« Nous, les indomptables » de Yuval Noah Harai, est le premier volume d'un quatuor de livre qui désirent raconter l'incroyable histoire humaine au jeune public.
Ce livre s'inscrit dans le mouvement « Big History » qui vise à faire tomber les barrières entre l'histoire et la science pour former un grand tout. Il fait partie de cette nouvelle vision du monde qui cherche à mettre en perspective l'histoire de l'humanité et à la comprendre au travers de ses origines, celles qu'on classe souvent dans la « préhistoire ». Comme moi, l'auteur appartient au courant de pensée qui considère qu'on peut expliquer les comportements humains d'aujourd'hui (et ses travers) en explorant la nature humaine qui prend ses racines il y a des milliers voire des millions d'années et qui ne cherche pas à nous déconnecter du règne animal auquel nous appartenons, sur le plan scientifique au moins. L'auteur n'hésite pas à comparer nos comportements d'aujourd'hui à ceux de nos ancêtres préhistoriens.
Avouons-le, la préhistoire est un sujet sensible et ce pour plusieurs raisons :
- Les connaissances que nous en avons sont encore très partielles et obligent les scientifiques à faire des hypothèses, à formuler des explications dont on ne peut pas être sûr.
Yuval Noah Harari n'échappe pas à la règle mais le fait avec beaucoup de prudence et en avertissant qu'il ne s'agit que d'explications possibles. Ce que ne font que rarement les préhistoriens (y compris les plus célèbres et les plus populaires et notamment ses détracteurs).
- Lorsqu'un préhistorien formule une explication différente d'un de ses collègues mais toute aussi valable, l'esprit de compétition conduit souvent à une opposition violente entre les deux, au lieu d'une discussion et d'un accord des deux bords pour déclarer qu'en fait ils ne savent pas et qu'ils ne font que formuler des hypothèses. Si l'un d'eux vient, de par ses découvertes ou ses écrits, à devenir célèbre, la jalousie des autres les précipite vers une critique peu objective pour le salir. Malheureusement, la préhistoire est loin d'être le seul domaine de recherche dans lequel ce phénomène se produit… La nature humaine encore…
- Les découvertes dans ce domaine vont souvent à l'encontre des dogmes véhiculés par les religions bien établies.
Je trouve que Harari s'en sort avec brio. Il explique la réussite humaine grâce à un « super-pouvoir » qui nous distingue des autres espèces :
Cette capacité que les autres n'ont pas c'est
notre faculté à conjuguer nos forces dans des travaux collectifs, à coopérer pour faire des choses qu'on ne pourrait pas faire seuls ou en petits groupes.
Harari explique que cela est déterminé par notre capacité à inventer des histoires qui nous rassemblent. Ce qui permet aux hommes de fonctionner ensemble, de faire société, c'est leur croyance dans ces mêmes histoires. (Il faut entendre le mot « histoire » au sens large : l'histoire qui raconte qu'un bout de papier vaut 10 ou 20€, l'histoire qui raconte que c'est mieux si le peuple donne son avis en votant, l'histoire qui raconte que nous sommes dans le camp des « gentils » lors d'une guerre,…) Au fond, toutes nos valeurs sont des « histoires » auxquelles on veut croire et qui nous aident à vivre ensemble.
Dans cet ouvrage, Yuval Noah Harari remet, avec respect, les religions à leur place : il s'agit d'histoires qui permettent de « relier les hommes », de les souder par un récit commun, de les faire travailler ensemble pour des objectifs collectifs et éviter que l'intérêt individuel l'emporte sur celui du groupe. L'humain, seul, est un des animaux les plus fragiles qui soit. Les humains, ensemble, sont les animaux les plus puissants de la planète.
J'irai plus loin encore qu'Harari en précisant que la réalité est déterminée par le nombre de personnes qui croient à la même histoire. La richesse vient de la capacité à inventer une histoire à laquelle les gens adhèrent et la popularité vient de la capacité à devenir le héros d'une histoire.
Les explications sont très claires et pédagogiques. le ton est celui d'un professeur bienveillant qui enseigne à des enfants d'une dizaine d'années. Il s'agit d'une « non-fiction narrative » agréablement illustrée par les dessins de qualité de
Ricard Zaplana Ruiz. Je pense que ce livre est accessible à partir de 8 ans mais il est, à mon avis, fait pour être lu par des adultes à des enfants. Pourquoi ? Parce que le ton s'adresse clairement à des enfants mais le contenu du message s'adresse largement autant à des adultes. Je vais plus loin : je pense que si la majorité des adultes avaient les connaissances qui sont présentes dans cet ouvrage, le monde fonctionnerait bien autrement. Cet ouvrage peut être le point de départ de tout enseignement concernant la préhistoire, l'évolution, l'archéologie mais aussi l'économie, la philosophie ou la sociologie. Il est une invitation à l'ouverture d'esprit, à la tolérance, à la réflexion sur le sens de la vie. C'est un livre d'utilité publique qui a sa place dans tous les CDI et dans toutes les bibliothèques.
Il est des livres qui vous permettent de voir les choses sous un angle que vous n'aviez jamais eu avant. Ils bouleversent définitivement une petite part de notre vision du monde mais une petite part fondamentale, comme s'il y avait un avant et un après leur lecture. « Nous, les indomptables », pourtant ciblé sur un jeune public, est de ceux-là.