La fin de l'année se rapproche et en ce mois de décembre, une envie d'aventure et de voyage ont été décisifs dans ce choix inspiré par @PetiteBichette que je remercie.
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La magie des livres permet aux lecteurs de remonter les aiguilles du temps dans un mouvement si rapide qu'il en donnerait presque le tournis et de s'arrêter sur l'année 1740, date à laquelle l'Angleterre et l'Espagne sont en guerre depuis peu.
Les navires britanniques sillonnent la mer en vue d'affaiblir les possessions espagnoles en contrôlant les routes maritimes et commerciales entre l'Europe et l'Amérique. Avec une escadre de plusieurs bâtiments, le vaisseau de ligne anglais HMS Wager se voit chargé quant à lui, d'une mission secrète consistant à prendre possession de la cargaison chargée d'or d'un galion espagnol qui croisait sur la côte pacifique de l'Amérique du Sud.
Il quitte le port de Portsmouth avec, à son bord un équipage de 250 marins. Mais pendant la traversée du Cap Horn, le Wager se retrouve isolé des autres bâtiments et s'échoue au large de la Patagonie, sur une île désolée des côtes chiliennes, assaillie par une mer tumultueuse.
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Le 28 janvier 1742, une chaloupe frêle et délabrée accoste la côte brésilienne avec trente rescapés en haillons et décharnés, malades, voire moribonds, qui racontent comment ils ont survécu à ces mois de famine, de froid et de tempêtes.
En mars 1746, trois hommes amaigris et marqués par les épreuves, le capitaine David Cheap, le lieutenant
Thomas Hamilton et le jeune enseigne de vaisseau
John Byron, débarquent au port de Douvres avec une version bien différente et assez glaciale.
Que s'est-il réellement passé sur le Wager ? Comment le navire a-t-il fait naufrage ? Pourquoi si peu d'hommes sont-ils revenus de cette expédition ?
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David Grann a choisi la non-fiction narrative pour relater les évènements qui ont entouré l'histoire du Wager.
Passé les premières pages plutôt surprenantes par le ton détaché et descriptif auquel je suis peu habituée, j'ai été emportée par cette histoire passionnante minutieusement documentée.
En outre, le livre est richement illustré par des cartes de la traversée du Wager, des extraits de journaux de bord, des gravures, des portraits peints de plusieurs des personnages principaux, des photos de l'île et des autochtones.
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Ainsi, les recherches poussées de l'auteur sont autant de mémoires de cette traversée périlleuse vers des régions inexplorées, des terres inconnues avec en point d'orgue le passage le plus redouté par les marins, le légendaire Cap Horn.
« Byron entraperçut les lames qui les assaillaient et, peut-être plus terrifiant encore, il entendit gronder ces vagues broyant tout entre leurs mâchoires. Elles cernaient le navire de toute part. Où étaient passés l'aventure et le romanesque, à présent ? »
Il en fallait du courage ou de l'inconscience pour s'engager dans ce passage étroit où se rassemblent des vagues gigantesques et monstrueuses, des courants puissants, et des vents extrêmement violents. Et si on ajoute que la navigation à l'époque se faisait l' « estime », avec uniquement un sablier pour évaluer le temps et une ligne de noeuds immergée pour évaluer approximativement la vitesse du bateau, on comprend mieux pourquoi ce détroit était un véritable défi pour tout marin et un lieu ayant la triste réputation d'être un cimetière marin.
« Audacieux étaient les Hommes qui les premiers sur l'Océan
Étendirent les Voiles nouvelles, quand le naufrage était le néant :
Nous trouvons plus de Dangers chez l'HOMME à présent,
Que dans les Récifs, les Lames et le Vent. »
Si
David Grann relate avec beauté les dangers de l'océan, il restitue aussi à merveille le quotidien à bord de ces navires de guerre, décrivant leurs conditions de vie déplorables à bord, le manque d'hygiène et les odeurs rebutantes, l'épuisement des hommes et les maladies, le manque de nourriture saine et d'eau, la vermine et la présence de rats circulant partout, la promiscuité et l'horreur des combats. de quoi donner des frissons !
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L'auteur tisse également une véritable intrigue marquée par des drames humains et qui s'achèvera par un procès en cour martiale dont la conclusion sera pour le moins inattendue en ce qui me concerne.
Pour cela,
David Grann fait revivre quelques personnages et à travers eux, il dessine des comportements humains où se révèlent dans chaque homme le courage, la témérité, le sens du devoir, la loyauté, mais aussi l'ambition, le désespoir, la peur, la lâcheté jusqu'à l'animalité.
L'histoire devient ainsi un récit de survie où les rescapés, face à des conditions climatiques et un environnement extrêmement éprouvants, tenaillés par le manque de vivres et d'eau, épuisés par de longs mois en mer, tiraillés par des rivalités, vont peu à peu sombrer dans la violence et le meurtre, le déshonneur et la trahison, le vol et la sauvagerie, jusqu'à la mutinerie et même le cannibalisme.
« … un homme qui part en mer sombre souvent dans des profondeurs troublées où “son âme succombe”. »
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Pour finir, j'ai aimé ce récit de naufrage et de survie, de voyage et de traversée maritime où l'océan est majestueux, indomptable, cruel. J'ai aimé ce récit à hauteur d'homme où se révèle le meilleur comme le pire dans des conditions extrêmes. J'ai aimé naviguer dans une autre époque et un autre lieu, partir à la rencontre des peuples autochtones, les kawésqars, les voir vivre avec simplicité, en harmonie avec la nature dans ces régions inhospitalières, là où des hommes dits civilisés et supérieurs ont vainement tenté de survivre.
Un récit captivant, addictif que je vous encourage à découvrir si vous aimez les récits maritimes et historiques.