AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Raphaëlle Pache (Traducteur)
EAN : 9782940628957
336 pages
Editions des Syrtes (19/08/2021)
3.66/5   22 notes
Résumé :
Tandis qu’aux États-Unis la conquête de l’Ouest se poursuit inexorablement, les Empires russe et britannique se livrent une « guerre froide » en Extrême-Orient. Guennadi Nevelskoï, navigateur obstiné, poussé par une ambition effrénée, obtient l’autorisation officieuse du tsar de lancer une expédition dans cette région. Son but est de trouver une voie navigable sur la côte pacifique, à l’embouchu... >Voir plus
Que lire après La rose des ventsVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
3,66

sur 22 notes
5
5 avis
4
3 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis
Un roman historique qui m'a fait découvrir «le Grand Jeu», «le Tournoi des ombres», une espèce de guerre froide au XIXème siècle, où s'affrontent les impérialismes de la Russie et de l'Angleterre en Asie. D'un point de vue russe qui plus est, qui va bien davantage remettre en cause l'attitude de la Perfide Albion que ce que j'ai pu lire sur le sujet en français. Pour être tout à fait franche, malgré son intérêt, vu mon ignorance sur l'histoire de ces luttes d'influence, j'ai parfois été larguée par les réflexions géopolitiques, de Semenov en particulier, que j'aurais aimé plus brèves.
Remarquez, le protagoniste, Nevelskoï, est assez largué aussi au début et j'ai plutôt aimé cet effet d'étrangeté, d'avancée dans le brouillard, quand le mystérieux Semenov le promène à sa suite sans lui donner d'explications.
Mais par la suite, le roman est moins étonnant que La Soif ou Les dieux de la steppe que j'avais adorés, et s'inscrit dans la tradition du récit de voyage. Il n'en aborde pas moins des sujets intéressants, avec par exemple cet ancien bagnard, Gouriev, qui veut fonder avec Nevelskoï un royaume qui n'aurait rien à voir avec celui du tsar - «Ils ne savent que boire le sang des paysans là-bas.» Mais de la même façon que, selon lui, l'ancien serf était considéré comme un animal par le propriétaire de la terre où il travaillait, il maltraite les habitants de l'estuaire du fleuve Amour, les Guiliaks, qui sont à ses yeux des sauvages.
Et puis, pour ceux qui seraient sujets aux accès de rage, on y apprend un truc bien utile. Si vous êtes tenté d'étrangler quelqu'un, prenez prudemment cet individu par un bouton de sa redingote et tournez-le cinq fois dans un sens et cinq fois dans l'autre. Pendant que vous comptez, pour ne pas effectuer un sixième tour qui serait fatal au bouton, votre colère reflue, et vous vous épargnez bien des soucis.
Malgré cette information d'une si grande utilité qu'elle devrait, me semble-t-il, être enseignée à l'école, le roman a quelque chose de frustrant. Il met en place un personnage intéressant et très prometteur, Katia, décalée comme on aime dans le milieu où elle évolue, consciente de son étrangeté mais pourvue d'une force intérieure séduisante. Et pof, on la perd de vue, pour ne la retrouver que dans l'épilogue. Bref, on nous sucre salement des scènes bien appétissantes qu'on nous avait placées dans notre horizon d'attente, et ça, malgré toute l'admiration que j'ai pour Andreï Guelassimov, c'est dur à pardonner. Allumeur va!
C'est malgré cela un bon roman, mais qui aurait été bien meilleur si les relations entre ces personnages avaient été développées de façon plus satisfaisante. Il y a un petit goût amer d'escamoté dans ce déséquilibre de la construction du récit.
Commenter  J’apprécie          5313
Diantre, quelle odyssée !

Ce livre est à mi-chemin entre le roman historique et le roman d'aventures, avec quelques faux airs de roman d'espionnage.

Il se déroule à la louche entre 1845 et 1849 et relate le(s) périple(s) du lieutenant de la Marine impériale russe Guennadi Ivanovitch Nevelskoï (1813-1876).

Au début du roman, nous le découvrons à son retour du Portugal accompagné de Konstantin, le deuxième fils du tsar Nicolas 1er, dont il est aussi le précepteur. Son ambition est alors d'accéder à la charge de commandant de la frégate Pallada. Evidemment, tout ne va pas se passer comme il l'avait envisagé…

Les spéculations sur l'existence d'un détroit à l'embouchure du fleuve Amour, aux abords de l'île Sakhaline, aux confins de la Russie et de la Chine, attisées par le mystérieux Semenov, semblent devenir d'une actualité brulante. (A cette époque Sakhaline, sous protectorat de l'empire Qing, était alors considérée comme une péninsule et l'existence d'un détroit, qui plus est navigable, n'était que présomptions). L'officier Nevelskoï se laissera-t-il convaincre de prendre part à cette expédition hasardeuse sous haute tension stratégique au risque de briser sa carrière ?

En vérifiant les hypothèses suggérées sur l'étymologie du nom du fleuve « Amour » (Амур), j'ai été amusée de constater ce mot puisse être issu d'un dialecte local bouriate signifiant boueux ou boue. Car c'est effectivement en eaux troubles que nous fait louvoyer Nevelskoï, entre coups du sort, coups de dés, coups de vent, entre ennemis intérieurs et ennemis extérieurs, au gré de la cabale, des intérêts financiers et de l'honneur.

La première partie (qui représente tout de même plus d'un tiers du roman sur les quatre que comportent le roman) est un peu longue. Les tergiversations de Nevelskoï sont un peu lassantes. En revanche, elle a le mérite de poser le contexte géopolitique international de l'époque et c'est tout à fait passionnant. Quoique peut être pas suffisamment développé. L'escale à Londres est particulièrement savoureuse car elle pointe notamment les différences culturelles entre la Russie et les Britanniques. D'autres thèmes sont également évoqués tels que le servage, la condition des femmes (du moins celle des jeunes filles), les us et coutumes de la navigation. Mon principal regret concerne la fin, trop abrupte selon moi. En fait, je n'ai pas saisi l'intérêt d'avoir développé autant certains personnages secondaires, alors que d'autres que je m'attendais à revoir à un moment donné, pschitt… évaporés !

En tout cas, c'est une lecture attrayante, teintée d'un humour discret et un poil ironique. Dans ce Far East slave, qui prend parfois des allures de Far West, le danger ne se trouve pas nécessairement où on l'attend.

Grand merci aux éditions des Syrtes et à l'opération masse critique Babelio de m'avoir permis de découvrir cet auteur qui me lançait des coups d'oeil espiègles depuis quelques temps.
Commenter  J’apprécie          385
A priori un roman d'aventures, d'explorations, de voyages, basés sur des faits et personnages réels, donc on pourrait dire un roman historique. Il est inspiré de la vie de Guennadi Nevelskoï, marin et explorateur russe du XIXe siècle. Il a exploré les abords de l'île Sakhaline et l'embouchure du fleuve Amour, très peu connus à l'époque, d'autant plus que la question de savoir à qui appartenaient ces territoires n'était pas complètement tranchée. Au-delà de mieux connaître, il s'agissait donc de marquer son territoire et éventuellement s'installer.

Le roman d'Andreï Guelassimov contient les éléments de romans d'aventures type : péripéties, rebondissements, risque de perdre la vie, batailles, traîtrises etc. Mais d'une certaine manière, cela ne semble pas l'essentiel pour l'auteur, qui joue avec les codes du genre, avec un second degré jamais absent. Et qui se permet de jouer avec son lecteur : il peut nous laisser en plan au moment du suspens le plus intense, nous balader ailleurs, puis revenir à la situation première qu'il boucle en quelques lignes, sans tous les développements et passages obligés que le lecteur attend. Un peu comme si dans un Indiana Jones, au moment où le héros était assailli par une horde d'ennemis, on passait directement à la scène où les dits ennemis sont tous écrabouillés, en faisant l'économie de la bagarre. Guelassimov semble nous dire : vous savez bien comment cela se passe, ne perdons pas notre temps avec ces futilités.

Car au-delà de la destinée d'un individu, ce sont les mécanismes politiques et sociaux qui semblent bien plus passionner Guelassimov. Nevelskoï devient explorateur contraint et forcé, une sorte de chantage qui ne dit pas son nom s'exerce sur lui et sa famille, pour qu'il paraisse prendre des initiatives de son propre chef. Et son action ne sera sanctionnée officiellement par les autorités que lorsqu'il réussit. Car la Russie n'est pas la seule qui lorgne ces terres lointaines, ainsi que les richesses qu'elles recèlent. La puissance anglaise est à son zénith, et ces terres sans maître, dans l'orbite de la Chine devenue impuissante, aiguisent ses appétits. Et pour certains Russes, dont le trouble et inquiétant Semenov, pas question de leur céder un pouce de terrain. Les Russes sont pour lui les seuls à posséder une âme, et tous les étrangers, en particulier Européens, n'ont qu'à bien se tenir. L'enjeu n'est pas la réussite de l'aventure d'un homme, qui au final n'est qu'un pion, mais les chocs entre puissances, qui utilisent les pions dont elles disposent, en essayant de le faire de la manière la plus judicieuse. D'où les longs développement du début du roman, qui posent le contexte géopolitique et qui sont le véritable sujet du livre. Ce démarrage nous dessine également la société dans laquelle évolue le personnage principal : une société autocratique, qui peut du jour au lendemain broyer un individu. Parce qu'en le faisant, elle atteint un de ses objectifs, ou tout simplement parce qu'il est au mauvais moment au mauvais endroit. L'indifférence de Semenov devant ce genre d'événement illustre l'indifférence du système dans son ensemble, de ceux qui détiennent le pouvoir, et qui se battent farouchement pour le garder ou pour en avoir un peu plus, d'une manière souterraine et trouble. Dans cette lutte, la vie d'un individu qui ne fait pas partie des puissants n'a aucune importance. Toutes les atrocités sont permises, si elles permettent de gagner.

Brillant et passionnant.
Commenter  J’apprécie          244
Décidément, les éditions des Syrtes savent gâter leurs lecteurs. Après le merveilleux et facétieux « Les Petrov, la grippe, etc. » d'Andreï Salnikov ou la sombre « Traque » de Sacha Filipenko, elles nous régalent avec cette « Rose des vents » d'Andréï Guélassimov, qui n'a pas déçu mes attentes, témoignant d'une ambition et d'un talent à la hauteur de ces mêmes ambitions.
Le roman raconte l'expédition réelle, celle qu'a dirigée Guennadi Nevelskoï, pour découvrir si l'embouchure du fleuve Amour était navigable (pour les personnes en délicatesse avec la géographie, le fleuve Amour coule dans l'Extrême-Orient de l'Asie et sert désormais de frontière entre la Chine et la Russie). Habité par des personnages historiques (le grand duc Constantin, l'impératrice Alexandra Fiodorovna, le poète Tiouttchev…), le roman leur fait côtoyer des personnages de fiction sans que leur différence de nature ne s'en ressente. Au contraire, ils se combinent admirablement dans un récit qui réussit la prouesse de marier réel et fiction, document et aventure, tragique et comique, force et faiblesse, etc.
Autant dire que cette « Rose des vents » m'a enthousiasmée. Porté par un souffle narratif puissant, il se lit avec la sensation de devenir un peu moins ignare au fil des pages, sans jamais déroger à l'un des objectifs de tout roman, qui est de divertir son lecteur.
Commenter  J’apprécie          173
J'ai eu le plaisir d'avoir un premier aperçu de l'écriture d'Andreï Guelassimov à travers L'année du mensonge, dont j'ai posté mon avis il y a deux ou trois ans de cela. Celui-ci est d'un registre totalement différent de la rose des vents, seul le ton teinté d'humour un peu railleur de l'auteur russe est commun aux deux titres, puisque L'année du mensonge s'inscrit à la fin des années quatre-vingt-dix, peu avant que le Poutine s'installe au pouvoir. La quatrième de couverture donne une parfaite vue d'ensemble des aventures de celui qui nous guide dans les eaux troubles de l'histoire russe : il a repris la trames des romans d'aventure et historiques pour modeler son histoire, qui a de grands airs de chasse au trésor. Incarné par ces territoires d'Extrême-Orient, ces territoires inconnus et sauvages, des passages navigables, qui ne demandent qu'à être annexés, dont la fameuse île de Sakhaline. Si au XXe siècle, les bagnards russes auraient tout donner pour la quitter, elle était au XIXe siècle un eldorado qui accordait aux navigateurs une économie de temps, et d'effort.


Au centre de la Rose des Vents, à mi-chemin entre est et ouest, il y a Guennadi Ivanovitch Nevelskoï, officier dans la Marine russe, affronte bien des tempêtes, et pas seulement marines. Il est celui qui mène le récit d'un bout à l'autre de la Russie, qui côtoie Konstantin, le fils cadet du Tsar Nicolas Ier, aussi bien que les bagnards de tout bord, sur terre et sur mer. Ce récit d'aventures réunit tous les thèmes du genre, le déclassement social, le voyage, la conquête coloniale, l'amitié, la solidarité, il est long de 432 pages, ravira les amateurs de, spécialement ceux qui apprécient les équipées marines, aussi bien que ceux de la littérature russe, qui verront l'occasion de comprendre comment Sakhaline est devenue russe, et qui auront l'occasion d'entrevoir les coulisses du pouvoir et ses complots. Les romans d'aventure, ce n'est pas vraiment le type de roman que j'ai pour habitude de lire (et d'aimer), mais dès lors qu'il s'agit de littérature russe, je suis clairement plus ouverte à la découverte. J'ai connu pas mal de remous, lors de cette lecture, qui demande une lecture attentive, parfois. Si le retour de Nevelskoï vers la Russie, qui constitue la première partie du livre, est somme toutes sans complexité, il ne s'y passe pas l'essentiel, il s'agit à mon sens davantage une mise en situation, un avant-goût de la suite, comme une préparation au véritable voyage qui se prépare. Celui qui mènera Nevelskoï et son et son équipage vers Sakhaline, là ou les véritables choses sérieuses commencent. Mon Cap Horn à moi, ça a été lors de la mise au point de l'équipée, cette paire de chapitres ou les principaux instigateurs se sont retrouvés à préparer le plan. Je me suis laissée noyée par les informations, il a fallu pour que reprenne pied, refasse une seconde lecture, salutaire, des chapitres en question. Guelassimov nous immerge dans les conflits géopolitiques de l'époque entre le Lion Anglais et le Dragon Chinois, ce qui est ma foi assez instructif dès lors qu'on a cartographié le coin en question, point sensible entre plusieurs puissances. Si l'on retrouve cette inimitié presque originelle avec les Américains, Guelassinov revient sur cette concurrence qui pose la Russe face à l'Europe, l'Angleterre plus particulièrement, qui possédait des comptoirs en Chine. Mais les conflits géopolitiques sont évidemment liés aux richesses de ces terres exotiques, avec au milieu les différentes tribus caucasiennes, embrigadées par les anglais, et c'est tout l'intérêt de ce voyage.

Je me suis fait plaisir à la lecture du voyage même de Nevelskoï, et même si j'oublie obstinément à quel côté correspondent bâbord et tribord, et ne fait pas la différence une ancre d'une autre, ce fut comme une plongée en arrière dans ces films de pirates – sans pirate – à la conquête de l'est, d'un fleuve et d'une île, d'un de ses avantages stratégiques géographiques, qui contribuera à la puissance russe. Mais ce récit ne s'arrête pas là, Guelassimov prend assez de distance pour tourner bien souvent ses personnages en dérision : cette facétie s'accentue au fur et à mesure du récit, peut-être y étais-je moins sensible au début mais c'est devenu de plus en plus coeur, au point ou j'ai fini par en rire. Parce que Guelassimov malgré tout se garde bien de verser dans un excès de gravité ou même de légèreté, racontant l'histoire de la Marine de son pays, l'écart des années lui permet d'éviter à ce que son roman devienne un manuel d'histoire. J'ai d'ailleurs particulièrement apprécié l'ultime phrase de l'auteur qui sonne comme un soupire de lassitude face à la complexité justement de cette histoire. Au milieu de tout cela, on appréciera la figure du poète russe, qui finalement n'a sa place nulle part et qui vogue au fil des vents qui vont en sa faveur : dans ce récit finalement très ancré dans la terre, il apparaît comme une figure d'apparat, omniprésente mais utile à personne. Guelassimov, à mon sens, a donné juste ce qu'il faut dans la satire pour ne pas réduire son roman à cela exclusivement.

Les editions des Syrtes ont présenté un roman russe qui détonne du reste mais finalement qui apporte une interlude épique . Guelassimov par son titre redonne un nouveau souffle à un genre un peu oublié, d'autant qu'il conclut toutes les circonvolutions de l'empire russe, dont on a parfois du mal à démêler les liens. Qu'il nous plaise ou non, c'est comme d'habitude un roman de caractère, qui ne verse pas dans la simplicité, que publient là les Editions des Syrtes, qui permet en passant d'approfondir sa culture générale car il offre beaucoup de matière à réflexion sur l'âme et l'histoire russe. A ce propos, j'ai découvert un podcast de France Culture intitulé le grand jeu : l'Afghanistan au coeur des convoitises qui narre la rivalité anglo-russe, au XIXe siècle, pour conquérir les terres d'Asie Centrale.






Lien : https://tempsdelectureblog.w..
Commenter  J’apprécie          52

Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Ce télescopage lui-même, visiblement intentionnel, et le regard plein de haine qui s’était ensuivi s’avéraient d’une insolence inouïe dans la Marine impériale, deux délits pour lesquels les martinets habituels et même le châtiment des baguettes risquaient de se révéler trop cléments.
Si pareil incident était survenu sur un vaisseau de guerre britannique, le coupable encourait au minimum le supplice de la grande cale, quand le condamné passé deux, parfois même trois fois sous la quille à l’aide de cordages, si bien qu’il a la peau arrachée par les bords coupants des coquillages collés par milliers à la coque, sous la ligne de flottaison. Sur les navires de guerre russes, qui avaient adopté d’innombrables usages de marine en vogue chez les grandes puissances maritimes, cette bestialité n’avait pas pris racine, pourtant un matelot percutant un officier risquait un châtiment exemplaire.

[PARTIE I - Chapitre 2]
Commenter  J’apprécie          153
Pendant un congé à Drakino, avant son avancement au premier grade d’officier, il avait été sincèrement étonné en apprenant les souffrances amoureuses d’une jeune domestique. Jusqu’alors, il était totalement convaincu que les serviteurs ne pouvaient éprouver que la faim, la soif, le désir de voler et le besoin d’assouvir les exigences de la physiologie. Pourtant, au cours de cet hiver enneigé de 1836, la servante de sa mère avait souffert de façon réelle et tout à fait tangible, après s’être amourachée d’un homme comme si elle était une véritable personne, faite des sentiments et des émotions que l’on trouvait couramment chez les humains.

[PARTIE I - Chapitre 1]
Commenter  J’apprécie          180
Participer au bal hebdomadaire de chez Olmack, donné tous les mercredis pendant la durée de la saison mondaine, n’était pas seulement un honneur pour les débutantes et le « troupeau » de leurs mamans, c’était une nécessité vitale. Car c’était précisément ici que se décidaient et s’arrangeaient les plus importantes unions matrimoniales de la capitale britannique. Une jeune fille n’y étant pas admise pouvait sans crainte de se tromper anticiper l’échec d’une vie morne et obscure, d’une existence inutile dans une arrière-cour.

[PARTIE I - Chapitre 10]
Commenter  J’apprécie          170
Occupant le poste de vice-ministre des Oudels, Perovski, du fait même de sa fonction, était censé veiller scrupuleusement au respect plein et entier du servage. Son département s’occupait des biens et des affaires d’une seule et unique famille et avait été institué par Paul 1er en son temps « pour permettre que la descendance de sang impérial dispose de tout ce dont elle avait besoin pour un entretien qui la préservât de l’indignité ».
Les centaines de milliers de serfs appartenant à la maison des Romanov s’appelaient des paysans des apanages. Et l’« entretien qui préservât de l’indignité » qu’ils étaient censés garantir à la maison impériale les réduisait pour leur part à une situation et une dignité de bêtes de trait quand les paysans d’Etat, payant des impôts au Trésor, étaient incomparablement mieux : ces derniers trouvaient leur pire cauchemar dans la simple supposition d’un transfert au sein de la catégorie des paysans d’apanage.

[PARTIE II - Chapitre 3]
Commenter  J’apprécie          80
Pour l’heure, M. Semenov l’étonnait surtout par son ardeur. Il était imprévisible même sans cet emballement, bien entendu, cependant, tout étrange que fût ce constat, Nevelskoï avait déjà commencé à s’habituer à cette imprévisibilité et il s’attendait même sans plus trop s’émouvoir à quelque manifestation de ce type d’un instant à l’autre. Mais le tempérament de feu avec lequel son interlocuteur décrivait la géométrie des forces politiques et militaires mondiales aux confins orientaux de la Russie, il aurait bien été en peine de seulement le supposer jusqu’au moment présent. M. Semenov parlait du heurt des deux gigantesques empires avec le même feu que s’il était personnellement concerné, comme si ces empires étaient simplement deux personnes – non pas des essences étatiques abstraites, mais deux êtres vivants avec leur caractère, leurs manies, leurs faiblesses et ainsi de suite -, et que ces deux personnes, pour une raison inconnue, étaient parvenues juste devant le mur de sa maison pur y commettre un pogrom.

Au fil du voyage vers Londres, le courroux de M. Semenov s’accrut d’un penchant soudainement apparu pour la poésie, qui prit les traits d’un tropisme antique à l’égard de toute chose. Le corps expéditionnaire anglais, débarqué en Chine depuis l’Inde et composé de quatre régiments et de deux compagnies d’artillerie, ne fut bientôt plus désigné par lui que comme « le Lion britannique », et l’armée mandchoue de l’empire Qing, comme « Le Dragon chinois ». Dans son exposé, ces monstres mythiques acquéraient des dimensions incroyables, et, après avoir commencé la discussion par l’évocation du conflit entre deux personnes apparemment banales, M. Semenov finit par donner à son discours des accents véritablement homériques. Le Lion, qui avait taillé le Dragon en pièces, menaçait de poursuivre sa route vers le nord, auquel cas nos territoires orientaux risquaient de se retrouver menacés. Hong Kong, pris par le Lion, avait peu de chance de combler tous ses appétits.
Commenter  J’apprécie          30

Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus
Livres les plus populaires de la semaine Voir plus


Lecteurs (72) Voir plus



Quiz Voir plus

La littérature russe

Lequel de ses écrivains est mort lors d'un duel ?

Tolstoï
Pouchkine
Dostoïevski

10 questions
437 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature russeCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..