C'est le RRRRUBY qui résonne dans ce livre ! Pas le rugby des snobs, des parisiens et des anglais. Mais celui du terroir, bien franchouillard, à l'accent rocailleux et au béret. Celui de cette image d'Epinal, construite depuis plus d'un siècle par des valeurs venues des profondeurs de certaines racines : la camaraderie virile, la force du collectif, l'abnégation et le sacrifice à son égard, le panache, la fête. Celui de Papa et de l'amateurisme.
Et rien de vraiment étonnant à cela, car il est décrit de l'intérieur avec amour par un authentique champion rugbyman, véritable écrivain de talent. Il en ressort un livre rempli de tendresse et de poésie dont les nouvelles alternent entre bonhommie, drôlerie, impertinence et émotions. Un vrai délice !
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OUVERTURE :
L'AILIER FILANT
Hier, la nuit.
Le ciel était splendide. Lisse, lumineux, et tapissé de milliers de petits mystères.
Un immense tableau noir, comme à mon école de rugby. Les ronds d'un côté, les croix de l'autre, des avants groupés et des trois-quarts en profondeur. Je me souviens, la lune était ovale et le jeu limpide, du p´tit lait pour un demi d'ouverture. Et tous ces joueurs semblaient si brillants qu'on eût cru au match du siècle, l'Univers contre le Reste du monde.
Puis, soudain.
Soudain, un trois-quarts aile a jailli. Un trois-quarts aile de feu, magnifique, d'une aisance rare et d'une rapidité affolante. Il a slalomé entre les points et les croix, semant la panique et filant à l'essai sans que personne ne le plaque, ni même le touche, ni même l'effleure, puis il a disparu plus vite qu'il avait jailli.
J'ai souvent rêvé d'être ce trois-quarts aile. Rien qu'un instant. Mais cette nuit-là, hier, j'ai oublié d'en faire le vœu.
Il était très pratique aussi, ce club-house, pour les assemblées générales. Le président-sortant-candidat-unique exposait son programme, puis on l'élisait très vite car ces assemblées, c'était toujours après le boulot, et le boulot, ça donne soif.
Notre président, c'était le père Lamerge. On disait le "père" car c'est lui qui avait fondé le club vingt ans auparavant. À l'époque, il était président-entraîneur-capitaine-joueur-buteur-sponsor. Puis, chacun de ces titres s'effaça le long de son âge. Aujourd'hui, il ne restait que celui de président. Le père Lamerge nous promettait à boire et à manger après chaque match. Et il tenait toujours ses promesses. Faut dire qu'il aimait beaucoup ça lui-même. Le père Lamerge était un président honnête. Il disait toujours : "L'argent ?... Moins t'en as, plus c'est facile de le gérer..." Et de l'argent, le club n'en avait pas.
C'est une souffrance, pour des piliers, de mater une fille qui passe. Ils ont tous comme qui dirait un problème technique. D'abord, ils sont trop musclés du cou, ensuite, ils ont les cervicales légèrement concassées par les mêlées. Alors, pour le matage de greluche, ils n'ont que trente degrés d'autonomie circulaire, après, faut que les épaules embrayent. En même temps, ça leur fait beaucoup de bien, c'est comme des étirements. D'ailleurs, chez nous, le docteur du club leur conseille vivement le matage de greluche, surtout l'été sur les plages. Le docteur, il dit toujours : "La plage, pour les cervicales, c'est comme la montagne, pour les asthmatiques : curatif."
Chez nous, tout le monde officiait un peu partout. Selon les besoins, on passait de troisième ligne à ailier, d'arrière à demi d'ouverture ou de trois-quarts centre à talonneur. C'était ainsi car, dans ce club, personne n'était assez important pour exiger d'être à la même place tous les dimanches.
Et il a beau être gras comme un cochon, il s'est passé deux tubes de vaseline sur le corps. De la vaseline sur son ventre, c'est un pléonasme physique.