— Je t'avais bien dit qu'elle refuserait de nous aider.
— De vous aider à quoi ? Vous ne m'avez rien expliqué.
— Nous ferions peut-être mieux de tout lui raconter, intervint Inger d'une agréable voix de basse.
Ruebens prit une profonde inspiration.
— Très bien. (Il se rassit.) La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, j'étais membre d'Humains Contre Vampires.
Je hochai la tête pour l'encourager à continuer.
— Depuis, j'ai fondé un nouveau groupe, Les Humains d'Abord. Nous visons les mêmes objectifs que HCV, mais avec des méthodes un peu plus directes.
Je le fixai en silence. L'objectif principal de HCV était de rendre le vampirisme illégal, pour pouvoir traquer les morts-vivants comme des animaux. Moi, ça me convenait. Autrefois, j'étais chasseuse de vampires. Maintenant j'avais le titre d'exécutrice agréée.
Faute d'un mandat d'exécution contre un vampire, je pouvais être accusée de meurtre si je l'éliminai. Pour obtenir ce mandat, quelqu'un devait prouver que le vampire en question était un danger pour la société. Autrement dit, il fallait attendre qu'il ait tué des gens. Alors que dans le temps — le bon vieux temps —, je pouvais massacrer à vue tous les morts-vivants sans rendre de comptes à personne.
— Que signifie au juste « des méthodes un peu plus directes » ?
— Vous le savez bien, répondit Ruebens.
— Non, je ne le sais pas, mentis-je.
Je voulais l'entendre de sa bouche.
— HCV n'a pas réussi à discréditer les vampires dans les médias ou le monde politique. Les Humains d'Abord se contenteront de les détruire tous.
Je souris par-dessus le bord de mon mug.
— Vous savez que c'est considéré comme un meurtre ?
— Vous avez déjà tué des vampires. Pensez-vous réellement que c'en soit un ?
Ce fut mon tour de prendre une grande inspiration. Quelques mois plus tôt, j'aurais répondu « non » sans hésiter. Mais à présent...
— Je n'en suis plus si certaine, monsieur Ruebens, avouai-je.
J'avais du sang de poulet séché sous les ongles, sur le visage et sur le dos des mains. Inévitable quand on relève les morts pour gagner sa vie. J'avais essayé de nettoyer le plus gros avant de me pointer au rendez-vous mais, pour bien faire, il aurait fallu que je prenne une douche.
Sirotant mon café dans mon mug personnalisé sur lequel était écrit : « Prenez-moi la tête et subissez-en les conséquences », j'observais les deux hommes assis en face de moi.
M. Jeremy Ruebens était petit et maussade. Je ne l'avais jamais vu autrement que contrarié ou en train de gueuler. Ses yeux, son nez et sa bouche étaient massés au milieu de son visage comme si une main géante les avait collés ensemble avant que l'argile finisse de sécher.
Ses mains exécutaient toujours le même manège, lissant successivement les revers de son manteau, sa cravate bleu marine et le col de sa chemise blanche avant de se poser sur ses genoux quelques instants et de recommencer. Je me donnais encore cinq tours complets avant de hurler et de lui promettre tout ce qu'il voudrait.
Mon second interlocuteur s'appelait Karl Inger. C'était la première fois que je le rencontrais. Il mesurait un peu plus d'un mètre quatre-vingts. Ses cheveux roux bouclés encadraient un visage placide ; d'énormes favoris se prolongeaient par les moustaches les plus touffues que j'aie jamais vues. À l'exception de ses cheveux, tout chez lui était impeccablement net. Peut-être n'avait-il pas eu le temps de se faire un brushing ce matin-là.
— Pourriez-vous découvrir l'adresse du maître ? demanda Inger.
— Probablement, mais je ne vous la donnerais pas.
— Pourquoi ?
— Parce qu'elle fricote avec lui, déclara Ruebens.
Décidément, il aimait bien ce mot.
— La ferme, Jeremy !
Ruebens ouvrit la bouche pour protester, mais Inger insista :
— Pour notre cause.
Ruebens ravala sa colère. Je vis qu'il manquait s'étrangler avec.
— Pourquoi, mademoiselle Blake ? répéta Inger, l'air très sérieux.
— J'ai déjà tué des maîtres vampires, mais aucun avec un pieu.
— Comment, alors ?
Je souris.
— Si vous voulez des leçons de chasse aux vampires, vous vous êtes adressés à la mauvaise personne. Répondre à vos questions pourrait me faire accuser de complicité de meurtre.
— Si nous avions un meilleur plan, nous aideriez-vous ?
J'y réfléchis quelques instants. Sans aucun doute, la disparition de Jean-Claude me faciliterait la vie. Et pourtant...
— Je ne sais pas.
— Pourquoi ?
— Parce que je crois qu'il vous tuerait. Je ne livre pas d'humains aux monstres, monsieur Inger. Pas même les humains qui me détestent.
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