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Régis Boyer (Préfacier, etc.)
EAN : 9782271071668
CNRS Editions (28/04/2011)
3.62/5   4 notes
Résumé :

Inspirateur de l’existentialisme et de la philosophie postmoderne, admiré par Jaspers, Sartre,Camus, Deleuze et Derrida, rendu célèbre par son Journal du séducteur traduit et commenté dansle monde entier, Kierkegaard n’a jamais semblé aussi actuel, et aussi subversif. Mort en 1855 àl’âge de 42 ans, le philosophe danois, par sa critique radicale de l’individualisme et de l’idolâtrierelig... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Kierkegaard a été pour moi une belle découverte il y a quelques semaines, j'ai donc souhaité lire une synthèse de sa pensée, pour avoir une vision complète de l'édifice de sa philosophie avant de m'intéresser plus précisément à certaines parties - ce que j'ai déjà commencé à faire. Je me suis donc tourné vers cet ouvrage de Georges Gusdorf que j'avais vu bien critiqué. C'est un livre écrit en 1963 mais réédité récemment, en 2011, par les éditions CNRS.


Le livre s'amorce sur la manière dont Kierkegaard est vu en Europe, la constatation qu'il était bien inconnu avant que certains penseur du XXème ne commencent à s'en réclamer, puis au Danemark - à noter la citation savoureuse que j'ai ajoutée sur la mésentente de l'auteur lorsqu'il découvre "l'Avenue Kierkegaard" à Copenhague. S'ensuit une courte biographie plus que nécessaire à ce philosophe qu'à aucun autre, en tant qu'il se veut le philosophe de la subjectivité de la pensée existentielle, par opposition à la pensée de l'objectivité et de la totalité prônée par Hegel à l'époque. Kierkegaard se place donc clairement en opposant du penseur allemand, et il fait ainsi le bon choix, car à travers Hegel, ce n'est pas l'homme qu'il attaque, mais la philosophie comme elle est alors considérée : Hegel règne en maître sur la pensée européenne de l'époque.
Nous apprenons donc quelques petites choses sur sa vie qui prendront une importance capitale à l'heure de la traduire en pensée : son père, pieux parmi les pieux, et Régine Olsen, qui le feront l'un et l'autre passer respectivement du stade esthétique au stade éthique, puis du stade éthique au stade religieux - cette vision de l'existence par "stade" propre à Kierkegaard est expliquée dans le livre.
Après cette biographie nous avons un résumé partiel de toutes les oeuvres kierkegaardiennes, sans vraiment approfondir, l'auteur nous donne une bonne vision de chacune d'entre elles, en précisant celles qui peuvent être considérées comme ses "chefs-d'oeuvre". C'est ensuite un résumé de sa pensée - enfin ! - que l'auteur nous autorise, toujours très teinté de biographie, et pour cause cette "pensée existentielle". Tout cela reste malgré tout très succin, bien qu'intéressant et correctement ordonné.
Mais là où l'ouvrage m'a beaucoup déçu - la préface de la réédition, par Régis Boyer, m'avait pourtant averti -, c'est qu'il dégouline d'un sentiment de "Kierkegaard c'est mon philosophe à moi et à personne d'autre". J'entends par là que l'auteur fait tout pour démontrer que tous ceux qui s'en sont réclamé ne l'avaient pas réellement lu, et si jamais ce prérequis s'avérait faux, alors, ils ne l'auraient pas compris, bande d'ignares ! Georges Gusdorf est un chrétien, protestant revendiqué qui plus est, comme un certain Kierkegaard. Et sans arrêt il nous répète qu'il ne comprend pas comment des penseurs athées peuvent se réclamer du philosophe, lui qui aura offert sa vie en sacrifice à Dieu, tel Abraham avec son fils Isaac ! Alors certainement a-t-il raison sur beaucoup de points, mais c'est vraiment exaspérant à la longue, non content d'interdire aux athées de lire puis de comprendre le génie danois, il passera ensuite son mépris sur toute la branche catholique du christianisme qui aura tenté de s'y intéresser. Alors oui, Kierkegaard a été un philosophe chrétien et protestant, c'est totalement incontestable au vu de tous ses écrits religieux - qu'il signera de son propre nom, contrairement à ses ouvrages philosophiques qui seront tous griffés d'un pseudonyme. Il est un philosophe chrétien qui aura pensé toute sa vie et toute sa philosophie en chrétien, les notions de foi, de péché et de tête à tête avec Dieu sont présentes dans chacun de ses textes, mais de là à interdire à tous ceux qui ne parcourent pas la droite ligne que constitue le chemin du protestantisme de se revendiquer de Kierkegaard, il y a là un pas que l'auteur ne se contente pas de franchir, mais qu'il saute à pied joint, la bouche en coeur et prêt à rebrousser chemin juste pour pouvoir le sauter à nouveau.


Ne vous trompez pas, cet ouvrage est très instructif et constitue une porte d'entrée idéale dans la pensée kierkegaardienne, mais c'est à condition de garder à l'esprit l'identité de l'auteur qui érige cette porte d'entrée. Bien qu'au final, m'attendant à une pensée synthétisée, j'ai eu droit à une sorte de biographie du danois, dans l'espace de son temps, qui annonce sa philosophie, la lecture n'en a pas été moins intéressante ou instructive quant à sa pensée. Tout cela est écrit dans un style agréable qui se met au service de l'objectif du livre. A lire si Kierkegaard vous intéresse, bien que j'avoue avoir été très horripilé par les quelques tares de l'auteur dont je vous ai donné un aperçu.
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Spinoza n'est qu'un tuberculeux, Nietzsche n'est qu'un paralytique général, Van Gogh n'est qu'un épileptique, celui-là a aimé sa mère d'un amour coupable, et cet autre présente tous les stigmates du parricide en puissance. Le plus détraqué de tous doit être en pareil cas le médecin des morts, qui s'imagine avoir déchiffré le secret du génie. Mais le secret ne se trouve pas dans telle ou telle malformation congénitale, - et chaque homme, sans exception, porte de telles malformations. Le génie s'affirme dans l'usage que tel homme entre tous fait de sa propre écharde dans la chair, dans le sursaut qui lui permet de surmonter sa misère, pour en tirer une exemplaire leçon d'humanité.
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Il y a, à Copenhague, une Avenue Kierkegaard. Je m'y promenais un jour avec un Danois cultivé, et comme je me réjouissais de ce qu'on ait donné le nom du penseur à une si grande artère : "Ne vous y trompez pas, me dit mon compagnon, ce n'est pas ici l'Avenue Kierkegaard, c'est l'Avenue du Cimetière"... Le nom propre est aussi un nom commun, et le mot Kierkegaard  évoque, pour le Danois moyen, le cimetière, et non pas Kierkegaard.
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Témoin de la Réformation, Kierkegaard est aussi un témoin de notre temps, et c'est sans doute ce qui explique l'audience qu'il conserve un siècle après sa mort. La farouche revendication chrétienne de Kierkegaard s'inscrit dans la perspective de la déchristianisation inexorable de l'Occident. Kierkegaard l'a pressentie en un temps où les chrétientés de toutes obédiences étaient encore fort loin d'imaginer la possibilité de la mort de Dieu. Pendant la période médiévale, la Révélation est la mesure du monde ; toutes les structures intellectuelles, politiques, artistiques, économiques et sociales s'ordonnent par rapport aux rythmes des liturgies chrétiennes. Mais peu à peu, les dimensions humaines échappent au contrôle de la foi, et s'organisent selon des normes indépendantes. Le XVIII e siècle voit triompher l'exigence rationnelle, et le XIX e siècle consacre, par delà la révolution française, l'avènement des masses. Philosophies de l'histoire, philosophies de la culture, philosophies sociales investissent de tous côtés la conscience humaine ; la réalité personnelle n'est plus un lieu de vérité. L'âme, dernier refuge de l'espérance chrétienne, se trouve forcée dans ses retranchements, réduite désormais à l'intellect rationnel ou aux indications de l'esprit objectif. Au bout de cette déchristianisation de l'âme, il ne reste plus rien à l'homme, parce qu'Il ne reste plus rien à Dieu.

Tel est le sens de la protestation de Kierkegaard contre Hegel, qui, en réalité, symbolise à ses yeux l'air du temps. Mais le pire est ici que l'Église elle-même s'est laissée séduire par les idées régnantes ; elle a adopté le style des philosophies de la culture et des philosophies sociales ; elle est en train de transformer sa foi en une philosophie de la religion. Elle se détourne de sa fonction, qui est de sauver les âmes ; elle se consacre de plus en plus à une pédagogie de masse, qui considère en gros le peuple chrétien. En s'établissant dans l'ordre social, l'Église oublie le christianisme pour se contenter d'une sociologie. Et le christianisme social n'est plus un christianisme chrétien. Le surnaturel, de plus en plus, se réduit au naturel, à l'humain trop humain.

Ainsi se justifie la nécessité de défendre la cause de l'individu. Kierkegaard souligne cette fonction du christianisme qui est d'affirmer la valeur infinie de la destinée humaine. Dans l'individu se réalise la conjonction du temps et de l'éternité. Et l'individu, de par son caractère sacré, demeure irréductible à tout traitement de masse. Seule la foi en l'incarnation de Dieu dans le Christ donne un fondement inébranlable à la réalité humaine. (pp. 112-113)
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(Le 2 octobre 1855 S. Kierkegaard se fit transporter à l'hôpital Frederik où il mourut le Il novembre suivant. Les conversations qui suivent datent de cette époque et nous sont rapportées par Emil Boesen, alors pasteur à Horsens, qui rendit presque journellement visite à son ami.)

– Comment vas-tu ?

– Mal ; c'est la mort. Prie pour qu'elle vienne vite et me soit favorable. je suis triste. J'ai mon écharde dans la chair, tout comme l'apôtre Paul. Elle m'a empêché d'entrer dans la vie ordinaire, comme tout le monde. J'en ai conclu que ma tâche demeurait hors de l'ordinaire. J'ai cherché à l'accomplir avec toute la conscience possible. J'ai été un jouet entre les mains de la Providence. Elle m'a pris et m'a lancé au large. J'ai été son instrument. Quelques années se sont écoulées. Puis, brusquement, la même Providence étend la main et me fait entrer dans l'Arche. Tel est le sort, telle est l'existence des envoyés extraordinaires.
(...)
– Ne te reste-t-il point encore quelque chose à dire ?

– Non, mais porte mon salut à tous les hommes. Dis-leur que je les ai tous beaucoup aimés et que ma vie est une grande souffrance inconnue, incompréhensible pour autrui. Elle a eu l'apparence de l'orgueil et de la vanité, mais ce n'était qu'une apparence ; je ne suis pas meilleur que les autres, loin de là. Je l'ai toujours soutenu et affirmé ; j'avais mon écharde dans la chair ; c'est pourquoi je ne me suis pas marié et n'ai pu prendre mes fonctions. Je suis candidat en théologie, j'aurais pu accéder à un poste officiel. Et, avec mes relations personnelles, j'aurais pu obtenir tout ce que je voulais. Au lieu de tout cela, je suis devenu l'exception. Ma journée se passait dans une atmosphère de tension et de travail, le soir j'étais remisé dans un coin. C'était ça, l'exceptionnel.

Lorsque je lui demandai s'il pouvait prier en paix,

– Oui, répondit-il, je le peux. J'implore d'abord la rémission des péchés - que tout me soit pardonné ; puis je demande que le désespoir dans la mort me soit épargné. Et cette expression – mais comment dit-on au juste ? - que la mort doit être agréable à Dieu – me vient souvent à l'esprit. Enfin, je demande une chose qui me tient très à cœur : qu'il me soit permis de connaître un peu à l'avance l'heure de la mort. (pp. 160-163)
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La pensée existentielle se refuse à réduire l'individu concret à cette épure géométrique ; pour elle, la vie individuelle est un tout, où l'entendement joue le rôle d'une fonction parmi les autres. Le cogito du philosophe donne congé à la réalité humaine ; la description des stades essaie au contraire de la comprendre selon sa diversité, de retrouver du dedans les justifications de l'être humain, dans la diversité des situations qu'il affronte. C'est pourquoi Kierkegaard préfère la voie d'approche du romancier, attentif à la plénitude concrète de l'individu dont la vie se déploie parmi les hommes et paysages du monde réel, et non dans l'univers du discours des métaphysiciens strictement axiomatisé selon les normes géométriques.

Kierkegaard lui-même résume sa pensée sur ce point dans quelques lignes denses, à la fin des Stades sur le chemin de la vie : « Il y a trois sphères d'existence : esthétique, éthique, religieuse. Le métaphysique est l'abstraction, et nul n'existe métaphysiquement. Le métaphysique, l'ontologie est, mais n'est pas de fait, car lorsqu'il est donné, c'est dans l'esthétique, l'éthique, le religieux (). La sphère éthique n'est qu'une sphère de passage ( ). La sphère esthétique est celle de l'immédiateté ; la sphère de l'éthique, celle de l'exigence (et tellement infinie que l'individu fait toujours faillite) ; la sphère religieuse, celle de l'accomplissement (). De là cette contradiction religieuse où l'on est audessus de soixante-dix mille brasses et pourtant joyeux. (p. 80)
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