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Citations sur Près de la mer (35)

Insatisfait de l’inutilité de ma pauvre existence, j’entends au moins me divertir de son incommensurable insignifiance.
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Un expert de ma région, quelqu’un qui a sans doute écrit des livres sur moi, qui sait tout de moi, plus que je n’en sais moi-même. Il se sera rendu sur tous les sites importants ou présentant un intérêt, connaîtra leur contexte historique et culturel, quand je ne les aurai, moi, jamais vus de ma vie et n’aurai à leur sujet entendu raconter que de vagues mythes et contes populaires. Il se sera glissé à maintes reprises dans ma région, des dizaines d’années durant, afin de m’étudier, de me coucher sur le papier, de m’interpréter, de me résumer, sans que j’aie eu conscience, pour ma part, de son existence affairée. (p. 106)
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Il semblerait bien que les Britanniques ne nous aient apporté que du bien, comparé aux brutalités que nous fûmes capables de nous infliger à nous-mêmes. Ce bien, cependant, avait de quoi étonner. Ils nous parlaient à l’école de la grandeur qu’il y avait à résister à la tyrannie, puis décrétaient le couvre-feu une fois le soleil couché et envoyaient en prison pour sédition ceux qui prônaient l’indépendance. Qu’importe, car ils ont drainé les cours d’eau, amélioré le système des égouts, apporté les vaccins et la radio. Leur départ a paru finalement si soudain, si précipité qu’il a quelque peu donné l’impression d’avoir été décidé sur un coup de tête. (p. 38)
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Le vestibule était exigu et triste, le sol recouvert d'un tapis râpé dans lequel des bribes de fil rouge étaient encore visibles parmi le gris élimé. L'escalier - à peine quelques marches - opérait un premier virage en angle droit à droite, suivi d'un second virage en angle droit toujours à droite - une bonne position de défense. Le visiteur, qui avait toutes les chances d'être droitier, n'aurait pas eu la place de manier une arme et aurait également été vulnérable à un tir bien ajusté, à un chaudron d'huile bouillante, ou bien d'autres choses encore.
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Nous fuyions tous des lieux où les autorités exigeaient une soumission totale et instillaient la peur de façon latente, et comme ces choses ne peuvent s'obtenir sans flagellations quotidiennes ni décapitations publiques, ceux qui servaient ces autorités, la police, l'armée, l'appareil de sécurité, se livraient à des tracasseries permanentes pour montrer le danger qu'il y avait à s'insurger inconsidérément.
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Les hangars où nous logions auraient aussi bien pu abriter des sacs de céréales ou de ciment, ou quelque autre article de valeur à protéger du vol et des intempéries. Ils nous abritaient à présent, nuisance ordinaire et de peu de prix qu'il fallait endiguer.
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Puis le président déchanta à propos des Américains. En raison notamment du concert grandissant de reproches qu’on entendait alors dans toute l’Afrique à leur encontre. Ils avaient trop ouvertement montré leur rôle dans l’assassinat de Patrice Lumumba au Congo – des vantard de la CIA n’ayant pu s’empêcher de diffuser des informations qui auraient dû rester anonymes. Dans leur pays, on tuait des Noirs pour avoir simplement réclamé le droit de vote et l’égalité des citoyens. Ces aspirations nous étaient chères à tous à l’époque et rejoignaient notre révolte contre l’arrogance et l’oppression qui s’exerçaient sur les peuples non-européens partout dans le monde. Des photographies de la police américaine lâchant les chiens sur des manifestants noirs ont paru dans la presse en miroir d’images montrant la redoutable police de l’apartheid agissant de la même façon. Les Américains et la CIA semblaient vouloir interférer en tout, manipuler et contrôler chaque évènement, petit ou grand, qui attirait leur attention.
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Ces années sont inscrites dans la langue du corps et ce n'est pas une langue que je peux dire avec les mots.
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Je veux aller de l'avant, mais je me retrouve toujours à regarder en arrière, à fouiller un passé lointain qu'estompent tous les évènements survenus depuis, des évènements tyranniques qui occupent le premier plan et dictent les actes de la vie ordinaire. Pourtant, quand je regarde en arrière, je vois encore certains objets briller d'un éclat malveillant, et chaque souvenir saigne. C'est un lieu austère que celui de la mémoire, un entrepôt sinistre et désolé aux planches pourrissantes, aux échelles rouillées, où l'on passe parfois du temps à fureter parmi les marchandises abandonnées.
Ici, l'après-midi glacial s'enfonce dans la nuit qu'illumine déjà la lumière réconfortante des réverbères; la nuit qu'agitent le grondement sourd de la circulation automobile, la multitude des passants, un bourdonnement d'essaim incessant.
L'autre lieu que j'habite est tranquille comme un murmure, la parole y est muette et personne ou presque ne bouge - le silence une fois la nuit tombée.
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J'ai attendu le moment opportun pour vous parler de ce livre paru il y a un mois. Je voulais qu'il soit parmi mes premiers avis partagés de cette nouvelle année. Ma seule résolution littéraire pour 2022 sera de lire toujours plus "avec intentions" et cette pépite en est la parfaite incarnation (et pas seulement parce que l'auteur a reçu le Prix Nobel).

"Près de la mer" nous dit beaucoup d'un ailleurs, et d'une époque - la colonisation britannique au Zanzibar.
Il nous dit aussi beaucoup d'un ici - une terre d'accueil pas si accueillante, l'Angleterre en l'occurence, mais cela pourrait être la France ou l'Italie.
Il nous dit enfin tout ou presque du déplacement, de la trajectoire, de l'exil. Et de la famille. Et du patrimoine visible et invisible. Et du parfum des souvenirs.

Il y a tant à dire de l'histoire de Saleh Omar, 65 ans, qui débarque à l'aéroport de Gatwick avec un faux passeport et sans visa d'entrée. De son destin, étroitement lié à celui de Latif Mahmud, le traducteur que les services d'aide aux réfugiés lui présentent sur place. De la trahison, du sens de l'honneur et de la valeur de la parole.
Je ne sais par où commencer car il s'agit d'une lecture que je ne voulais pas finir (I would prefer not to - comprenne qui pourra!)

Je peux vous dire humblement que j'ai été subjuguée de bout en bout par la finesse du style d'Abdulrazak Gurnah, par la place qu'il donne à l'Histoire, et par ce que tout ce que j'ai lu a remué en moi. J'ai ressenti dès les premières pages le transport, et j'ai pris mon temps pour m'en délecter.

À votre tour, si cela n'est pas déjà fait ❤
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