J'ai eu le plaisir d'avoir un premier aperçu de l'écriture d'
Andreï Guelassimov à travers
L'année du mensonge, dont j'ai posté mon avis il y a deux ou trois ans de cela. Celui-ci est d'un registre totalement différent de
la rose des vents, seul le ton teinté d'humour un peu railleur de l'auteur russe est commun aux deux titres, puisque
L'année du mensonge s'inscrit à la fin des années quatre-vingt-dix, peu avant que le Poutine s'installe au pouvoir. La quatrième de couverture donne une parfaite vue d'ensemble des aventures de celui qui nous guide dans les eaux troubles de l'histoire russe : il a repris la trames des romans d'aventure et historiques pour modeler son histoire, qui a de grands airs de chasse au trésor. Incarné par ces territoires d'Extrême-Orient, ces territoires inconnus et sauvages, des passages navigables, qui ne demandent qu'à être annexés, dont la fameuse île de Sakhaline. Si au XXe siècle, les bagnards russes auraient tout donner pour la quitter, elle était au XIXe siècle un eldorado qui accordait aux navigateurs une économie de temps, et d'effort.
Au centre de
la Rose des Vents, à mi-chemin entre est et ouest, il y a Guennadi Ivanovitch Nevelskoï, officier dans la Marine russe, affronte bien des tempêtes, et pas seulement marines. Il est celui qui mène le récit d'un bout à l'autre de la Russie, qui côtoie Konstantin, le fils cadet du Tsar Nicolas Ier, aussi bien que les bagnards de tout bord, sur terre et sur mer. Ce récit d'aventures réunit tous les thèmes du genre, le déclassement social, le voyage, la conquête coloniale, l'amitié, la solidarité, il est long de 432 pages, ravira les amateurs de, spécialement ceux qui apprécient les équipées marines, aussi bien que ceux de la littérature russe, qui verront l'occasion de comprendre comment Sakhaline est devenue russe, et qui auront l'occasion d'entrevoir les coulisses du pouvoir et ses complots. Les romans d'aventure, ce n'est pas vraiment le type de roman que j'ai pour habitude de lire (et d'aimer), mais dès lors qu'il s'agit de littérature russe, je suis clairement plus ouverte à la découverte. J'ai connu pas mal de remous, lors de cette lecture, qui demande une lecture attentive, parfois. Si le retour de Nevelskoï vers la Russie, qui constitue la première partie du livre, est somme toutes sans complexité, il ne s'y passe pas l'essentiel, il s'agit à mon sens davantage une mise en situation, un avant-goût de la suite, comme une préparation au véritable voyage qui se prépare. Celui qui mènera Nevelskoï et son et son équipage vers Sakhaline, là ou les véritables choses sérieuses commencent. Mon Cap Horn à moi, ça a été lors de la mise au point de l'équipée, cette paire de chapitres ou les principaux instigateurs se sont retrouvés à préparer le plan. Je me suis laissée noyée par les informations, il a fallu pour que reprenne pied, refasse une seconde lecture, salutaire, des chapitres en question.
Guelassimov nous immerge dans les conflits géopolitiques de l'époque entre le Lion Anglais et le Dragon Chinois, ce qui est ma foi assez instructif dès lors qu'on a cartographié le coin en question, point sensible entre plusieurs puissances. Si l'on retrouve cette inimitié presque originelle avec les Américains, Guelassinov revient sur cette concurrence qui pose la Russe face à l'Europe, l'Angleterre plus particulièrement, qui possédait des comptoirs en Chine. Mais les conflits géopolitiques sont évidemment liés aux richesses de ces terres exotiques, avec au milieu les différentes tribus caucasiennes, embrigadées par les anglais, et c'est tout l'intérêt de ce voyage.
Je me suis fait plaisir à la lecture du voyage même de Nevelskoï, et même si j'oublie obstinément à quel côté correspondent bâbord et tribord, et ne fait pas la différence une ancre d'une autre, ce fut comme une plongée en arrière dans ces films de pirates – sans pirate – à la conquête de l'est, d'un fleuve et d'une île, d'un de ses avantages stratégiques géographiques, qui contribuera à la puissance russe. Mais ce récit ne s'arrête pas là,
Guelassimov prend assez de distance pour tourner bien souvent ses personnages en dérision : cette facétie s'accentue au fur et à mesure du récit, peut-être y étais-je moins sensible au début mais c'est devenu de plus en plus coeur, au point ou j'ai fini par en rire. Parce que
Guelassimov malgré tout se garde bien de verser dans un excès de gravité ou même de légèreté, racontant l'histoire de la Marine de son pays, l'écart des années lui permet d'éviter à ce que son roman devienne un manuel d'histoire. J'ai d'ailleurs particulièrement apprécié l'ultime phrase de l'auteur qui sonne comme un soupire de lassitude face à la complexité justement de cette histoire. Au milieu de tout cela, on appréciera la figure du poète russe, qui finalement n'a sa place nulle part et qui vogue au fil des vents qui vont en sa faveur : dans ce récit finalement très ancré dans la terre, il apparaît comme une figure d'apparat, omniprésente mais utile à personne.
Guelassimov, à mon sens, a donné juste ce qu'il faut dans la satire pour ne pas réduire son roman à cela exclusivement.
Les editions des Syrtes ont présenté un roman russe qui détonne du reste mais finalement qui apporte une interlude épique .
Guelassimov par son titre redonne un nouveau souffle à un genre un peu oublié, d'autant qu'il conclut toutes les circonvolutions de l'empire russe, dont on a parfois du mal à démêler les liens. Qu'il nous plaise ou non, c'est comme d'habitude un roman de caractère, qui ne verse pas dans la simplicité, que publient là les Editions des Syrtes, qui permet en passant d'approfondir sa culture générale car il offre beaucoup de matière à réflexion sur l'âme et l'histoire russe. A ce propos, j'ai découvert un podcast de
France Culture intitulé le grand jeu : l'Afghanistan au coeur des convoitises qui narre la rivalité anglo-russe, au XIXe siècle, pour conquérir les terres d'Asie Centrale.
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