Les aventures de Hawk & Fisher, tome 2 : Les jeux sont faits

- Et vous, capitaine ? En quoi croyez-vous ?
- L’argent, la bière fraîche, et une hache au tranchant affûté. (Hawk garda le silence un moment avant d’ajouter.) J’ai été élevé en chrétien, mais c’était il y a bien longtemps.
- En chrétien ? (Le sourcil de Dannielle se souleva.) Enfin, il faut de tout pour faire un monde.

- La Cause est très bonne pour les réformes politiques, mais la structure sociale a encore de belles années devant elle.
- J’aimerais bien lui réformer la structure, moi, murmura Fisher. De préférence à la masse.

Les légendes ne pouvaient pas se permettre d’échouer. Sans quoi elles arrêtaient d’être des légendes.

On a tous besoin de croire en quelque chose. Surtout quand on ne croit pas en soi.

Hardcastle sortit de sa stupeur, s’avança et commença à parler d’une voix forte, qui portait. Il allait les reconquérir. Comme toujours. Mais cette fois, la foule réagit à son mélange habituel de vantardises et d’insultes avec des regards mornes et une colère ouverte. Quelqu’un cria une insulte. Un autre lança quelque chose sur Hardcastle. En quelques instants, la foule se mit en colère. Des bousculades et des bagarres éclatèrent. Oublié dans ce déferlement de récriminations et de vieilles rancœurs, Hardcastle cessa de parler et regarda autour de lui avec horreur. On ne l’écoutait pas. Il avait perdu l’élection. Pour les Conservateurs, cela signifiait qu’il n’était plus personne.

- Ce sont des journalistes, expliqua Medley. Je vous en supplie, ne les touchez pas.
- Nous ne frappons pas tous les gens qui nous déplaisent, démentit Fisher.
- Bien sûr que non, concéda Medley. Je disais cela au cas où. Écoutez, nous avons besoin de la presse. Les deux grands journaux sont peut-être écrits par et pour la haute société et la grande bourgeoisie, mais eux aussi votent, et ils ont beaucoup d’influence. Heureusement pour nous, Hardcastle a toujours détesté la presse et ne lui a jamais fait la moindre concession. Tout ce qui nous donnera une bonne image sera rapporté pour lui nuire. En outre, beaucoup de ces reporters sont indépendants, et ils font des articles pour les grands titres. Nous ne voulons vraiment pas nous les mettre à dos.

- Et il reste plus d’une demi-journée avant le vote. (Fisher secoua la tête.) À leur place, je remplacerais les élections par une vraie guerre civile, ça irait plus vite.
- Ha ! C’est ce qu’ils ont fait, il y a une quarantaine d’années. Ce sont les Réformateurs qui ont gagné. Du coup, suffrage universel dans tous les Bas Royaumes. De nos jours, la préparation des élections sert de soupape de sécurité. Une sorte de folie contrôlée, tolérée. Ils lâchent la pression, et la ville évite l’accumulation des tensions. Les vainqueurs de l’élection déclarent une amnistie générale et tout le monde retourne travailler normalement.
- C’est complètement dingue.
- Ça se passe comme ça, à Haven.

Toutes les villes ont besoin de sang. Certaines conservatrices, se satisfont en pratiquant la chasse à l’ours ou le combat de coqs. D’autres emploient des gladiateurs et des arènes. La distraction favorite de Haven est bien plus sale et sanglante. Il s’agit de politique.

Isobel et moi avons grandi dans les monarchies absolues des Royaumes du Nord. Il nous a fallu un peu de temps pour nous adapter aux changements que la démocratie a apportés à Haven et dans les Bas Royaumes, notamment l’idée d’un monarque constitutionnel. Dans l’ensemble, j’ai l’impression que le pouvoir reste toujours aux mains des mêmes personnes, quel que soit le système qu’on adopte. Mais au moins, la démocratie permet un certain changement. C’est pour ça que je préfère la Réforme. Les Conservateurs refusent le changement parce qu’ils veulent conserver richesse et privilèges. Les pauvres devraient se satisfaire de leur sort sans moufter. Et ça, je n’ai jamais réussi à le faire.

Partout, des vendeurs de boissons alcoolisées concurrençaient les tavernes avec l’enseigne traditionnelle : «Ivre pour un penny, ivre mort pour deux. » Les moins aventureux pouvaient préférer la bière offerte gracieusement par les Conservateurs. Dans l’ensemble, ils préféraient que les électeurs soient un peu éméchés le jour du vote – cela permettait de gagner des faveurs et d’enivrer des électeurs adverses. De son côté, la Garde était très contente que la populace soit trop imbibée pour faire des émeutes.