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3,69

sur 157 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
En sortant de l'église Saint-Louis-des-Français, après avoir admiré encore une fois, les tableaux de la chapelle Contarelli, une petite étape à la librairie française me fait découvrir ce livre de Yannick Haenel, avec en première de couverture un détail de Judith et Holopherne, la belle Fillide Melandroni, modèle de Judith et de Madeleine. Comment résister?

Il faut lire lentement cette magnifique vision caravagesque qu'offre à ses lecteurs Yannick Haenel, partant de ses fantasmes d'adolescent devant le visage et la poitrine tendus de Judith -- mais il ignorait alors à quelle action mystérieuse elle se livrait -- pour trouver son aboutissement à Malte devant la Décollation de Saint-Jean Baptiste, avec cette unique signature de sang que laisse le Caravage, au temps proche de la fin de sa trop courte vie.

Et tout au long de ce livre, le lecteur découvrira la densité de la vie de cet artiste extraordinaire, en cheminant en compagnie de Yannick Haenel à la recherche de la vérité, celle qu'il trouve entre ombre et lumière, entre le rouge et le noir des tableaux du Caravage.

Bien plus qu'une énième biographie du peintre, Yannick Haenel entraîne ses lecteurs dans une méditation où l'érotisme, le profane, le dissolu côtoient le mystère, le sacré, dans une quête mystique de l'auteur pour atteindre Dieu, comme il pense que le Caravage l'a fait à travers ses peintures de Lazare, de la Vierge, de Sainte-Catherine, Saint-Matthieu, sur le chemin d'Emmaüs ou dans les bas-fonds de Rome, Naples, Malte.

Idéalement lu avec à proximité un autre livre permettant de visualiser les tableaux cités, le texte de Yannick Haenel permet au lecteur de sentir le parfum des corbeilles de fruits caravagesques, de percevoir l'érotisme des angelots et surtout de la troublante Judith qui vous fait courir aussitôt au Palazzo Barberini afin de s'imprégner encore de cette lecture que l'on voudrait ne jamais terminer et qui reste en mémoire pour être parcourue encore à la première occasion de voir ou revoir une ou plusieurs des oeuvres de l'immense Caravage.
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Caravagio ! Caravagio ! Caravagio !

Son seul nom évoque le voyage, le croisement des épées, la rue, les prostitués et les voyous de Rome. le Caravage est tout cela, mais il est aussi un cri ; celui d'un marginal, artiste maudit avant Baudelaire, Van Gogh ou Camille Claudel, dont le regard nous plonge dans les ténèbres pour y trouver le salut. C'est cela que nous raconte Yannick Haenel dans son ouvrage publié chez Fayard.

La plume subtile et riche de Yannick Haenel nous livre l'histoire du peintre italien né à la fin du XVIème siècle. L'intérêt de la vie est d'aller au-delà de ce qui est lisible ; la recherche de la vérité. Ainsi, lancé dans cette quête, Haenel passe d'un tableau à l'autre, les inscrit dans la vie de l'artiste et livre son interprétation avec passion.

« Il y avait un fauve là-dedans. »

Tout commence par un Caravage équivoque, passionné et incontrôlable, tel un feu follet emporté par son propre génie et qui se ressource à force de beuveries dans les tavernes et les mauvaises fréquentations des ruelles les plus sombres.

Qu'a-t-il de si extraordinaire, ce jeune arrogant ? C'est qu'il peint autrement ces sujets que tant d'autres artistes ont produit avant lui. le Caravage détourne et se moque. Il présente des corps dont « l'éclat sauvage » crée une tension nouvelle et inégalée. Son trait est brillant, révolutionnaire.

« L'ivresse est une éthique. »

Pour obtenir un tel résultat, son travail est intense. Aussi le peintre, consommé de l'intérieur, brûle la nuit son existence dans la débauche, jusqu'à un crime qui l'entraînera dans l'exil jusqu'à La Valette.

Incapable de rentrer dans le rang, malgré ses efforts, il dérape. Poursuivant ses frasques, Caravage continuera de peindre et devra échapper aux émissaires des Chevaliers de Malte. Son travail devient plus profond et sombre jusqu'à sa mort en 1610. L'artiste génial consumé par son oeuvre (soixante tableaux) et son humanité déchirée est jeté dans une fosse commune, loin de ses mécènes et admirateurs, misérable et paria.

« En usant mes yeux la nuit sur ce corps désiré, je mettais le feu à ma vie — ça s'était allumé, ça n'en finirait plus. »

Ce livre raconte aussi la manière dont Haenel a découvert et vécu avec Caravage. Comment, adolescent, il découvre un visage, celui d'une femme et elle devient l'objet ses fantasmes sans qu'il connaisse l'identité du peintre ni le tableau d'où ce beau visage était tiré. Quel malentendu ; plusieurs années après, il tombe sur un tableau du peintre, où il reconnait sa belle. Elle se nomme Judith. La voilà qui trucide froidement et tranche la chair d'Holopherne. Son amour de jeunesse est donc une tueuse ! Il apprendra plus tard que le modèle est une courtisane pour laquelle le peintre commettra (peut-être) son crime.

Qui aime Caravage l'aime absolument. Ses toiles sont comme des cailloux blancs qui traversent la vie de Haenel. Ce livre est aussi celui de son obsession pour le peintre italien. Sa fascination est telle qu'il est capable de parcourir l'Europe sur un coup de tête pour une exposition pour contempler les toiles originales. Il déchiffre, compare, organise un dialogue entre toutes ces oeuvres, analyse chaque coup de pinceau, chaque ride, tel détail sur un fruit, l'agencement des corps, la draperie rouge, la transparence d'un vase, la forme d'un noeud.

« On était invité brutalement entre Dieu et le néant. »

Mais que peut trouver Haenel dans ces tableaux de Caravage qui mérite autant d'attention ?

C'est que ces oeuvres ne sont pas une simple représentation de la vie à travers telle ou telle scène fameuse ou tel portrait. Non, Haenel y trouve une réalité plus authentique que la vie elle-même, un message dont la nature va changer au fil des tribulations d'un Caravage de plus en plus violent, en quête d'anéantissement. le noir dans son oeuvre n'est pas une fin en soi, ou juste une esthétique, mais plutôt il dévoile un itinéraire, une quête du spirituel et de vérité. La révélation de l'invisible.

« Dieu n'est pas puritain. »

Caravage n'est pas qu'un peintre, il est sa peinture. Et quand il plonge dans les ténèbres de la débauche et du crime, le noir profond de ses tableaux espère cette lumière du Christ qui vient trancher comme une épée de feu. La bouche ouverte du Caravage, sujet de ses tableaux, est l'effarement de l'homme devant ses failles.

Sa peinture se nourrit d'une vie pleine, dangereuse et inconvenante. Elle sait la violence de notre humanité et tout son tourment. Elle nous révèle que l'homme est à la fois bourreau, témoin et martyr et que toute existence est dramatique, tout autant qu'elle peut être sublime.

Hors la nuit, la peinture est factice. En quête de sens et d'absolu, Caravage transgresse les conventions. Il rejette la morale. Il emploie son feu intérieur, hanté par son crime, pour mieux s'abandonner au rédempteur, ce Christ qui en premier a traversé l'obscurité de la mort.

Voilà pourquoi un autre titre aurait pu tout aussi bien aller à ce splendide ouvrage et hommage de Yannick Haenel : La passion Caravage.

Thomas Sandorf

Merci à Netgalley et aux Editions Fayard qui m'ont permis de découvrir cet auteur et ce très précieux livre.
Lien : https://thomassandorf.wordpr..
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Très gros coup de coeur ! La passion de Yannick Haenel pour Caravage est touchante. Je suis moi aussi allée à l'expo du Jacquemart André et à Milan pour l'expo Dentro Caravagio, je ne peux que regretter de ne pas y avoir croisé Yannick Haenel, pour partager cette passion commune. Sa fabuleuse écriture nous emporte dans son émotion. On en redemande !
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L'art du critique d'Art...
De quoi s'agit il ? de l'auteur Yannick Haenel ou du peintre le Caravage ?

J'ai lu quelques critiques de ce livre faites par mes camarades Babelio , plusieurs d'entre eux insistent sur l'écriture passionnée de l'auteur , ses emportements mystiques, ses envolées lyriques… ce n'est pas particulièrement flatteur pour l'auteur, le but n'est pas atteint , le lecteur regarde l'écriture à distance mais ne souscrit pas. Yannick Haenel parle de sacré, le mot n'est plus en vogue, mais, des chevaux des grottes de Lascaux jusqu'à aujourd'hui, le sacré n'a pas disparu, les mystères ont changé de formes mais le questionnement demeure.

Le critique d'art opère de la même manière que le critique littéraire, parle t'on de Proust sans parler de sa mère , de Céline sans parler de sa médecine... Haenel démarre bien son livre, il fait le récit de ce portrait de Judith qui le hante à 15 ans et poursuit avec sa vie réelle dans les galeries romaines, on accroche tout de suite , une peu dommage qu'il ne continue pas sur le même mode .

Pourquoi s'intéresser à une oeuvre ? Haenel le dit sans honte: “je ne me suis jamais intéressé à une nature morte, celles de Chardin me plaisaient mais avant tout parce qu'elle plaisait à Proust…”
Un souvenir personnel d'un cours d'art plastique ou le prof découvrait devant nos yeux de 16 ans la reproduction d'une nature morte de Zurbaran : “Nature morte aux citrons et oranges avec une rose” de 1633, la description qu'il en fit nous mena tous plus ou moins à l'éblouissement. le contact a eu lieu , je fus sensibilisé définitivement aux natures mortes..

“La Corbeille” du Caravage , même chose, une peinture extraordinaire, regardez là bien, ce n'est pas une question de bien peint ! on s'en fout , ce n'est pas la ressemblance non plus avec la réalité, imaginez une photo du même panier avec les mêmes fruits, bof ! plat ! Je suis rentré dans ce tableau par la reconnaissance immédiate de la feuille de figuier racornie, j'ai les mêmes dans mon jardin. (l'acuité de l'oeil du Caravage)
Mais écoutons Haenel: “Dans La Corbeille rien ne manque, l'accomplissement s'y accomplit. Quelque chose vibre à travers ces nuances qui nous donne le LA de toute présence...Le Caravage n'a- t -il pas déclaré que peindre un tableau de fleurs et de fruits lui coûtait autant de travail qu'un tableau de figures, ce qui chaque fois est en jeu dans une oeuvre du Caravage relève du coup de dé” … “J'ai les doigts collants quand je regarde cette corbeille. L'oeil est mûr. le soleil fait du vin … J'en ai disposé une petite reproduction à mon chevet si bien qu'en me réveillant c'est elle que je regarde en premier. La faveur dort à mes côtés. le favorable est la dimension de l'amour”.

A ceux qui trouve Haenel passionné, trop passionné et n'adhère pas , voulez vous l'entendre sur les lignes géométriques du tableau.. du liant au blanc d'oeuf et des pigments….

Haenel fait fort dans sa description de Judith et Holopherne ”en fixant son chemisier humide de sueur, je devinais la pointe durcie de ses seins...le corps de cette femme m'ouvrait à un avenir sensuel.. il me captivait et en la contemplant je reprenais vie…” . “En feuilletant des livres des oeuvres du Caravage, je faisais connaissance avec un monde à la fois très ancien et très neuf ou vie et mort se mêlent en un mystère d'abîme."

Enfin le tableau de “La conversion de St Paul” , on voit d'abord un immense cheval et un homme à terre, puis un enchevêtrement de pieds et de sabots, le peintre aux pieds sales disait -on du Caravage. A terre l'homme, officier romain, est le persécuteur des juifs, devenu aveugle à l'instant. Tout autour un fond noir. Haenel pour comprendre se penche sur les Actes des apôtres: “Saül se releva de terre mais quoiqu' il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien, en ne voyant rien, c'est bien le néant qu'il voit - et en voyant le néant il voit Dieu.
Bref, dit Haenel” il n'y a pas d'action dans ce génial tableau du Caravage...être témoin de ce néant c'est devenir saint. Dieu ne peut pas être vu.. La défaillance est parfois profitable; en elle s'ouvre un accueil. Paul recouvre la vie lorsqu'il consent à faillir”

Yannick Haenel explique sa démarche d'observateur.. “En écrivant ce livre, je cherche à préciser une émotion. Ce qui n'est pas précis existe à peine, il faut que les mots trouvent leur chair. le monde est un nid de détails; et si nous ne parvenons pas à désigner ces étincelles sensuelles, non seulement elles nous échappent, mais elles appauvrissent notre désir, qui peu à peu s'efface… et bientôt inexistant “
Oui, un excellent bouquin de critique d'art sur un peintre oublié pendant deux siècles.





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Yannick Haenel est un auteur que j'adore. le livre "La solitude Caravage", qu'il a fait paraître en 2019, est un petit bijou. Il y décrit sa passion dévorante pour l'oeuvre du grand peintre italien. Cette passion naît à l'adolescence, période pendant laquelle le jeune Yannick se morfond dans un pensionnat sinistre. Il se réfugie dans les livres et découvre un jour la beauté vénéneuse d'une femme peinte au XVIè siècle par le Caravage. Il s'agit d'une figure biblique, celle de Judith. Cette image l'ensorcelle, lui fait connaître ses premiers émois érotiques. Dans de courts et passionnants chapitres, l'auteur tente de percer les secrets du génie. Yannick Haenel sait merveilleusement partager l'amour qu'il porte à ce peintre en quête d'absolu. La vie incroyablement romanesque du Caravage (plusieurs fois emprisonné, courtisé par les plus grands princes de son époque...) est passionnante mais c'est surtout la force de son art qui est mise en avant. L'auteur nous offre une réflexion passionnante l'acte de création.
Lien : http://inthemoodfor.home.blog
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L'auteur donne vie à l'oeuvre du Caravage, c'est passionnant, à travers ses descriptions la toile devient récit, on entre dans la toile comme on lit un roman, les personnages et les situations évoqués ont une force incroyable magnifié par l'ombre et la lumière.

Le chapitre 41 est splendide et résume la passion de l'auteur pour Caravage. La violence des tableaux illustre le caractère bouillonnant du peintre.

Si vous avez la chance de visiter Rome ne manquez pas les églises de St Louis des Français, St Agostino et bien d'autres, vous y verrez ces fameux Caravage.

Ce livre vous offrira une lecture intense , l'auteur du livre vibre face à ces tableaux.
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Alors qu'il était âgé d'une quinzaine d'années l'auteur a un véritable coup de foudre pour une figure de peinture aperçue dans un livre...Il s'agit du visage de Judith (décapitant Holopherne) peinte par le Caravage. Image pourtant parcellaire qui sera le début d'une folle passion.
Avec beaucoup de maestria Yannick Haenel nous offre une lecture très personnelle d'un peintre halluciné et hallucinant, le Caravage entre lumière et ténèbres, damnation et rédemption. L'auteur nous fait partager ses émotions autant que son érudition. Émotion que l'on ressent dans chaque phrase, chaque mot. Un récit très bien écrit, pas toujours facile mais qui propose une belle réflexion sur l'homme en général, ses désirs, ses pulsions ainsi que sur le mal.
Passionnant...
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La sensibilité de Yannick Haenel manifestée dans "La Solitude Caravage" pour cette ténébreuse peinture est, à certaines pages, portée à l'incandescence. Grâce à cela, la découverte des oeuvres du peintre italien s'avère un parcours somptueux. Au moment de refermer cette lecture, j'avais déjà commandé l'oeuvre complet chez Tashen.

Le livre de Haenel ne dispose pas d'illustrations, pas plus en Fayard broché qu'en Folio. S'il est assez facile d'accéder aux toiles du Caravage sur Internet, on peut regretter cette frilosité des éditeurs, alors que certains Folio – je pense aux "Histoires de peinture" de Daniel Arasse – proposent un petit dossier d'images. de même, un index des oeuvres qui renvoie au texte aurait été pratique.

Le récit révèle la nature intime de la relation que l'écrivain français entretient avec les tableaux du Caravage au point qu'on croit d'abord à une autobiographie, lorsqu'il décrit initialement sa fascination sensuelle pour le portait de Judith (couverture ci-dessus) durant son séjour au Prytanée militaire. le tableau entier de la décapitation de Holopherne ne lui sera révélé que plus tard, à Rome, entraînant un épisode amoureux navrant à Rome. Il s'écoulera trente-cinq ans entre la Judith de jeunesse au Prytanée et une autre révélation devant "La décollation de saint Jean-Baptiste" qui clôt le récit : l'auteur confie que chacune des phrases de son livre paraît avoir été écrite "pour s'approcher du sacrifice qu'il met en scène ; chacune tourne autour de son office ténébreux et s'efforce d'en recueillir le mystère". Entre ces deux moments, le lecteur apprend à habiter la peinture du Caravage grâce à cette ferveur littéraire.

Les cinquante-quatre chapitres s'attachent plus aux oeuvres qu'à détailler la vie du peintre dont le peu qu'on en sait est néanmoins fidèlement rapporté. L'époque est lointaine, mais il y a des rapports de police liés aux forfaits commis par l'artiste turbulent. Il existe même un inventaire d'objets produit à l'occasion d'une saisie : on y note des boucles d'oreilles, peut-être celles prêtées à Judith, perle et ruban noir, observées aussi aux côtés de la Madeleine repentante ? Caravage était un oiseau de nuit, violent et querelleur. Un meurtre lors d'une rixe à Rome finira par en faire un perpétuel fugitif (Naples, Malte, Sicile), bien qu'il continue à peindre, sollicité pour son génie. Il meurt à 39 ans d'une septicémie.

On est emporté par "La corbeille de fruits" en lisant ce qu'en écrit Yannick Haenel. On ne regarde plus la toile avec les mêmes yeux, la "vérité du réel" suscite une brèche qui révèle un abîme et les fruits sont un éblouissement : "J'ai les doigts collants quand je regarde cette corbeille. L'oeil est mûr. le soleil fait du vin. Il paraît que le Caravage ne connaît pas la nature : laissez-moi rire. Si vous n'avez jamais vu une corbeille méditer, courez à Milan."(p 151)

Nombreuses sont les oeuvres du Caravage où peinture et mystère se rejoignent. Haenel établit une convergence du Caravage et du Christ : l'analyse de tableaux tel que "L'arrestation du Christ" (l'impossible proximité du Caravage, à distance sur la droite) et "La résurrection de Lazarre" (le peintre, mains jointes, seul personnage tourné vers Jésus) sont significatives de ce qui habite l'artiste, troublé et en fuite à l'époque du second. L'on y voit l'expression de la solitude du Caravage, tout ce qui, en même temps, le sépare et le rapproche de la lumière. Mais il peint : "... sa main, dans l'ombre, trace de brusques lueurs qui, en fouillant l'épaisseur du péché, scintillent à la recherche de la grâce". (p 288)
Yannick Haenel est l'un des initiateurs de la revue "Ligne de risque" qui se propose, entre autres, de "penser le néant". Alors que l'époque est celle de la marchandise, y compris en littérature, alors que "le monde s'efface à mesure que ses couleurs trempent dans une indistinction qui est la véritable agonie de l'humanité"(p 311), on comprend la démarche résolument spirituelle entreprise dans "La solitude Caravage".
Si les mots sur cette peinture confinent à la démesure, si le discours a des accents mystiques, l'auteur assume ses phrases : "... elles semblent partir dans des directions qui m'échappent, et je ne les reconnais pas toujours ; mais je les laisse faire, car il me vient avec elles l'espérance qu'en se perdant elles parviennent à s'éclairer d'une lumière qui n'est pas seulement raisonnable, à glisser vers je ne sais quoi de plus ouvert que leur sens, à entrer dans un pays plus inconnu encore que la poésie, où la vérité fait des apparitions étranges, comme s'il existait encore autre chose que la nuit et le jour, un temps qui échappe à leur contradiction, qui n'a rien à voir avec leur succession, qui défait le visible en même temps que l'invisible. La peinture a lieu ici, à ce point d'éclat où l'on ne s'appartient plus, [...]." (p 288-289).

Une littérature qui se veut à la mesure de la peinture qu'elle dit. Laissant de côté l'analyse technique et les considérations de l'histoire de l'art, c'est, au fond, un livre d'amour.

Merci à "Babelio" (opération Masse critique) et "Gallimard" pour le service presse.
Lien : https://christianwery.blogsp..
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C'est entendu. le Caravage est un génie. Et Yannick Haenel en est un admirateur éperdu. L'artiste a fait irruption dans sa vie alors que l'écrivain était âgé de 15 ans. Il feuillette un livre de peinture italienne lorsque Judith lui apparaît, procurant chez lui un émoi tel que seul un adolescent, peut-être, peut en connaître. L'ouvrage ne présente qu'un détail du tableau : il ignore la besogne à laquelle la jeune femme est en train de se livrer. Qu'importe. Sa beauté le hante et il retourne constamment vers elle. Il en est tellement épris qu'il finit par découper la page du livre pour pouvoir conserver ce portrait auprès de lui.

Parvenu à l'âge adulte, bien qu'il ne soit plus en possession de cette image et qu'il n'ait jamais su qui en était l'auteur, le souvenir de cette femme et du trouble qu'elle suscita reste vif. Jusqu'au jour où il la revoit, au palais Barberini, à Rome. Lui apparaît alors ce qu'elle est en train d'accomplir. La révélation d'Eros et Thanatos le foudroie.

Au-delà du vertige de la beauté, il veut cerner la nature de l'émotion, entrevoir l'origine de l'éblouissement. Par ses mots, à travers ce feu qu'est aussi l'écriture, il veut tenter de circonscrire ce qui semble échapper à l'entendement.

Du Caravage Yannick Haenel connaît à présent et les oeuvres et la vie. Il sait les rixes, il sait le désordre des nuits, il sait la fréquentation des prostituées, il sait les amours avec des hommes, il sait en somme ce qu'il nomme le folklore de sa vie. Tout ce qu'on présente de l'artiste et qui jette bien souvent un voile sur son oeuvre. Mais ceci ne révèle pourtant rien de l'intensité de sa vie ni du secret de sa personne ou du mystère de la création.
Or c'est bien cette part la plus intime que cherche à saisir Haenel en écrivant cette insolite biographie entendant se moquer des accidents d'une existence. Ceux-ci, loin d'éclairer l'oeuvre, ne seraient au contraire que de lointaines manifestations du feu qui brûle l'artiste lorsque sa main tient le pinceau : « Seules comptent les heures passées face à la toile, face à la page blanche ; seul cet excès, bien plus fou que toute beuverie, plus enivrant que toute orgie, plus profond que tout dérèglement, atteint cette radicalité qui est au coeur de l'art et vous ouvre à la vérité. »

Le Caravage est sans doute l'un des artistes à être allé le plus loin dans ce don inconditionnel de soi, dans cette manière de vivre l'exigence de l'art qui seule permet d'échapper à l'état de servitude imposé par la condition humaine.

Une fois qu'on a compris cela, les événements biographiques invitent à une autre lecture de l'oeuvre, celle à laquelle se livre Haenel. Une lecture passionnante et d'une très grande acuité. Parfois, je le concède bien volontiers, il arrive que l'écrivain nous perde quelque peu, tant sa quête aborde d'insondables horizons... C'est sans doute que ses questionnements ne sont pas du même ordre que les nôtres. L'écrivain établit en effet un parallèle entre le geste pictural et celui de l'écriture. Il opère un phénomène d'identification qui, naturellement, nous échappe. Mais il nous oblige aussi à reconsidérer notre propre rapport à l'art et à interroger le regard que nous posons sur l'artiste. Et sa lecture des tableaux du Caravage, les relations qu'il établit avec les éléments biographiques sont absolument passionnantes et jettent sur cette oeuvre immense, et plus généralement sur le processus de création, un éclairage tout à fait fascinant.

Sachez enfin que cet ouvrage se lit son ordinateur ou une monographie de l'artiste à portée de main. Car, et ce n'est pas là le moindre des bonheurs qu'il nous offre, il invite constamment à aller découvrir ou redécouvrir les tableaux qu'il nous présente avec tant de finesse et d'intelligence. Se conjuguent ainsi l'incommensurable beauté de l'art pictural du Caravage et celle tout aussi envoutante de l'art littéraire qu'est celui de Yannick Haenel.
Lien : https://www.youtube.com/chan..
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Le roman est une ode au pouvoir libérateur de l'art, un adolescent s'élève grâce à un livre, grâce à une image, une peinture, un visage de femme.

Après avoir alimenté son évasion mentale et éveillé ses sens, cette image « extirpée » accompagnera l'initiation au Caravage.

À Rome la découverte du tableau, de Judith et Holopherne montre l'objet de son désir dans son contexte tout cela le surprend et pourtant lui donne envie de tout lire sur l'artiste.

Nous traversons en suivant les oeuvres du peintre sa vie, son talent, sa lumière et son caractère obscur, sa fin prématurée et l'héritage qu'il laisse.

Caravage sonne un coup de tonnerre dans l'Europe de la peinture et ce roman est un coup de foudre pour moi.

Une envie soudaine de visiter ou revoir Saint-Louis-des-Français vous prendra une fois absorbés par la passion que l'auteur sait partager, les demandes de stage à la Villa Médicis pourraient aussi enregistrer une augmentation cette année pour la même raison !

Le livre que je définirai comme une sorte de « philosophie du Caravage » se lit avec plaisir.

Je trouve ce récit exquis, une perle délicate comme celle des boucles d'oreille de Judith.
Lien : https://blog.lhorizonetlinfi..
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