ou estropiés, l'expédition aborde l‘enfer du Cap Horn à la pire des saisons. Drossé sur les rochers d'un bout de terre surgi des ouragans, le Wager se disloque, laissant miraculeusement la vie sauve à une partie de l'équipage et de ses officiers. Habitués à la vie infernale du « monde de bois », cette prison flottante coupée du monde où sévissent sans merci promiscuité, épidémies – typhoïde, typhus, scorbut – et autorité de fer, les survivants vont pourtant passer, sur leur île déserte, par tous les cercles imaginables de l'enfer. Mutinerie, cannibalisme, meurtre, jalonneront les quelque six mois de la terrible robinsonnade, avant que le groupe, scindé en différentes factions, ne trouve le moyen d'embarquer sur des gréements de fortune pour plus d'un an d'une navigation hagarde vers la civilisation. La poignée de fantômes méconnaissables et à peine humains que le monde stupéfait verra surgir d'un presque au-delà n'en auront pour autant pas fini de se battre pour défendre leur peau. Commencera alors en effet l'heure des comptes, ceux à rendre à la Justice de l'Amirauté au regard de l'impitoyable code maritime britannique. Et l'on ne badine pas, ni avec l'abandon de poste, ni avec la mutinerie…


Loin de la seule restitution journalistique d'une colossale enquête mais sans pour autant s'autoriser la moindre facilité romanesque, la narration s'anime d'une vie qui se nourrit de la puissance d'évocation d'un style net et précis, capable de rendre en quelques mots le grain d'une atmosphère ou d'une situation. Sur un rythme vif et fluide superbement servi par la traduction de Frédérik Hel Guedj, le souffle du récit emporte ainsi le lecteur dans la découverte, passionnante de bout en bout, non pas seulement d'un fait divers hors du commun, mais d'un pan historique édifiant à bien des égards. A travers le microcosme du navire, condensé flottant de l'organisation d'une société et des rapports humains, délégation d'une « civilisation » avide et pressée de piller le monde par tous les moyens – assujettissement barbare de ses propres hommes, piraterie, anéantissement des peuples autochtones comme les malheureux Kaweskars des chenaux de Patagonie également évoqués par Jean Raspail dans Qui se souvient des hommes –, enfin espace clos où, pour leur survie, des hommes se font plus sauvages que des bêtes fauves, c'est un miroir bien peu flatteur que nous tend cette sinistre tragédie. Les autorités de l'époque ne s'y sont d'ailleurs pas trompées, qui ont étouffé l'affaire alors qu'elle faisait sensation, déjà à coup de « fake news » démultipliées par la publication des différentes versions de chaque protagoniste…


Après l'hallucinant The White Darkness, qui nous emmenait dans une mortelle traversée pédestre du contient antarctique, cette nouvelle et tout aussi véridique aventure se lit, elle aussi, le souffle suspendu, fasciné par cette réalité dépassant la plus débridée des imaginations. David Grann est aujourd'hui aux Etats-Unis une star du récit de non-fiction. Gageons que cette réputation ne sera pas démentie de ce côté de l'Atlantique. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Une lecture instructive et captivante
mais ô combien éprouvante !

Car tout au long de cet ouvrage,
j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt
le récit très documenté de ce naufrage,
demandant concentration au point de marquer quelques arrêts
mais aussi passionnantes fussent-elles, j'ai lu beaucoup de pages,
plus que je ne les aurai vécues, ce qui est mon grand regret.
Moi qui pensais partir pour un grand voyage,
j'ai pris connaissance de cette histoire sans avoir pu m'y insérer.
Il m'aura surtout manqué l'attachement aux personnages,
ainsi que l'immersion dans ma lecture ; je suis restée à quai.

Mais quel récit mes amis !
Si le style m'a paru administratif,
la matière est dense, riche de recherches documentaires très fournies.
David Grann est vraiment brillant pour restituer des récits non fictifs,
fournissant de nombreux détails très précis
tout en insérant quelques (trop rares) passages immersifs.
Le tout est scindé en cinq parties,
allant du contexte en passant par les préparatifs,
les conditions de navigation, le naufrage, les mutineries,
le jeu mouvant des alliances, la survie sur un récif,
puis le retour de quelques dénutris,
une poignée d'hommes sur leurs esquifs,
s'accrochant à la vie mais à quel prix !
Enfin la cour martiale avec les différentes versions qui laissent pensif.
Vous aurez froid, vous aurez faim et souffrirez de nombreuses maladies,
vous voguerez sur des flots épouvantables mais vous admirerez ces marins combatifs.

Alors emparez-vous de ce livre en prenant soin de vous munir d'un anti-vomitif,
contentez-vous du résumé de la quatrième de couverture et partez à l'aventure
mais sachez qu'il ne s'agit pas d'un « roman d'aventures ».
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Un grand livre.
Il se dévore comme un époustouflant roman d'aventures, tant l'histoire, pourtant parfaitement authentique, est incroyable et riche en rebondissements. Un sacré divertissement ! le journaliste américain David Grann, maître de la « narrative nonfiction », dont je découvre enfin la plume addictive et le sens inouï du récit, a fait une longue et minutieuse enquête allant jusqu'à se rendre sur l'île des naufragés. Il a épluché tous les témoignages écrits, dossiers juridiques et journaux de bord pour être au plus proche de la vérité. Son récit est très cinématographique il n'est pas étonnant que le réalisateur Martin Scorsese en ait acquis les droits. Quelle hallucinante force de narration ! Les descriptions de ce périple maudit sont pointues et réalistes, le naufrage (spectaculaire) n'est qu'une épreuve parmi d'autres toutes aussi surprenantes.
En 1740 le navire britannique HMS Wager quitte Portsmouth avec une escadre de plusieurs navires ayant pour mission de piller le trésor d'un galion espagnol. Faute de marins chevronnés la flotte largue les amarres avec à son bord un grand nombre d'éclopés, de vieillards ou autres repris de justice au grand dam des capitaines. Confinés dans les cales sales et étroites une épidémie de typhus puis de scorbut se propage rapidement.
Approchant du redouté cap Horn le Wager perd de vue les autres navires. La proue au vent il flotte dans des eaux en furie sous une météo cataclysmique.
En pleine tempête, à la pire saison et en naviguant à l'estime, il fera naufrage au large de la Patagonie s'écrasant sur le récif d'une île désolée. Sur ce bout de terre, décharnés par le manque de nourriture et transis de froid les rescapés vive à l'état de nature et finissent par se scinder en « factions belliqueuses ».
Pillages, tromperie, meurtre, rumeurs et contre-rumeurs, mutinerie, entraide…les personnalités ne tardent pas à se révéler dans ce que la nature humaine peut avoir de plus héroïque comme de plus vil. Un groupe de survivants faméliques parviendra à rejoindre le Brésil.
D'autres survivants réapparaissent ensuite et accusent les premiers de traîtrise.
Les témoignages s'opposent, une captivante guerre des récits éclate. À chacun sa vérité, la cour martiale anglaise devra trancher.
Un voyage au coeur des ouragans maritimes entre les 40e rugissants et les 50e hurlants mais aussi un voyage au coeur de l'Homme que je conseille vivement.
Coup de coeur évidemment.
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On a glissé un roman maritime dans ma nouvelle rentrée littéraire.
C'est royal !
De surcroît, c'est une histoire de naufrage, de mutinerie et de meurtre ...
Déjà son titre résonne comme un de ces vieux films de la Warner ou de la Paramount où la tempête ne s'interrompait que pour mieux apercevoir au loin le pavillon noir et menaçant du Jolly Roger.
"Les naufragés du Wager" est un livre écrit par David Grann, et paru en août 2023 aux éditions du Seuil sous la marque des éditions du sous-sol.
C'est un roman historique, qui a coûté à son auteur plusieurs années de recherches dans de vieux rôle d'équipage, d'anciens journaux de bord à moitié fiables et dans les dossiers restants de la "troublante" cour martial qui vint servir d'épilogue à cette aventure.
L'auteur de ce livre, David Grann, s'est aussi longuement immergé dans les récits laissés par ceux qui ont vécu ce drame.
En 1740, une imposante escadre de cinq bâtiments de guerre, commandée par le capitaine George Anson, avait été mobilisée pour aller porter le feu et le fer contre l'ennemi espagnol.
L'escadre anglaise devait traverser l'Atlantique, doubler le Cap Horn, couler, incendier et s'emparer de tous les navires ennemis rencontrés jusqu'aux Philippines.
Un des bâtiment de l'escadre, le "Wager" était commandé par le lieutenant de vaisseau David Cheap qui avait l'ambition d'y prouver sa valeur et de faire plier son destin malheureux de jeune noble désargenté ...
Le roman de David Grann possède toute la vie d'un récit poussé au vent de l'imagination, porté par le souffle de l'aventure.
Mais pourtant il navigue avec toute la précision d'un livre d'Histoire, avec toute la rigueur nécessaire à une bonne tenue dans le genre où il vient s'inscrire.
"Les naufragé du Wager" est un ouvrage captivant, un solide ouvrage de près de 400 pages.
Le "Wager" fût porté disparu lors d'un ouragan non loin du Cap Horn et semblait avoir sombré.
Or voilà que, 283 jours plus tard, des survivants ont réapparu miraculeusement dans une petite crique de la côte méridionale du Brésil.
Que s'est-il passé durant ces 283 jours ?
Six mois plus tard, trois autres survivants réapparaissent sur un esquif et accusent les premiers d'être des mutins.
accusations, contre-accusations !
Une sombre affaire judiciaire va mener jusqu'à une troublante cour martiale ...
Le roman de David Grann est superbe.
Il est charpenté par d'évocatrices expressions de Marine, et agrémenté par de discrètes références littéraires :
Melville, Byron, Cowper et le capitaine Woodes Rogers qui dans son livre "voyage autour du monde" raconta sa stupéfaction de découvrir sur une île déserte un marin écossais du nom d'Alexander Selkirk, abandonné quatre ans plus tôt ... et qui deviendra célèbre sous la plume de Daniel Defoe !
David Grann, ici, dans "les naufragés du Wager" raconte une odyssée tragique et lamentable.
Ses personnages sont peints avec toutes leurs faiblesses mais aussi leur courage désespéré.
Le récit tourne autour du jeune enseigne de vaisseau John Byron et de quelques membres de l'équipage du Wager.
Le "Wager" s'est éventré sur les récifs dans le golfe des Peines, a enfoncé sa coque entre deux roches sur la côte de Patagonie.
Le capitaine David Cheap a perdu le premier bâtiment dont il avait obtenu le commandement et David Grann a tiré de cette histoire un splendide récit maritime.
Un splendide roman maritime et une attachante histoire de bouquiniste* dans la même rentrée littéraire, on voudrait me faire adhérer au principe que l'on ne s'y serait pas pris autrement ...

* "de braves et honnêtes meurtriers" d'Ingo Schulze
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Faaaaake Neeews !
Grâce à David Grann, j'ai réalisé que les fake news remontaient à bien avant le temps de Trump !
En effet, dès 1746, plusieurs gentilhommes britanniques avaient découvert les bienfaits d'une réécriture de l'histoire pour leur postérité et surtout sauver leur peau.
Comme l'indique l'auteur dans son prologue : « Mais ces hommes croyaient que leurs vies mêmes dépendaient de ces récits. S'ils échouaient à proposer une version convaincante des faits, ils risquaient de finir pendus ou ligotés à la vergue d'un navire. » (p.16)
Le journaliste américain nous raconte l'incroyable épopée du Wager, navire marchand reconverti en navire de guerre qui se destine à voler un chargement d'or sur un galion espagnol. Mais en lieu et place d'un flamboyant combat à la Pirate des Caraïbes, les marins embarqués dans cette galère vont plutôt finir décharnés et à moitié morts en Vendredi au fin fond des limbes du Pacifique.
Car non content de faire naufrage au large de la côte patagonienne (qui ne semble être un havre de paix que pour Florent Pagny), le Wager aura subi les pires infortunes ; épidémies de typhus et scorbut vont décimer l'équipage bien avant d'arriver à destination, le passage du Cap Horn s'avère dantesque, les conditions de navigation épouvantables et dévastatrices pour le bateau et les hommes.
« Toutefois, l'objet emblématique de tout quartier d'enseigne de vaisseau était une table en bois. Assez longue pour y allonger un corps, elle servait à l'amputation des membres. Elle avait une double utilité : elle faisait office de table d'opération pour le chirurgien du bord et rappelait les dangers qui guettaient l'équipage : dès que le Wager livrerait bataille, le lieu de vie de Byron serait rempli de scies à os et maculé de sang. (p. 46) »
Si votre orthoptiste vous a demandé de faire l'exercice d'écarquiller les yeux, avec ce bouquin pas besoin de se forcer, tant ce qu'on y apprend permet de vérifier à chaque page l'adage selon lequel la réalité dépasse la fiction.
Désormais je ne verrai plus un marin sur son petit bateau de pêche que comme un cousin éloigné d'incroyables aventuriers et guerriers de la mer, et j'écraserai une petite larme en souvenir de leurs prestigieux ancêtres.
La misère et la souffrance humaines endurées au cours de toutes ces épreuves laisse sans voix, et on tremble avec tous ces pauvres bougres de savoir quel sort leur sera réservé en cour martiale par les juges britanniques sur leurs supposés manquements aux articles de guerre.
S'il m'a fallu un peu de temps pour m'immerger dans les premiers chapitres avec beaucoup de descriptions et de personnages, le jeu en vaut la chandelle, tant on en apprend à chaque page, sur les règles de vie à bord du navire, les relations hiérarchiques entre les hommes, leurs (mé)connaissances en médecine, les épreuves physiques et psychologiques pouvant être endurées par un être humain (et là ce que le lecteur apprend dépasse tout simplement l'entendement).
J'ai également eu quelques difficultés à me faire au ton très froid, journalistique, dénué d'humour, tout est raconté à la troisième personne et j'aurais apprécié plus de vie, de souffle dans l'écriture.
Ces réserves mises à part, la lecture est édifiante, passionnante, une fois plongé jusqu'au cou dans le récit, on ne peut que dévorer l'ouvrage tant l'histoire est incroyable et se suffit largement à elle-même ! Petits mousses, larguez les amarres, et comme le disait la grande exploratrice Dora, « En route pour l'aventure ! »
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En 1740 alors qu'il existe un conflit colonial entre l'Angleterre et l'Espagne, le vaisseau de ligne HMS Wager quitte Portsmouth, avec six autres navires. Leur mission secrète est de capturer le trésor d'un galion espagnol.
Mais le HMS Wager avec le mauvais temps est séparé du reste de la flotte dans le passage du cap Horn, pour finalement faire naufrage sur l'île de Wager. Après plusieurs mois dans des conditions de survie épouvantables, quatre-vingt un hommes parviennent à quitter l'île et à reprendre la mer sur une embarcation de fortune. Trois mois et demi plus tard, alors qu'ils ne sont plus qu'une trentaine, aux termes d'un périple de plus 5000 km, ils atteignent le Brésil. À six mois de là trois autres survivants échouent sur la côte chilienne. Les années ont passé quand, de retour en Angleterre, ces hommes réchappés de l'enfer vont s'accuser mutuellement, pensant qu'ils jouent leur vie s'ils ne parviennent pas à convaincre de leur innocence la cour martiale en charge de leur sort. Tous vont pourtant modifier leurs témoignages, après avoir compris la logique de leurs juges.

Cette histoire maritime ne manque pas de susciter de nombreuses émotions à la lecture des conditions des marins affrontant de terribles périls dont beaucoup ne réchappent pas. Un monde aussi dangereux qu'impitoyable, qui l'est plus encore par l'ambition et la sauvagerie de certains, ainsi que par le contexte de guerres coloniales entre États ; les pays colonisés sont pillés et la population est souvent réduite en esclavage. Remarquable dans ses descriptions de la marine militaire du 18e siècle et du naufrage du Wager et de ce qu'il advint de son équipage, ce roman inspiré d'une véritable histoire aurait toutefois mérité une traduction française plus soignée — pour corriger les coquilles, mais aussi pour les faux sens, les anglicismes et les méconnaissances des termes de marine. L'auteur américain avait pris soin de faire relire son travail très documenté par un marin, ce que l'éditeur français aurait été bien inspiré de faire aussi. Malgré tout, un livre prenant que je recommande 😊
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1740, le Wager se lance avec cinq autres navires sur les traces d'un galion espagnol transportant un trésor d'une immense valeur. le vaisseau fera naufrage au large du Cap Horn et son équipage sera porté disparu. Mais voilà que neuf mois plus tard, un radeau accoste le Brésil avec à son bord une trentaine de survivants. Encore trois mois et se produit un nouveau coup de théâtre lorsque trois autres hommes accostent à leur tour et portent un autre récit : celui d'une mutinerie.

Quelle histoire incroyable que celle du Wager ! Elle nous immerge à l'époque d'expéditions hasardeuses, de la construction des empires et de la rivalité entre l'Espagne et l'Angleterre. Les péripéties de l'expédition – maladies, intempéries, naufrage – sont d'autant plus palpitantes qu'elles se doublent d'intrigues d'équipage aux enjeux cruciaux. À rebours de nombreux autres auteurs, David Grann prend le parti de ne rien romancer. Pourtant, ses recherches hallucinantes (lecture de journaux de bord, de notes de l'équipage, de témoignages publiés par plusieurs protagonistes et de travaux d'historiens ou d'anthropologues, complétés par une expédition sur l'île du Wager !) lui permettent de raconter l'histoire presque comme s'il y avait été. C'est captivant, dûment sourcé, éclairant.

Mais comment un récit aussi spectaculaire qui a fait autant de bruit à l'époque a-t-il pu tomber dans l'oubli jusqu'à ce que David Grann décide de le raconter ? Ces pages nous interrogent sur les enjeux de l'écriture de l'Histoire, sur ce que les États en construction ont décidé de conserver – ou pas – dans leurs grands récits. Ainsi, le plaisir de se laisser captiver par les aventures de l'équipage du Wager se double de réflexions sur l'impérialisme et la nature humaine. Très fort !
Lien : https://ileauxtresors.blog/2..
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La fin de l'année se rapproche et en ce mois de décembre, une envie d'aventure et de voyage ont été décisifs dans ce choix inspiré par @PetiteBichette que je remercie.

*
La magie des livres permet aux lecteurs de remonter les aiguilles du temps dans un mouvement si rapide qu'il en donnerait presque le tournis et de s'arrêter sur l'année 1740, date à laquelle l'Angleterre et l'Espagne sont en guerre depuis peu.
Les navires britanniques sillonnent la mer en vue d'affaiblir les possessions espagnoles en contrôlant les routes maritimes et commerciales entre l'Europe et l'Amérique. Avec une escadre de plusieurs bâtiments, le vaisseau de ligne anglais HMS Wager se voit chargé quant à lui, d'une mission secrète consistant à prendre possession de la cargaison chargée d'or d'un galion espagnol qui croisait sur la côte pacifique de l'Amérique du Sud.

Il quitte le port de Portsmouth avec, à son bord un équipage de 250 marins. Mais pendant la traversée du Cap Horn, le Wager se retrouve isolé des autres bâtiments et s'échoue au large de la Patagonie, sur une île désolée des côtes chiliennes, assaillie par une mer tumultueuse.

*
Le 28 janvier 1742, une chaloupe frêle et délabrée accoste la côte brésilienne avec trente rescapés en haillons et décharnés, malades, voire moribonds, qui racontent comment ils ont survécu à ces mois de famine, de froid et de tempêtes.
En mars 1746, trois hommes amaigris et marqués par les épreuves, le capitaine David Cheap, le lieutenant Thomas Hamilton et le jeune enseigne de vaisseau John Byron, débarquent au port de Douvres avec une version bien différente et assez glaciale.

Que s'est-il réellement passé sur le Wager ? Comment le navire a-t-il fait naufrage ? Pourquoi si peu d'hommes sont-ils revenus de cette expédition ?

*
David Grann a choisi la non-fiction narrative pour relater les évènements qui ont entouré l'histoire du Wager.
Passé les premières pages plutôt surprenantes par le ton détaché et descriptif auquel je suis peu habituée, j'ai été emportée par cette histoire passionnante minutieusement documentée.
En outre, le livre est richement illustré par des cartes de la traversée du Wager, des extraits de journaux de bord, des gravures, des portraits peints de plusieurs des personnages principaux, des photos de l'île et des autochtones.

*
Ainsi, les recherches poussées de l'auteur sont autant de mémoires de cette traversée périlleuse vers des régions inexplorées, des terres inconnues avec en point d'orgue le passage le plus redouté par les marins, le légendaire Cap Horn.

« Byron entraperçut les lames qui les assaillaient et, peut-être plus terrifiant encore, il entendit gronder ces vagues broyant tout entre leurs mâchoires. Elles cernaient le navire de toute part. Où étaient passés l'aventure et le romanesque, à présent ? »

Il en fallait du courage ou de l'inconscience pour s'engager dans ce passage étroit où se rassemblent des vagues gigantesques et monstrueuses, des courants puissants, et des vents extrêmement violents. Et si on ajoute que la navigation à l'époque se faisait l' « estime », avec uniquement un sablier pour évaluer le temps et une ligne de noeuds immergée pour évaluer approximativement la vitesse du bateau, on comprend mieux pourquoi ce détroit était un véritable défi pour tout marin et un lieu ayant la triste réputation d'être un cimetière marin.

« Audacieux étaient les Hommes qui les premiers sur l'Océan
Étendirent les Voiles nouvelles, quand le naufrage était le néant :
Nous trouvons plus de Dangers chez l'HOMME à présent,
Que dans les Récifs, les Lames et le Vent. »

Si David Grann relate avec beauté les dangers de l'océan, il restitue aussi à merveille le quotidien à bord de ces navires de guerre, décrivant leurs conditions de vie déplorables à bord, le manque d'hygiène et les odeurs rebutantes, l'épuisement des hommes et les maladies, le manque de nourriture saine et d'eau, la vermine et la présence de rats circulant partout, la promiscuité et l'horreur des combats. de quoi donner des frissons !

*
L'auteur tisse également une véritable intrigue marquée par des drames humains et qui s'achèvera par un procès en cour martiale dont la conclusion sera pour le moins inattendue en ce qui me concerne.
Pour cela, David Grann fait revivre quelques personnages et à travers eux, il dessine des comportements humains où se révèlent dans chaque homme le courage, la témérité, le sens du devoir, la loyauté, mais aussi l'ambition, le désespoir, la peur, la lâcheté jusqu'à l'animalité.

L'histoire devient ainsi un récit de survie où les rescapés, face à des conditions climatiques et un environnement extrêmement éprouvants, tenaillés par le manque de vivres et d'eau, épuisés par de longs mois en mer, tiraillés par des rivalités, vont peu à peu sombrer dans la violence et le meurtre, le déshonneur et la trahison, le vol et la sauvagerie, jusqu'à la mutinerie et même le cannibalisme.

« … un homme qui part en mer sombre souvent dans des profondeurs troublées où “son âme succombe”. »

*
Pour finir, j'ai aimé ce récit de naufrage et de survie, de voyage et de traversée maritime où l'océan est majestueux, indomptable, cruel. J'ai aimé ce récit à hauteur d'homme où se révèle le meilleur comme le pire dans des conditions extrêmes. J'ai aimé naviguer dans une autre époque et un autre lieu, partir à la rencontre des peuples autochtones, les kawésqars, les voir vivre avec simplicité, en harmonie avec la nature dans ces régions inhospitalières, là où des hommes dits civilisés et supérieurs ont vainement tenté de survivre.
Un récit captivant, addictif que je vous encourage à découvrir si vous aimez les récits maritimes et historiques.
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Littérature du réel

Quel livre époustouflant! J'ai un peu de mal à m'en remettre, il faut bien dire. J'ai encore des relents de mal de mer, je digère mal la chair de mes semblables, j'ai du sang de navet et ne sais pas me servir de mes dix doigts. Bref, je serais mort cent fois sur l'île du Wager. Mais bien avant probablement. Putréfié par le scorbut ou tombé de la dunette dans les embruns glacés. Emporté par une mauvaise fièvre ou empoisonné par des crottes de rat. Je n'aurais jamais dépassé les cinquantièmes Hurlants. Car le tour de force de David Grann est de nous embarquer dans ce récit de non-fiction à l'instar d'un thriller palpitant (comme il avait pu le faire dans « La Note américaine »)
L'auteur a passé des années à reconstruire une histoire étouffée par l'Histoire car c'est sa spécialité : déterrer les Grands Scandales, les ré-organiser le plus factuellement possible et enfin leur donner du sens.
 David Grann a compulsé les journaux de bord tenus par les marins et les officiers et il met à notre disposition une bibliographie « sélective » de plus de trois cents livres. Il n'écrit pas à la légère…

Une escouade anglaise avec six vaisseaux, sous le commandement du commodore Anson, est chargée de retrouver un navire espagnol contenant un trésor, quelque part dans le Pacifique. Et de faire main-basse dessus : nous sommes en guerre.
Nous embarquons sur un gros vaisseau de ligne rafistolé, le Wager, avec un équipage d'éclopés, de psychopathes, d'ivrognes, d'embrigadés de force et de quelques vrais marins.
Sans doute connaissez-vous l'histoire, il y a eu beaucoup de billets et l'auteur la résume dans le prologue :
Le Wager s'échoue après le passage compliqué du Cap-Horn, après une succession de tempêtes et d'épidémies. En mai 1741 il se fracasse en Patagonie sur la plus inhospitalière des îles. 145 rescapés tentent de survivre, forment des factions, s'étripent, pactisent brièvement avec les autochtones. Au final ,une poignée finissent par rejoindre le Royaume-Uni en passant par le détroit de Magellan sur un rafiot de fortune. le capitaine, David Cheap, les rejoint avec deux hommes quelques mois plus tard. Une « guerre des récits » commence et tout ce petit monde se retrouve en cour martiale en Avril 1746 .

David Grann va prendre tout son temps pour déployer son histoire.
Je me suis évidemment complètement identifié au jeune Lord Byron, 16 ans et grand-père du poète ( mais il y a aussi ce gars que j'aime bien, le canonnier, John Bulkeley…)
Car le talent de l'auteur est de transformer un récit potentiellement un peu pénible en livre d'aventures grand format. Et, comme dans les meilleures histoires de survie, il décrit minutieusement les horreurs, les trahisons mais aussi le courage et l'entraide. Et la zone grise au milieu, bien sur.
Nous allons avoir très très froid, on mangera donc un peu n'importe quoi, mais on sera astucieux et bricoleurs, on fera les bonnes alliances, on a les bons gènes, on sera un des rares à survivre…

La dernière partie du livre est édifiante car, de retour en Angleterre, plusieurs histoires vont s'affronter ! Une nouvelle guerre commence. Par livres interposés dans un premier temps puis face aux tribunaux. Dans les alcôves du pouvoir, on va s'affairer…

J'ai refermé ce livre passionnant un peu secoué par les soubresauts de cette histoire, mais enrichi sur la question de la fabrique des Grands Récits. La manière dont ils sont façonnés, interprétés, gommés ne se trouve pas dans les manuels d'Histoire. David Grann nous en fournit une preuve éclatante et nous invite à faire un tour là-bas, sur un caillou hostile battu par les vents, au fin fond de la Patagonie .
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