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Citations sur Près de la mer (35)

Je veux aller de l'avant, mais je me retrouve toujours à regarder en arrière, à fouiller un passé lointain qu'estompent tous les évènements survenus depuis, des évènements tyranniques qui occupent le premier plan et dictent les actes de la vie ordinaire. Pourtant, quand je regarde en arrière, je vois encore certains objets briller d'un éclat malveillant, et chaque souvenir saigne. C'est un lieu austère que celui de la mémoire, un entrepôt sinistre et désolé aux planches pourrissantes, aux échelles rouillées, où l'on passe parfois du temps à fureter parmi les marchandises abandonnées.
Ici, l'après-midi glacial s'enfonce dans la nuit qu'illumine déjà la lumière réconfortante des réverbères; la nuit qu'agitent le grondement sourd de la circulation automobile, la multitude des passants, un bourdonnement d'essaim incessant.
L'autre lieu que j'habite est tranquille comme un murmure, la parole y est muette et personne ou presque ne bouge - le silence une fois la nuit tombée.
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Je m'étonne que les heures d'obscurité me soient devenues si précieuses, et le silence nocturne si plein de chuchotements et de murmures quand il était auparavant si terriblement calme , si tendu par l'absence inquiétante des bruits qui planent au-dessus des mots. Comme si venir vivre ici avait refermé une porte étroite en en avait ouvert une autre sur un espace toujours plus grand. Dans le noir, je perds la notion d'espace, et dans ce nulle part je ne me sens plus complètement moi-même, j'entends plus nettement jouer les voix, comme si elles existaient pour la première fois.
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Je ne me suis pas dit qu'il me fallait être attentif à tout ce qui se passait autour de moi pour me souvenir plus tard de ces instants qui ont précédé le départ. Je ne me suis pas dit qu'il fallait retenir les images et les senteurs de ce moment là pour les stériles années à venir, lorsque surgirait du silence, me laissant tremblant d'un chagrin impuissant, le souvenir de la façon dont j'avais quitté ma mère si belle.
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Insatisfait de l’inutilité de ma pauvre existence, j’entends au moins me divertir de son incommensurable insignifiance.
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Le vestibule était exigu et triste, le sol recouvert d'un tapis râpé dans lequel des bribes de fil rouge étaient encore visibles parmi le gris élimé. L'escalier - à peine quelques marches - opérait un premier virage en angle droit à droite, suivi d'un second virage en angle droit toujours à droite - une bonne position de défense. Le visiteur, qui avait toutes les chances d'être droitier, n'aurait pas eu la place de manier une arme et aurait également été vulnérable à un tir bien ajusté, à un chaudron d'huile bouillante, ou bien d'autres choses encore.
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J'ai appris à me taire sur les années qui ont suivi, même si je n'en ai presque rien oublié. Ces années sont inscrites dans la langue du corps, et ce n'est pas une langue que je peux dire avec les mots. Quand je tombe sur des photographies d'êtres dans la détresse, l'image de leur malheur, de leur douleur, trouve en moi un écho et je souffre avec eux.
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J'ai consulté mon Concise Oxford Dictionnary aussitôt arrivé au bureau et je n'y ai pas trouvé grand chose. Moricaud(e) : homme, femme de couleur. On fait mieux. J'ai alors regardé au mot "noir" et son emploi m'a accablé : "bile, humeur noire", "colère noire", "messe noire", "liste noire", "marché noir", "caisse noire". Si bien que j'ai fini par me sentir misérable, sali par ce torrent de boue. Je savais, évidemment, que le noir c'était l'autre, le mauvais, le bestial, le perfide, inscrit au plus profond de l'être chez l'Européen même le plus civilisé, mais je ne m'attendais pas à contempler tant de noirceur sur cette page. Tomber là-dessus sans y être préparé a été pour moi un choc plus grand que d'être traité de mowicaud hila' (moricaud hilare) par un homme qui tenait le rôle du grincheux dans un film daté.
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Je suis un réfugié, un demandeur d'asile. J'ai débarqué à l'aéroport de Gatwick en fin d'après-midi le 23 novembre de l'an dernier. C'est un point culminant, mineur et familier de nos histoires que de quitter ce qu'on connaît pour arriver dans des lieux étranges, emportant avec soi pêle-mêle des bribes de bagages, bâillonnant des ambitions secrètes et embrouillées.
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J'ignore ce qui se passait pour les filles et j'aimerais bien le savoir aujourd'hui. Peut-être que les filles quittaient tout simplement l'école, un jour ici, parties le lendemain. Et l'on savait qu'elles avaient été mariées. Mariées, cédées, brisées.
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Ce que l'on sait nous renvoie sans cesse à ce que l'on ignore, et nous amène à voir le monde comme si nous étions encore accroupis dans la flaque tiède des terreurs de l'enfance.
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